Revue

Entreprises... en quête de raison d'être

Promulguée en 2018, la loi Pacte qui inscrit la « raison d’être » d’une entreprise dans ses statuts et instaure la notion de « société à mission », a rencontré un vrai succès. Car les entreprises, aiguillonées par leurs salariés, n’échappent pas à la quête de sens qui a saisi toute la société. Elles s’interrogent, elles aussi, sur leurs valeurs et souhaitent avoir une activité en adéquation avec des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux. Mais pour devenir crédible, cette « raison d’être » ne peut rester un slogan creux. Elle doit entrer dans les faits en répondant aux attentes des clients, des salariés et de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. [Article issu de « T » la revue de La Tribune – N°1 Octobre 2020]
(Crédits : Istock)

« Orange est l'acteur de confiance qui donne à chacun les clés d'un monde numérique responsable. »

« Apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre. » (Danone)

« Rendre durablement le plaisir et les bienfaits de la pratique du sport accessibles au plus grand nombre. » (Décathlon)

« Proposer des produits et services pour la maison conçus au bénéfice de l'homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de produits et d'organisation. » (Camif)

« Convaincus que seule une attention sincère portée à l'autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de nos engagements et de chacune de nos actions. C'est notre raison d'être. » (MAIF)

« Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits, et une alimentation de qualité et accessible à tous à travers l'ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable, et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d'adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d'être leader de la transition alimentaire pour tous. » (Carrefour)

« Offrir à chacun une meilleure façon d'avancer. » (Michelin)

« Nous sommes là pour permettre au plus grand nombre de construire leur vie en confiance. » (Groupama)

« Protéger et agir pour un futur serein. »  (AXA)

« Agir chaque jour dans l'intérêt de nos clients et de la société. » (Crédit Agricole)

« Construire ensemble, avec nos clients, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financières responsables et innovantes. » (Société Générale)

« Agir ensemble pour une croissance responsable. »  (Medef)

« Reconnect people to nature. » (Groupe Rocher)

« Accélérer la transition numérique dans un monde plus électrique. » (Schneider Electric)

« Créer la beauté qui fait avancer le monde. » (L'Oréal)

Ce florilège de « raisons d'être » d'un certain nombre d'entreprises françaises démontre que cette démarche est en train de connaître un grand succès au sein des états-majors et des conseils d'administration. Née dans une certaine perplexité, cette idée d'élargir l'objet social de l'entreprise et de l'intégrer dans les préoccupations actuelles de la société a eu le mérite de les inciter à réfléchir sur elles-mêmes, à s'interroger sur leurs valeurs et à répondre aux attentes de leurs salariés qui sont aussi des citoyens en quête de sens dans leur vie personnelle et professionnelle. Le mérite en revient au fameux rapport rédigé par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard en 2018, « Entreprise et intérêt général », qui proposait d'inclure une « raison d'être » à l'objet social de l'entreprise et dessinait un cadre pour l'institution en France d'un statut « d'entreprise à mission », inspiré du modèle américain. Quelques mois plus tard, la notion de raison d'être était définie dans l'étude d'impact du projet de loi Pacte du 22 mai 2019 comme « le motif, la raison pour laquelle la société est constituée. Elle détermine le sens de la gestion de la société et en définit l'identité et la mission ». Le rapport Notat-Senard précisait qu'elle est « l'expression de ce qui est indispensable pour remplier l'objet social (...) et qui apporte un contrepoids utile au critère financier de court terme ».

Entreprises, toutes à mission

La loi PACTE a également instauré, entre de très nombreux autres articles, la notion de « société à mission ». Dans son ensemble, cela répond à un double objectif : favoriser la croissance et le financement des entreprises, dont notamment les PME, pour encourager l'emploi ; repenser la place des entreprises dans la société. Ces deux objectifs font immédiatement écho aux trois piliers du développement durable (volet économique, volet social et volet environnemental). Le principal vecteur de la refonte de la place de l'entreprise dans la société tient à la création de cette « société à mission ». Ladite mission consiste à définir un objectif d'ordre social ou environnemental, en concertation avec les parties prenantes de l'entreprise et sous couvert d'un engagement formel des entreprises. Concrètement, il s'agit donc d'une déclaration provenant de l'entreprise. La loi établit par ailleurs que : « la société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. De plus, une entreprise peut s'instituer société à mission en enregistrant dans ses statuts sa raison d'être (définie par l'article 1135 du Code civil). Cette raison d'être est constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Quels sont les critères qu'une entreprise doit remplir pour être publiquement en mesure de faire état de sa qualité de société à mission ? Se doter d'une raison d'être ; définir une mission répondant à un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux ; instaurer un Comité de mission, qui sera lui-même chargé du suivi de l'exécution de la mission.

Comment expliquer le succès remporté par cette quête d'une « raison d'être » ? La réflexion sur l'utilité sociale de l'entreprise n'est pas nouvelle. Elle est présente dans la société française depuis plus d'un siècle. Charles Fourier (1772-1837) a été le précurseur d'une sorte d'utopie sociale dans laquelle le travail devait être inséré dans une démarche sociétale et répondre aux aspirations des salariés. Un certain nombre de chefs d'entreprise de la dernière moitié du XIXème siècle ont tenté de mettre en œuvre un certain nombre de ces principes en faisant de l'entreprise non plus uniquement un lieu de travail mais un espace de vie. C'est ainsi, par exemple, que l'industriel Jean-Baptiste Godin, ancien ouvrier serrurier qui avait inventé en 1840 un poêle en fonte émaillée qui connût un grand succès commercial, a créé à Guise en 1846, le « familistère », une sorte de cité idéale. Il s'agit d'un habitat collectif, accueillant plus de 1 300 personnes, chaque famille occupant un petit appartement donnant sur une cour intérieure protégée par une immense véranda. L'ensemble est équipé d'un système d'aération sophistiqué, de vide-ordures, de blocs sanitaires. La cour intérieure est le lieu des rencontres, des fêtes, des bals, rassemblant les familles. Poussant la logique jusqu'au bout, Godin transforme l'entreprise en coopérative en 1880.

Certes, nous n'en sommes plus aujourd'hui aux idées fouriéristes, mais cette idée que l'entreprise doit être utile à la communauté en général et non plus seulement à ses actionnaires a progressé au fil des décennies, au point qu'elle s'impose presque aujourd'hui comme une évidence.

Les différentes raisons d'être des entreprises, bien qu'exprimées en des termes différents, parfois sobres, parfois plus élaborées, présentent néanmoins un certain nombre de points communs. Le premier est qu'elles proposent une approche inclusive de l'entreprise. Elles installent l'entreprise dans une sorte d'universalité, elle s'adresse « à tous », entendent être utiles au plus grand nombre et s'inscrivent dans une démarche clairement revendiquée comme « sociétale ». Le deuxième point commun est que ces entreprises intègrent la notion de croissance durable et de respect de l'environnement. Le troisième est qu'elles se projettent vers un horizon de long terme et se veulent actrices de transitions longues, qu'il s'agisse d'environnement, d'énergie ou de modèle économique.

Bien plus qu'une déclaration d'intention

Même si cette démarche s'inscrit dans des stratégies nouvelles de communication, on aurait tort de ne les considérer que sous cet aspect. La recherche et la définition d'une raison d'être s'accompagne d'un effort de réflexion de l'entreprise sur elle-même, mené en général avec la participation des salariés, et dans laquelle le ou les dirigeants se sont investis personnellement. Comme l'écrivait récemment Gilles Gaillard, avocat associé du cabinet Altana (L'Argus de l'Assurance, janvier 2020), « la recherche d'une identité profonde est un travail passionnant, collectif, fédérateur, et source de richesse pour l'entreprise et son écosystème. Elle ne peut cependant se contenter de la simple référence aux principes ou valeurs communs à toute une profession, ce serait un raccourci trompeur. La solidarité, la responsabilité& et l'absence de recherche de profit ne suffisent pas à tracer ce sillon ».

La raison d'être est davantage qu'une déclaration d'intention. Elle est une promesse aux clients, aux salariés, à l'ensemble des parties prenantes et cette promesse devra être tenue. C'est probablement là l'enjeu majeur de cette démarche. Pour qu'elle ait une chance de convaincre et surtout de se concrétiser, la raison d'être doit être pertinente par rapport à la personnalité de l'entreprise et vis-à-vis de l'ensemble de son écosystème. Elle doit aussi être légitime par rapport aux produits et services que propose l'entreprise. Elle doit surtout inciter à se poser cette question : quel vide laisserait l'entreprise dans son marché si elle disparaissait ? Dans un long article publié dans la Harvard Business Review, Sally Blount et Paul Leinwand, qui ont accompagné de nombreuses entreprises américaines dans l'élaboration de leur raison d'être, insistent également sur le fait que l'organisation de l'entreprise, sa culture interne, doivent répondre à la raison d'être, au risque de provoquer des frustrations et du scepticisme. « Il n'y a rien de plus démotivant pour les employés que de travailler sur une chose identifiée comme étant de première importance, mais ne recevant ni le temps, ni l'attention, ni le financement adéquats », écrivent-ils. Ils poursuivent : « Dans les domaines qui importent le plus à votre raison d'être, votre objectif ne devrait pas être d'atteindre l'excellence fonctionnelle, mais d'investir plus que vos concurrents, de manière à pouvoir produire la valeur que vous avez promise. »[1]

Certes, se doter d'une raison d'être ne supprime pas par magie, les pressions auxquelles sont soumises les entreprises en termes de croissance et de rentabilité, qui seront encore renforcées par la crise que nous traversons. Mais dans cette période d'incertitudes et de risques accrus, la raison d'être fixe un cap de long terme, un référentiel de valeurs qui peuvent constituer une sorte de réassurance pour l'avenir.

[1] « Pourquoi sommes-nous ici ? », Harvard Business Review, août-septembre 2020.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.