Climat : la France peine à relever le défi

Rendu public fin juin, le troisième rapport annuel du Haut Conseil pour le climat critique la lenteur de la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France, alors que l’Union européenne a renforcé ses ambitions, avec une réduction des émissions de 55 % d’ici 2030. Déjà, les deux-tiers de la population française sont très exposés au risque climatique. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°6 Octobre 2021)
(Crédits : Istock)

La France sera-t-elle « Fit for 55 » ? Autrement dit, sera-t-elle capable de contribuer pleinement à l'objectif voté fin 2020 par le Parlement européen, celui d'une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 comparées au niveau de 1990 ? Regroupées sous l'appellation « Fit for 55 », les propositions de la Commission européenne, dévoilées le 14 juillet dernier, visent à appliquer le Green Deal sur le terrain et à faire de l'Europe le premier continent carbone neutre d'ici 2050. Les douze mesures annoncées vont d'une refonte du marché du carbone et de son élargissement en direction de nouvelles industries à des obligations accrues pour les pays membres sur l'agriculture en passant par un accroissement de la production d'énergies renouvelables et des standards plus stricts sur les émissions dans les transports (voitures, avions et navires), et enfin, un mécanisme d'ajustement aux frontières, qui donnera un prix du carbone aux importations. Si la France s'est félicitée de ces propositions d'actions concrètes pour accélérer la lutte contre le changement climatique, qui confirment « l'intention, partagée par la France, de la Commission européenne de placer l'Europe à l'avant-garde du combat climatique », selon l'expression du ministère de la Transition écologique, nombreux sont ceux qui, pour l'heure, doutent des capacités de la France... À commencer par les membres du Haut Conseil pour le Climat (HCC), l'organisme indépendant mis en place en 2018 par Emmanuel Macron pour évaluer les politiques gouvernementales en la matière. Son troisième rapport annuel : « Renforcer l'atténuation, engager l'adaptation », rendu public fin juin, porte en effet la mention « peut mieux faire ».

Agriculture et transports à la peine

D'abord parce que si la tendance à la baisse des émissions françaises s'est légèrement accentuée en 2019, avec une diminution de 1,9 % sur un an, et que des progrès ont été réalisés dans les secteurs des bâtiments, de la transformation d'énergie (la baisse des émissions liées à cette activité, de 46 % depuis 1990, s'est poursuivie en 2019, avec un recul de 5,6 %) et de l'industrie - dans ce dernier secteur, les émissions ont diminué de 41 % depuis 1990, en partie grâce à l'amélioration des procédés de production, à travers des gains d'efficacité énergétique -, en revanche, ce n'est pas le cas, ou pas assez, dans les transports - premier secteur émetteur, avec 31 % des émissions, dont plus de la moitié due à la voiture individuelle. Faute, en particulier, de report des transports par route au bénéfice du rail et de ventes de voitures électriques encore poussives. Même chose pour l'agriculture : les réductions d'émissions n'ont été que de 9 % depuis 1990 et la France a d'ailleurs moins ralenti ses émissions agricoles depuis cette date que ses principaux voisins européens. Ensuite, parce qu'au niveau des régions, les émissions territoriales par habitant sont certes plus faibles que la moyenne européenne, et d'ailleurs, la plupart des régions françaises ont vu leurs émissions diminuer sur la période 2015-2018, mais, encore une fois, celles des transports y sont généralement à la hausse, à part en Île-de-France, de même que celles de l'agriculture. Et enfin, parce que les émissions importées, en d'autres termes, les émissions de biens et de services produits à l'étranger mais consommés en France, sont supérieures à la moyenne européenne... Déjà, dans son rapport de 2020, le HCC alertait sur ce dernier phénomène, précisant qu'entre 1995 et 2018, les émissions importées avaient augmenté de 78 %, tandis que les émissions intérieures avaient diminué de 30 % sur la même période.

Retard accumulé

Autant dire, comme le fait le HCC, qu'en raison « du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle devra pratiquement doubler, pour atteindre au moins 3,0 % dès 2021 et 3,3 % en moyenne sur la période 2024-2028 »... Et ce d'autant que le HCC balaie l'impact de la pandémie de Covid-19 sur les émissions françaises et mondiales. Il est sans précédent, certes, mais temporaire. La réduction pourrait avoir atteint 5,9 % en 2020 au niveau mondial, mais une hausse de 5 % des émissions est attendue en 2021, du fait de la reprise des activités économiques...

Selon le HCC, la France souffre d'un handicap majeur, puisque ses politiques publiques ne servent pas assez la cause climat. « Ces dernières sont encore insuffisamment alignées sur la trajectoire de réduction des émissions prévue par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) », précise ainsi le rapport. Quant au projet de loi Climat et Résilience, qui n'avait pas encore été adopté au moment de la publication du rapport (il l'a été le 20 juillet), il paraît de toute façon insuffisant aux yeux des experts du HCC. Même si les estimations de l'étude d'impact - étude dont ils critiquent d'ailleurs le manque de transparence méthodologique - s'avéraient justes, « elles seraient insuffisantes pour répondre à l'objectif national en 2030 », ont-ils tranché.

Nécessité de politiques structurelles

Que faire alors ? Le HCC avance des solutions. Pratiques comme philosophiques. Ainsi, de façon générale, « il ne faut pas se contenter d'une simple adaptation au détriment de l'atténuation », précise la géographe spécialiste de l'environnement et des catastrophes naturelles Magali Reghezza-Zitt, membre du HCC. « D'autant qu'il y a des limites à l'adaptation et qu'on ne pourra s'adapter que lorsque le climat sera stable », renchérit la climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré, présidente du HCC. Or pour l'instant, le réchauffement se poursuit... Déjà, les deux-tiers de la population française sont fortement ou très fortement exposés au risque climatique, en particulier aux périodes d'extrême chaleur. Pis, le phénomène risque de s'accentuer. Ainsi, de 7 jours de canicule par an, Paris pourrait passer dans les années à venir à 23 jours, et Lyon de 10 à 36 jours. Les experts du HCC notent également la baisse, déjà constatée, de l'enneigement, de nature à réduire les revenus des stations de ski, ainsi que celle du niveau de l'eau dans les grands fleuves. Que se passera-t-il dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui ne compte pas moins de 14 réacteurs nucléaires - un record mondial - si l'eau qui sert à refroidir les circuits des centrales venait à manquer ? Sans oublier les côtes, menacées, de même que les populations en bord de mer, ni les variabilités saisonnières accrues, dont des périodes de gel au moment de la floraison, qui perturbent en particulier la production fruitière. Les deux politiques, adaptation et atténuation, sont donc indispensables et doivent aller de pair.

Reste à les mettre véritablement en place. Et c'est là que le bât blesse. « Rien ne fait système », regrette ainsi l'ingénieur agronome Jean-François Soussana, directeur de recherche et vice-président de l'INRA. Ce que ce membre du HCC veut dire, c'est que les politiques publiques sont peu proactives, peu directives et partielles. En conséquence, elles ne structurent pas réellement les efforts que doivent consentir tous les acteurs économiques. Ainsi, sur les 22 orientations sectorielles de la feuille de route de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique, une seule politique voit ses objectifs probablement atteints, six ne sont pas mises en œuvre et les autres ne sont que partiellement alignées, souligne le rapport.

« Il faut d'abord clarifier les politiques publiques qui orientent pour l'instant insuffisamment les investissements, publics et privés, en direction de la lutte contre le réchauffement climatique, pour basculer toutes nos infrastructures et toutes nos habitudes vers le bas carbone », recommande à cet égard Corinne Le Quéré. En outre, poursuit-elle, « il faut finaliser les stratégies régionales, pour les faire converger vers les objectifs nationaux. Enfin, il faut vérifier que les objectifs sont atteints, quitte à adapter les mesures si nécessaires, sinon, ce n'est que du technique et la transformation structurelle n'a pas été atteinte ».

Plus concrètement, « il faut faire évoluer en profondeur les bâtiments et s'attaquer à la mobilité en s'inspirant de ce qui marche en Île-de-France, par exemple, puisque dans cette région, les émissions dues aux transports avaient déjà baissé avant la pandémie. Il faut aussi davantage accompagner le mouvement vers la voiture électrique et, avec tous les acteurs, préparer l'agriculture, sous la forme de pratiques plus douces de l'utilisation des sols, notamment, puisque ce secteur, dont les émissions ne baissent pas assez vite, sera fortement impacté par le réchauffement ». La Politique Agricole Commune (PAC) doit jouer un rôle, précise-t-elle, « avec des paiements devant améliorer les biens communs et les aspects environnementaux de l'agriculture ». Et il faut aussi s'occuper de la forêt. Jean-François Soussana note ainsi quelques aberrations, en France métropolitaine comme en Guyane. Mal entretenues, victimes de la sécheresse et d'insectes qui ravagent le bois, les forêts françaises laissent échapper un quart du carbone qu'elles devraient capter si elles étaient en bon état...

Un plan de relance insuffisant

Y a-t-il d'autres instruments sur lesquels la France pourrait s'appuyer ? Le plan de relance, par exemple ? Les experts du HCC sont là aussi sceptiques... « Les engagements pris en contrepartie du plan de relance sont insuffisants et peu contraignants. Les leviers des changements structurels identifiés ne sont pas activés », regrettent-ils ainsi. D'ailleurs, selon leurs calculs, sur un total de 100 milliards d'euros, le plan de relance n'affiche que 28 milliards favorables à l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Pis encore, « certaines mesures sont qualifiées de favorables par le gouvernement alors qu'elles ne le sont qu'en partie », relevait le HCC dans son avis du 15 décembre dernier sur ce sujet.

Le marché européen du carbone alors ? Lancé dès 2005, il vise à inciter les industriels concernés, dont les centrales électriques, à investir dans la réduction de leurs émissions, faute de quoi ils doivent acheter des quotas d'émission sur le marché. Certes, après des années de dysfonctionnement, dues en particulier à de généreuses attributions de quotas gratuits, il a été revisité, en 2017, pour faire en sorte que les cours de ces quotas échangés augmentent. Ils sont passés de quelques euros la tonne d'émission de CO2 en 2007 à 50 euros aujourd'hui. « Mais ce n'est pas assez dissuasif », affirme Corinne Le Quéré. De fait, en 2017, la Commission dirigée par Nicholas Stern et Joseph Stiglitz sur le prix du carbone a estimé que les prix, sur les divers marchés de carbone dans le monde, devaient se situer à au moins 100 dollars la tonne d'ici 2030 pour jouer un véritable rôle, et encore, en étant accompagnés d'autres politiques incitatives.

Alors que la France assurera la présidence du Conseil de l'Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022, peut-elle, compte tenu de son bilan très relatif en matière de lutte contre le réchauffement climatique, utiliser cette enceinte pour agir ? « Elle en aura l'opportunité, notamment sur la PAC », se borne à dire Corinne Le Quéré... Avant cela, la France devra s'être mise, au niveau national, en ordre de marche, afin de faire sa part dans la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre européennes d'ici 2030. Et elle devra aussi, comme les autres pays membres, avoir mis en œuvre des politiques sociales accompagnant la transition. Car si, selon le baromètre de l'Ademe (l'agence de la transition écologique), les Français ont placé, pour la première fois en 2019, l'environnement en haut de leur liste de préoccupations, et l'ont maintenu en 2020 malgré la crise, ils ne sont pas pour autant prêts à assumer le coût des changements nécessaires, la révolte des Gilets Jaunes l'a prouvé. Ajustements en matière de mobilité et de bâtiments, redistribution et pouvoir d'achat, reconversions professionnelles et emplois sont autant d'ingrédients d'une transition juste et « indispensables pour éviter les inégalités et faciliter l'appropriation des enjeux climatiques par toutes les classes sociales », conclut Corinne Le Quéré.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre  2021 - Découvrez la version papier

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Commentaires 3
à écrit le 17/12/2021 à 8:34
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"dont plus de la moitié due à la voiture individuelle. " Et donc au lieu de pénaliser les camions on préfère pénaliser des millions d'automobilistes qui vont bosser. 20ù seulement des GES le trafic routier, c'est du pur foutage de gueule ce racisme a...

à écrit le 16/12/2021 à 20:54
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Le Haut Conseil pour le climat est un truc qui ne sert à rien. Toute activité humaine pollue en vertu des lois fondamentales de la physique. Le seul moyen de faire baisser les émissions de CO2, c'est de faire baisser le PIB, donc d'appauvrir toute la...

à écrit le 16/12/2021 à 18:14
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la France ne peine pas : la France n'est que le 12e plus gros émetteur de GES depuis 1850, loin derrière Allemagne et UK (Carbon Brief, 05/10/2021). responsable que de 1% des émissions aujourd’hui (World Resources Institute). les émissions sera...

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