La startup de la semaine : comment Defymed va révolutionner le quotidien des diabétiques

Toutes les semaines, La Tribune braque les projecteurs sur une pépite méconnue de la French Tech. Cette semaine, Defymed. La startup strasbourgeoise développe un dispositif médical qui pourrait grandement améliorer le quotidien des diabétiques. Mais la deep tech se confronte à deux barrières bien connues des entrepreneurs : la réglementation et la difficulté à lever des fonds.
François Manens
Grâce à une petite poche placée dans l'abdomen, Defymed pourrait permettre aux patients diabétiques de se passer, au moins en partie, de leurs piqûres quotidiennes.
Grâce à une petite poche placée dans l'abdomen, Defymed pourrait permettre aux patients diabétiques de se passer, au moins en partie, de leurs piqûres quotidiennes. (Crédits : Defymed - Bartosch Salmanski)

La vie de 300.000 Français et Françaises atteints de diabète de type 1 pourrait bientôt changer. Aujourd'hui, la plupart doivent se piquer eux-mêmes plusieurs fois par jour pour s'injecter de l'insuline, afin de réguler leur taux de sucre. Demain, une poche artificielle, placée dans leur abdomen, pourrait s'en charger, sans requérir d'intervention supplémentaire. Pour les patients, ce serait la fin des piqûres quotidiennes et des risques liés aux oublis.

Ce futur, la startup strasbourgeoise Defymed l'entrevoit. Son dispositif médical, baptisé Mailpan, prend la forme d'un disque de huit centimètres de diamètre, et peut accueillir des cellules capables de compenser les défaillances du pancréas. Son rôle est de les protéger contre le système immunitaire du patient, afin qu'elles ne soient pas rejetées. Cette propriété de Mailpan permet aujourd'hui d'adresser le diabète, mais la jeune pousse imagine déjà son utilisation avec d'autres types de cellules. Par exemple, la poche artificielle pourrait embarquer des cellules capables de lutter contre l'hémophilie. Pour réaliser ses objectifs, Defymed doit dépasser deux barrières : l'homologation clinique avec les cellules souches, et le financement de ses recherches. Mais après huit ans d'existence, la deep tech peine à lever des fonds suffisants pour passer à l'échelle. Sa technologie est mature et brevetée, et plusieurs marchés commencent à lui être accessibles.

20 ans de recherche pour une petite poche révolutionnaire

Le Mailpan est une petite poche, composée d'une membrane multi-brevetée, résultat de vingt ans de recherche. Lorsque Séverine Sigrist a commencé le projet, elle travaillait pour une association de personnes atteintes du diabète de type 1, dans le cadre de ses recherches au Centre européen d'étude du diabète, où elle a passé 17 ans. En dehors du traitement lourd et épuisant basé sur des piqûres journalières, les options des patients sont très limitées. La docteur réfléchit alors à une solution capable de se substituer à une opération lourde et peu efficace : la greffe de pancréas.

"Pour greffer un patient il faut deux à trois pancréas, car il y a de nombreux échecs. Ensuite, il faut appliquer des traitements anti-rejets qui sont très toxiques", rappelle Séverine Sigrist.

C'est ici qu'intervient le petit dispositif médical de Defymed. Capable d'embarquer des cellules de tous types (souche, animale, génétiquement modifiées), il les protège du système immunitaire du patient. Il peut donc accueillir dans l'organisme des cellules extérieures, comme celles capables de produire de l'insuline. Sa membrane est perméable à l'insuline, mais imperméable aux cellules impliquées dans le rejet. En revanche, le dispositif ne vient pas sans contrainte : il faut renouveler les cellules qu'il contient à intervalles réguliers à l'aide d'une aiguille. La startup travaille avec ses partenaires pour que cette durée soit supérieure à trois mois. Malgré sa technologie prometteuse, l'entrepreneuse ne promet pas la solution miracle : "nous ne parlons pas de guérison, mais nous pourrions diminuer fortement les besoins en insuline des patients".

Defymed fait assembler ses dispositifs médicaux par un expert du secteur, Statice, à Besançon. La startup s'appuie sur plusieurs sous-traitants, majoritairement français et allemands, pour les différentes parties et ces derniers sont contraints par des contrats d'exclusivité. Trouver ces prestataires n'est pas simple : ils doivent pouvoir assurer une production à échelle industrielle, mais aussi une forte traçabilité. "Après la sortie du laboratoire, nous avons mis un an et demi à rendre la membrane productible à l'échelle", se rappelle la scientifique. Ensuite, la startup vérifie elle-même la qualité de chaque dispositif.

Pancréas artificiel cherche cellules adaptées

Aujourd'hui, le module de Defymed dispose de toutes les homologations nécessaires pour lancer la phase de test clinique. Mais il reste un dernier détail, très important, à régler : il faut trouver les meilleures cellules à abriter.

"Nous développons le dispositif médical, pas les cellules. Depuis 2015, il existe plus d'une vingtaine d'entreprises qui cultivent des cellules souches embryonnaires. Désormais, nous travaillons avec elles pour trouver la meilleure combinaison avec notre dispositif", élabore la fondatrice.

La startup attend donc de trouver le ou les meilleurs partenaires pour valider définitivement l'usage de son dispositif . Pour y parvenir, elle sous-licencie sa technologie à plusieurs entreprises qui produisent les cellules, qu'elle conseille régulièrement. Afin de bien fonctionner avec le dispositif, les cellules doivent remplir certains critères : par exemple, elles doivent survivre suffisamment longtemps pour que les médecins n'aient pas à intervenir trop souvent pour les remplacer, ou encore, elles doivent bien supporter le transport pour s'adapter à des situations d'urgence.

Problème : en France, l'usage des cellules souches embryonnaires fait toujours l'objet de discussions dans les comités de bio-éthique. Pour l'instant, Defymed doit donc se tourner vers les États-Unis, qui ont déjà lancé des études cliniques de cette technologie (appliquée au diabète). Pour l'Hexagone il faudra donc attendre, mais l'entrepreneuse est très au fait des réglementations. "Nous avons une personne dédiée à l'adaptation de nos dispositifs aux potentielles réglementations futures, et notamment au Medical Device Regulation European, annoncé depuis longtemps."

La galère de la levée de fonds

"Quand je me suis lancée, les investisseurs m'ont dit, c'est trop tôt, c'est trop compliqué pour nous", se souvient Séverine Sigrist

1,2 million en 2013, 1,9 million en 2015, et quelques subventions depuis. La startup strasbourgeoise peine à lever des fonds, mais peut compter sur l'appui de l'écosystème local. Séverine Sigrist préside d'ailleurs depuis cinq ans le pôle de compétitivité local, Alsace BioValley. Impliquée dans plusieurs programmes de recherche à l'échelle européenne, grâce à sa démarche d'open innovation, elle parvient également à grappiller ici et là des financements.

"Le problème, c'est que lorsqu'un fond veut rentrer au capital, il demande quand il pourra sortir (i.e vendre ses parts du capital, en essayant de faire la plus-value). Mais dans notre domaine, les chaînes de valeur sont très longues. Avec nous, ils peuvent envisager une sortie d'ici à dix ou douze ans, alors qu'ils espèrent cinq ans", regrette l'entrepreneuse.

"C'est problématique depuis un an, car nous avons besoin de lever des fonds pour commencer à développer notre stratégie de vente."

Puisque l'avancée de son Mailpan est entravée par l'usage des cellules embryonnaires, la startup a lancé un second dispositif, qui s'en passe, baptisé ExOlin. Il sera également placé dans l'abdomen, et permettra de délivrer l'insuline de manière plus ciblée. Il doit améliorer l'efficacité de l'administration d'insuline et éviter la résistance au traitement sous-cutanée que connaissent une partie des patients, obligés de s'injecter en intra-veineux. En revanche, les patients continueront d'utiliser leur mode d'administration habituel (pompe, seringue, stylo). Mais là encore, la startup a pris du retard sur sa feuille de route, faute de financements. Elle est prête depuis 2018 à effectuer les essais cliniques et espérait commercialiser le dispositif l'année suivante. Pour y parvenir, il lui faut lever une enveloppe d'au moins cinq millions d'euros.

Cet argent doit venir de l'extérieur, puisque le chiffre d'affaires de Defymed reste inférieur à 100.000 euros, et la startup vient tout juste de démarrer ses premières prestations. L'entreprise compte aujourd'hui douze employés.

"Nous voulons recruter, mais nous sommes conditionnés par les levées de fonds", regrette l'entrepreneuse, contrainte de porter la double casquette de directrice générale et directrice scientifique.

"Mais au moins notre équipe est très investie : nous n'avons pas eu départ en huit ans", rajoute-t-elle.

Pourtant, la startup, vainqueur en 2019 du Prix 10.000 startups pour changer le monde (organisé par La Tribune) dans la catégorie Santé, n'a pour l'instant qu'à peine laissé entrevoir le potentiel de sa technologie. En phase d'attente sur le diabète, la jeune pousse examine déjà d'autres marchés. Sa poche pourrait embarquer différents types de cellules... et donc adresser de nouvelles maladies.

Pour cela Defymed effectue une veille de marché et une veille scientifique, à l'affût de nouveaux usages pour son dispositif, et envisage déjà de s'attaquer à l'hémophilie. Dans ce cas, les cellules embarquées produiraient les molécules nécessaires à la correction du défaut de coagulation des patients.

"Il faut savoir quels types d'hémophilie on peut viser. Pour cela nous nous rapprochons d'associations de patient", ajoute-t-elle.

La jeune pousse reprend ainsi une boucle de développement similaire à celle qu'elle a mise en place sur le diabète. Pour faire aboutir ces projets multiples, la startup alsacienne a passé trois mois aux États-Unis, afin de développer encore de nouveaux partenariats. Mais sans levée de fonds, ses dispositifs médicaux ne pourront pas se confronter à l'essai clinique.

François Manens

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