"11,6 milliards d'euros levés, et moi et moi et moi ?", pourraient chanter en cœur les entrepreneures de la French Tech en paraphrasant Jacques Dutronc. C'est le principal enseignement de la troisième édition du Baromètre de l'association Sista, qui fédère des femmes de la tech, et du cabinet de conseil BCG, sur les conditions d'accès au financement des femmes dirigeantes de startups.
On aurait pu espérer que l'afflux inédit et spectaculaire de liquidités sur la French Tech en 2021 soit l'occasion de financer d'autres profils que celui du fameux "hommes-blanc-urbain-surdiplômé". Et notamment celui des femmes. L'année historique et euphorique de la French Tech en 2021, qui a battu tous ses records de fonds levés et de création de licornes, n'a que très peu profité à la gente féminine.
"Le financement des équipes 100% féminines se dégrade"
Comme un symbole, aucune des 25 licornes actuelles - startup non cotée en Bourse et valorisée au moins un milliard de dollars - n'est dirigée ou codirigée par une femme. Si certaines, notamment la pépite de la cybersécurité Tehtris cocrée et dirigée par Elena Poincet, ou Innovafeed cofondée par Aude Guo, pourraient prétendre à ce statut dans les années à venir, la situation s'est même aggravée en 2021 pour les équipes dirigeantes 100% féminines. Non seulement ce profil de dirigeante d'entreprise est rare - 8% contre 76% pour les hommes- mais elles sont surtout 4,3 fois moins bien financées que les équipes masculines.
Plus inquiétant encore, ce fossé s'agrandit. Il y a trois ans, en 2018, l'écart n'était "que" de 2,4 fois. "Le financement des équipes 100% féminines se dégrade", alerte l'étude, alors même que Sista a fait signer à la plupart des fonds français une charte pointant du doigt leurs biais cognitifs à l'égard des femmes, et les engageant à davantage financer les équipes mixtes et féminines.
A LIRE AUSSI | Souveraineté, Bourse, Gafam, taille critique, mixité : les cinq faiblesses de la French Tech
Et quand les équipes féminines lèvent des fonds, les montants ne sont jamais spectaculaires. En 2021, aucune levée supérieure à 50 millions d'euros n'a été menée par une startup dirigée par une ou des femmes. Les dirigeantes ne pèsent d'ailleurs que 5% des tours de table de moins de 15 millions d'euros, et à peine 2% de ceux entre 15 et 50 millions d'euros.
La mixité, la clé du succès ?
La faute, bien sûr, à cet "héritage" très masculin dans la tech. Pour réussir à lever des fonds quand on est une entrepreneuse, il faut donc s'associer à des hommes. C'est même, d'après le rapport, la meilleure chance de succès auprès des investisseurs, pour les femmes certes, mais aussi pour les hommes. "Les équipes avec des fondateurs mixtes ont 1,4 fois plus de chance d'être financées", relève l'étude.
Pour les premiers tours de table, les investisseurs se laissent même davantage séduire par les équipes mixtes que par les équipes 100% masculines, ce qui est une première.
"Les équipes mixtes lèvent entre 0,4 million d'euros et 0,8 million d'euros de plus que les équipes 100% masculines sur les premiers tours", c'est-à-dire l'amorçage et la Série A, précise le rapport.
Cette proportion a beau être anecdotique, elle confirme tout de même une légère tendance : de plus en plus d'hommes et de femmes s'associent pour créer une startup. De 2008 à 2018, 10% des pépites ont été fondées par une équipe mixte, contre 16% en 2021. "La diversité de genre au sein des équipes fondatrices de startups a augmenté de 9 points en trois ans, et 70% de cette hausse est due aux équipes mixtes", décrit l'étude.
Désormais, 70% des femmes créent en équipe mixte. Les hommes, eux, ressentent beaucoup moins ce besoin. "Moins d'un fondateur sur cinq entreprend aujourd'hui avec une femme, même si cette fréquence a tout de même doublée depuis 2018", notent les auteurs.
Les équipes d'hommes dominent (encore)
Malgré ces progrès mineurs mais réels, la réalité reste que la French Tech est un monde d'hommes. Si les équipes mixtes performent mieux sur les tours d'amorçage et de Série A, les équipes 100% masculines - tous tours confondus - lèvent 4 millions d'euros de plus que les équipes avec au moins une femme. Et au global, un homme lève 1.6 fois plus et une femme 3.4 fois plus en s'alliant avec un homme plutôt qu'avec une femme.
Ainsi, 76% des startups fondées en 2021 le sont uniquement par des hommes. C'est mieux qu'en 2018 (82%) et que lors de la période 2008-2018 (85%), mais à ce rythme, la parité dans les équipes fondatrices sera atteinte en... 2055. Il y a trois ans, l'équilibre était prévu en 2085, preuve que le rythme s'accélère rapidement... mais pas assez.
Sujets les + commentés