D'Emmanuel Macron aux démocrates américains en passant par Thierry Breton, la question du démantèlement des géants de l'Internet s'est invitée bruyamment dans le débat politique, ces derniers temps. De quoi ajouter de l'eau au moulin de Catherine Morin Desailly. Voilà longtemps que la sénatrice de Seine-Maritime questionne l'hypertrophie des géants du web jusque dans les cercles internationaux où elle a son rond de serviette.
Ceux qui la connaissent ne seront pas étonnés de retrouver son patronyme dans l'organigramme du Ground International Comitee : un club d'élus fondé après l'affaire Cambridge Analytica par Damian Collins, député britannique pourfendeur des « gangsters du numérique » (l'intéressé dixit). Entre les deux parlementaires, le courant est vite passé. Question d'atomes crochus : sous des dehors aimables, la française cache aussi un tempérament batailleur.
C'est au début des années 2010 que cette geek -assumée- se découvre une passion pour les enjeux du numérique. Alors présidente de la commission des affaires culturelles du sénat, elle se trouve aux premières loges quand émergent les nouvelles formes de piratage dans la musique. « C'est dans la culture que l'ubérisation sans foi ni loi a commencé, rappelle-t-elle. C'est par ce biais que j'ai commencé à m'intéresser au sujet ». Le pli était pris.
Lanceuse d'alerte
Dès 2012, à la tête d'un groupe d'études, elle met en garde contre le risque de "colonisation numérique" du vieux continent. A l'époque, de l'autre côté de l'Atlantique, le gouvernement américain arme son écosystème digital à coup de millions de dollars pendant que l'Europe regarde ailleurs.
« La question politique n'était jamais posée. On était dans une forme d'ébriété technologique qui nous empêchait de voir que les mastodontes des GAFAM allaient devenir des monstres » se souvient-elle.
Las. L'intéressée a beau rédiger de premiers rapports alarmants sur la neutralité du net ou (déjà) la fiscalité du numérique, elle prêche souvent dans le désert. « J'étais perçue comme une ringarde, une rabat-joie ». Les révélations d'Edward Snowden achèvent de la convaincre que le combat en faveur d'un numérique souverain vaut d'être mené. « Ce qu'il mettait au grand jour nous interdisait toute forme de naïveté ». Avec Chantal Jouanno, elle demandera d'ailleurs à ce que l'UE accorde l'asile politique à l'ancien collaborateur de la NSA. Sans succès.
Elle remet pourtant l'ouvrage sur le métier. A partir de 2014, elle fait adopter par la haute chambre plusieurs propositions de résolution européenne sur la gouvernance de l'Internet ou les règles de concurrence. Bien vu. Leur contenu présente beaucoup de similitudes avec le projet de paquet numérique élaboré à Bruxelles par Thierry Breton à qui elle sait gré de s'être « enfin pleinement emparé de ces sujets ».
"On gafamise l'administration"
Bienveillante à l'égard du commissaire européen, la sénatrice (devenue entretemps présidente des Assises de la souveraineté numérique) se montre beaucoup plus sévère à l'égard du gouvernement français, dont elle éreinte le tropisme « pro GAFAM ». « Comment Emmanuel Macron a-t-il pu recevoir Mark Zuckerberg à l'Elysée en plein scandale Cambridge Analytica ? », rugit-elle.
De même, les accords passés avec les géants américains du numérique la font régulièrement sortir de ses gonds. « Ni OVH, ni Dassault Systems n'ont été consultés quand il a fallu déléguer la gestion du Health Data Hub. Le gouvernement voudrait gafamiser l'administration qu'il ne s'y prendrait pas autrement ! » . On l'a aussi entendue pilonner la nouvelle doctrine de l'Etat français en matière de cloud de confiance (qui privilégie des technologies US). « Cédric O a beau discourir sur la souveraineté, il ouvre la boîte de Pandore ».
Pour elle, il est au contraire urgent de bâtir un modèle européen afin de s'émanciper du « capitalisme de surveillance ». « C'est cette nouvelle frontière qui m'intéresse aujourd'hui. La question est : quel numérique voulons-nous et comment le met-on au service du bien commun ? ». Vaste défi, qui à l'entendre, n'est pas gagné d'avance. « J'ai peur que ce ne soit encore les gros qui gagnent ». Qui sait...
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