Le marché de la femtech est-il prêt à décoller ?

Inexistant jusqu'à peu, le marché de la femtech -l'innovation au service des problématiques des femmes- prend de l'ampleur aux Etats-Unis et commence à se structurer en France autour de quelques startups et de l'initiative FemTech France. Pourtant, les investisseurs peinent toujours à prendre au sérieux un marché qu'ils considèrent encore comme une niche, alors qu'il concerne la moitié de la population. Décryptage.
L'application Nabla est l'une des startups de la femtech les plus en vue en France.
L'application Nabla est l'une des startups de la femtech les plus en vue en France. (Crédits : DR)

Tabou des tabous depuis toujours, la santé féminine s'impose peu à peu sur la scène de la tech. En une décennie, le nombre de startups consacrées à la fertilité, à l'endométriose, à la santé sexuelle, ou encore à la ménopause, a explosé. À l'échelle de la planète, plus de 1.000 femtech proposent des technologies et solutions pour le bien-être et la santé des femmes. Le marché mondial dépasse les 50 milliards de dollars et devrait approcher les 100 milliards de dollars en 2030, selon l'agence Femtech Analytics. Cette tendance est tirée par les États-Unis, où sont concentrés 40 % des acteurs du secteur, dont deux licornes : la "clinique virtuelle" Maven et la startup Bellabeat, qui propose aux femmes de mieux gérer leur santé grâce à l'analyse de leurs données corporelles.

Des barrières très spécifiques aux femtech

La France reste encore loin derrière le pays de l'Oncle Sam, mais ces entreprises gagnent du terrain. Station F accompagne depuis fin 2021 des startuppers avec son programme Femtech, dont la troisième promotion a démarré en mars. Les femtech doivent contourner des obstacles bien spécifiques, comme la censure de mots clés jugés pornographiques sur les réseaux sociaux, par exemple.

« Notre ambition a été de lever quelques barrières et freins structurels. Certains sujets qui touchent à la santé des femmes restent tabous dans le monde de l'entreprise comme dans la vie privée. Dans la Femtech, beaucoup d'entrepreneurs sont des entrepreneuses, or une ribambelle de données confirme qu'une femme a encore plus de difficultés à lever des fonds, ce qui reste un blocage important », avance Marwan Elfitesse, responsable des programmes startup de l'incubateur.

Et de poursuivre : « Compte tenu de leur niveau de maturité, ces startups sont parfois beaucoup plus proches des business angels. Lorsque ces investisseurs viennent nous voir, la thématique Femtech revient d'ailleurs assez souvent ».

Les deux premières promotions ont levé environ 11 millions d'euros. Et le programme compte déjà plusieurs réussites notamment Emagina (Bordeaux), qui a récolté 1,3 million d'euros. De son côté, Sorella Care a ouvert sa première un espace de santé pluridisciplinaire consacrée aux femmes à Issy-les-Moulineaux et vise 12 centres d'ici 2026.

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Une « niche » pour les investisseurs... mais un marché énorme

Mais le financement reste un problème majeur pour les startups de la femtech, avec des fonds encore très masculins et des investisseurs peu sensibilisés aux thématiques abordées. Avec ses 17 millions d'euros récoltés, la parisienne Nabla -application d'informations et de conseils pour les femmes- reste une exception, en partie liée à ses fondateurs, parmi lesquels deux anciens de Facebook.

La femtech française connaît d'autres succès. L'application de suivi de grossesse Efelya (Vannes) compte désormais plus de 90.000 utilisateurs dans 120 pays. De son côté, la sonde de rééducation périnéale de Fizimed (Strasbourg) est distribuée aux États-Unis, en Asie et en Europe. Elle est même remboursée en Allemagne.

Delphine Moulu, ancienne directrice du programme Femtech de Station F, est cofondatrice de FemTech France : « Nous avons voulu réunir l'écosystème qui était beaucoup trop fragmenté, en créant plus de synergies et de collaborations entre les différents acteurs. Il y a quelques années le terme de marché de niche revenait assez souvent chez les investisseurs, alors que la moitié de la population est concernée. Mais les choses commencent à changer ». Un quart des 81 startups recensées par le collectif interviennent en santé reproductive (cycle menstruel, fertilité). Parmi les autres sujets de prédilection, la santé globale (par exemple des téléconsultations spécialisées), les maladies chroniques (notamment l'endométriose) et la maternité.

Juliette Mauro, également cofondatrice de FemTech France et créatrice de My S Life -appli dédiée à la santé sexuelle des femmes-, explique : « Beaucoup de femtech sont portées par des femmes qui ne viennent pas du monde la santé. Le discours et l'approche sont donc parfois un peu différents, ce qui peut être un frein. D'où l'importance pour nous que l'écosystème de la santé leur fasse une place. Cela serait vraiment dommage que la patrie de Simone Veil et de Simone de Beauvoir rate le coche d'un secteur essentiel pour la santé publique, qui a aussi un bel avenir économique compte tenu de l'évolution du marché mondial ».

Pour aider ces entrepreneuses, FemTech France a conduit une première formation soutenue par le laboratoire Organon et le groupe mutualiste VYV, en fin d'année dernière. Signe d'un intérêt croissant, le salon Vivatech, vitrine de la technologie française, accueillera en juin prochain un village Femtech en partenariat avec le collectif.

La santé des femmes au travail, nouvel eldorado ?

Après la multiplication des solutions dédiées aux cycles menstruels ou à l'endométriose, de nouvelles perspectives s'ouvrent pour le secteur. « La création de Ninti est partie du constat d'un manque d'accompagnement pour les femmes en entreprises sur les différents sujets liés à la santé féminine, que nous avons nous-mêmes vécu en tant que salariées. Nous nous sommes positionnées sur les questions de fertilité, de post-partum, et de ménopause dans une approche holistique et interdisciplinaire. Un intérêt commence à émerger dans le monde du travail, nous discutons aujourd'hui avec une quinzaine d'entreprises », explique Olga Kokshagina, co-fondatrice de la startup.

La jeune pousse parisienne propose aux entreprises des webinaires pour leurs salariées et l'accès à un réseau de professionnels pour mettre en place un dispositif adapté à leurs besoins. Elle s'adresse aussi directement aux femmes actives à travers sa plateforme. Les utilisateurs accèdent à des contenus vérifiés, des événements, une communauté, et peuvent être orientés vers des professionnels de santé (gynécologues, nutritionnistes, spécialistes de la santé mentale, sexologues...).

Créée fin 2021, Ninti vient de lancer une levée de fonds avec un objectif de 500.000 euros. Elle compte désormais recruter des développeurs, trouver ses premières entreprises pilotes et conduit un projet avec une maternité au Portugal. « Nous sommes en train d'inventer un nouveau modèle, ce qui est très déroutant pour beaucoup d'investisseurs. Pour que le marché des femtech soit durable, une vraie réflexion doit être conduite afin de créer une dynamique auprès des fonds d'investissement et être considérées comme des entreprises comme les autres intervenant sur la santé », souligne Fatoumata Ly, la deuxième cofondatrice de Ninti. Et avec seulement 4% de l'ensemble des fonds de R&D en santé concernant spécifiquement les femmes, le défi à relever est de taille.

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Commentaire 1
à écrit le 19/04/2023 à 18:27
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On invente des problèmes pour créer des solutions rémunératrices, c'est digne de la finance ! ;-)

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