La tech new-yorkaise affiche un dynamisme éblouissant en pleine crise du secteur

En dépit du retournement économique conjoncturel, la Grosse Pomme constitue le vivier technologique le plus dynamique des États-Unis. Dans un secteur en plein marasme, la tech new-yorkaise fait de la résistance et jouit même d'une insolente bonne santé. Un écosystème où le numérique infuse dans des pans de l’économie toujours plus diversifiés.
Le Newlab, à Brooklyn, constitue l'un des épicentres du foisonnant écosystème technologique new-yorkais.
Le Newlab, à Brooklyn, constitue l'un des épicentres du foisonnant écosystème technologique new-yorkais. (Crédits : Newlab)

L'US Navy y fabriquait jadis ses vaisseaux de guerre. Durant le second conflit mondial, pas moins de 75.000 ouvriers s'y relaient jour et nuit pour alimenter la flotte américaine en nouveaux bâtiments. Si les chantiers navals ont de longue date été démantelés, le Brooklyn Navy Yard, lui, demeure, quoique sous une forme un peu différente. Les entrepôts, ateliers, hangars et usines ont été reconvertis en commerces, espaces de travail collaboratifs, ateliers de design et d'artistes, studios de cinéma et bureaux de startups. Lovée sur les bords de l'East River, cette immense zone urbaine de 120 hectares constitue ainsi l'un des cœurs créatifs et innovants de la Grosse Pomme.

« Depuis les années 2010, le Brooklyn Navy Yard est devenu l'un des épicentres de la scène technologique new-yorkaise », raconte Sharon Zukin, professeure de sociologie et auteure du livre The Innovation Complex (non traduit), qui raconte la montée en puissance de l'écosystème technologique new-yorkais. « C'est un lieu qui, dans les années 2000, disposait de beaucoup d'espaces inutilisés qui pouvaient être loués à des tarifs relativement bas. De nombreux artistes, créatifs et entrepreneurs des nouvelles technologies sont venus s'y installer, contribuant à en faire un lieu débordant de créativité. »

8.000 mètres carrés réservés aux startups

Au point de devenir un axe stratégique des politiques de développement économique de la ville. C'est ici que le Newlab, un immense studio de startup, a ouvert ses portes en 2016. Installé dans une ancienne usine à fabriquer des moteurs de bateaux, il s'étend sur près de 8.000 mètres carrés et abrite 200 jeunes pousses différentes. « L'objectif du Newlab est d'accueillir une communauté d'ingénieurs et d'entrepreneurs qui cherchent à résoudre de grands enjeux contemporains, comme la protection de l'environnement et la réindustrialisation de l'économie, et de les aider à croître plus vite en leur faisant bénéficier de nos outils, notre réseau et notre expertise », affirme Garrett Winther, head of membership du Newlab.

C'est ici également que, fin janvier, la mairie de New York a annoncé la création d'un laboratoire d'innovation de 4.600 mètres carrés spécialement consacré aux jeunes pousses des biotechnologies à usage non thérapeutique, travaillant par exemple sur les biomatériaux ou encore les applications industrielles de la biologie. Coût total de l'opération : vingt millions de dollars. « Ces startups transforment la façon dont nous mangeons, construisons et protégeons l'environnement, tout cela en créant des emplois bien payés pour les New-Yorkais et en préparant l'économie de la ville pour le futur », a commenté le maire de la ville, Eric Adams.

9.000 jeunes pousses

Car en dépit des spéculations nées durant la pandémie, selon lesquelles les travailleurs des nouvelles technologies, profitant du télétravail, allaient définitivement quitter les grandes villes, l'écosystème technologique new-yorkais ne s'est jamais aussi bien porté. Les emplois dans la tech ont cru de 30% sur les cinq dernières années, selon Tech:NYC, une organisation à but non lucratif qui représente l'industrie technologique locale. À Brooklyn, cette hausse atteint même les 42%.

Toujours selon Tech:NYC, la ville compte désormais 9.000 jeunes pousses et la tech y emploie 369.000 personnes, soit 7% des travailleurs new-yorkais, un record historique. Ces startups peuvent compter sur plus de 100 incubateurs pour accompagner leur croissance. Si les licenciements récemment annoncés par les Gafam ne devraient pas épargner la métropole, la tendance de fond demeure donc largement positive.

Les géants technologiques américains sont également de plus en plus enclins à s'installer dans la Grosse Pomme. En 2021, Google, qui possède déjà plusieurs bureaux dans le très chic quartier de Chelsea, a ainsi déboursé plus de deux milliards de dollars pour acquérir St. John's Terminal, une ancienne gare campée sur l'Hudson River, transformée en complexe de bureaux dans les années 1960. Microsoft a également loué un nouvel espace dans Manhattan, sur la mythique cinquième avenue.

Enfin, les investisseurs sont également de la partie. En 2021, les fonds de la Silicon Valley Andreessen Horowitz et Threshold Ventures ont tous deux ouvert des bureaux à Manhattan. À l'automne dernier, Index Ventures, un autre investisseur, leur a emboîté le pas, ainsi que Sequoia, l'un des plus gros investisseurs de la Silicon Valley, qui n'avait encore jamais ouvert de second bureau.

En 2022, toujours, Primary, un nouveau fonds centré sur les jeunes pousses new-yorkaises, a levé 425 millions de dollars qui seront investis dans les startups en phase d'amorçage.

La crème de la crème

À ces acteurs des nouvelles technologies, New York offre d'abord un formidable vivier de talents, avec deux des meilleures universités du pays, Columbia et New York State University (NYU). En outre, les huit universités de l'Ivy League, toutes situées dans le Nord-Est, se trouvent à une distance relativement proche de New York, qui est la destination numéro 1 où les étudiants de ces universités souhaitent s'installer après avoir obtenu leur diplôme.

« Le réseau d'universités d'excellence situées dans et autour de la ville de New York est tout simplement exceptionnel, et contribue incontestablement à nourrir la croissance de l'industrie technologique locale en lui fournissant les talents dont elle a besoin », affirme Julie Samuels, directrice exécutive de Tech:NYC.

La porte d'entrée de l'Amérique

Par rapport à la Silicon Valley, New York, est avantageusement positionnée sur la côte Est des États-Unis, a également pour atout d'offrir une porte d'entrée naturelle sur le marché américain pour les jeunes pousses issues d'écosystèmes européens foisonnants comme Londres, Berlin, Lisbonne ou Paris, qui sont ainsi promptes à y ouvrir un deuxième bureau, profitant d'une distance et d'un décalage horaire moins importants.

La jeune pousse londonienne des fintechs Detected vient ainsi d'ouvrir son premier bureau américain à New York, emboîtant le pas aux néobanques Revolut et N26, ainsi qu'à la jeune pousse française Dataiku, spécialisée dans le traitement des données.

Un maire payé en bitcoin

La Grosse Pomme peut également compter sur un pouvoir politique conscient de son potentiel dans l'industrie des nouvelles technologies et désireux de capitaliser dessus. En juin 2021, l'ancien maire Bill de Blasio a ainsi lancé la LifeSci NYC initiative, un plan d'investissement d'un milliard de dollars sur quinze ans visant à faire de la ville un épicentre mondial de l'innovation dans les sciences du vivant. En 2017, son administration avait également adopté un plan visant à doubler le nombre d'étudiants de la City University of New York (université publique de la ville) obtenant un diplôme lié aux nouvelles technologies d'ici 2022.

Le maire actuel, Eric Adams, a quant à lui lancé début janvier un programme d'apprentissage visant à former ou reformer 30.000 travailleurs d'ici 2030, en mettant l'accent sur les métiers de l'informatique et des nouvelles technologies. Après avoir affirmé sa volonté de développer l'écosystème new-yorkais des cryptomonnaies durant sa campagne, il a intégralement converti ses trois premiers mois de salaire en bitcoin, et son administration étudie actuellement l'usage de la blockchain pour la gestion de l'identité et de la propriété foncière.

Un vivier idéal pour les fintechs

Avec Wall Street en épicentre de l'écosystème financier international, les cryptomonnaies et les fintechs constituent un choix naturel pour l'écosystème technologique new-yorkais. À mesure que les nouvelles technologies deviennent essentielles au bon fonctionnement des marchés financiers, Wall Street cherche de plus en plus à tisser des liens avec les startups du secteur, ainsi qu'à recruter directement des profils familiers avec les nouvelles technologies.

« Une révolution est à l'œuvre dans la finance, qui vise à exploiter les possibilités du cloud et du traitement des masses de données par l'intelligence artificielle pour construire une finance plus automatisée, réactive et prospective. Pour les startups qui cherchent à transformer ce secteur, se trouver à proximité des géants de Wall Street est un atout indéniable », note Joe Dormani, investisseur chez Thomson Reuters, un fonds en capital-risque. Preuve de cet engouement de la finance pour les nouvelles technologies, la Stern School of Business, prestigieuse école de commerce de l'Université de New York, s'est dotée l'an dernier de son premier master en fintechs.

La tech, au-delà de la tech

Pour autant, l'écosystème technologique new-yorkais est loin de se cantonner à la finance. La croissance de celui-ci bénéficie en effet d'une autre tendance, celle d'une économie numérique qui va désormais au-delà de l'informatique et du logiciel et transforme des pans de l'économie bien en place comme la santé, le droit et l'industrie.

« Lorsque Newlab a ouvert ses portes en 2016, la tech new-yorkaise était peu diversifiée et concentrée sur quelques secteurs bien particuliers comme les fintechs. Depuis, le secteur a crû en volume, mais aussi en diversité : sur les cinq dernières années, nous voyons de nombreuses startups se lancer autour de la robotique, les sciences des matériaux, les biotechnologies, les transports et les énergies vertes », note ainsi Garrett Winther.

Face à cette tendance de rhizomisation de la tech vers d'autres industries, la diversité économique de New York joue à plein en sa faveur, pour Sharon Zukin. « Media et divertissement, santé et hôpitaux, finance, droit... New York bénéficie d'une économie extraordinairement riche et diversifiée. Tous les investisseurs et entrepreneurs que j'ai interviewés dans le cadre de mon livre en parlaient comme d'un facteur déterminant dans leur installation sur place, car ils veulent intégrer leur technologie à ces différents secteurs de l'économie. »

La ville devient notamment l'épicentre d'un mouvement qui vise à réinventer l'industrie grâce aux nouvelles technologies, dans une double optique de réindustrialisation et de protection de l'environnement. Nombre de sociétés travaillant dans cette optique choisissent New York comme centre de R&D et installent des usines dans le reste de l'État ou du pays, selon Garrett Winther. « Avec tout le capital qui transite par la ville, New York constitue un point névralgique pour l'innovation et le passage à l'échelle aux États-Unis. C'est ici que toute une nouvelle économie est en train de s'inventer. »

La ville bénéficie, enfin, d'une dynamique industrielle positive au sein de l'État de New York : ainsi, à l'automne dernier, l'entreprise Micron a-t-elle investi 100 milliards de dollars pour y construire une usine de microprocesseurs. Une semaine plus tard, IBM annonçait à son tour débourser vingt milliards de dollars pour développer et fabriquer des puces dans la vallée de l'Hudson.

Deux projets qui bénéficieront d'aides du gouvernement dans le cadre du CHIPS and Science Act, signé par Joe Biden durant l'été 2022, dans le cadre d'une stratégie visant à relancer l'industrie américaine autour des technologies de pointe. Un mouvement auquel New York entend bien contribuer.

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Commentaire 1
à écrit le 28/02/2023 à 14:02
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Cela ne se voit pas dans la balance commerciale des USA qui se creuse face à la Chine communiste! Ne parlons pas du déficit budgétaire qui est mortel.

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