La tech ne brille pas par sa parité, c'est bien connu depuis des années. Problème : la situation ne s'arrange pas. La nouvelle économie de l'innovation et de la technologie fait même pire que l'ancien monde à tous les niveaux. Ainsi, on savait déjà qu'aucune femme ne dirigeait une startup du Next40, l'indice regroupant les 40 pépites les plus prometteuses de la French Tech, alors que 3 femmes sont à la tête d'une entreprise du CAC40. On apprend désormais que le phénomène se retrouve dans les postes de direction. D'après une nouvelle étude du collectif féminin Sista avec le Boston Consulting Group (BCG), ces postes stratégiques dans l'entreprise sont occupés à seulement 18% par des femmes dans le Next40, contre 20% dans le CAC40, et 22% dans le French Tech 120, l'équivalent tech du SBF120.
Autrement dit, ce ne sont pas les 40 têtes de proue de la tech française, dont beaucoup ont pourtant vocation à intégrer le CAC40 d'ici à 2030, qui vont régler ou ne serait-ce améliorer le problème de parité de l'économie française. « Les résultats de notre étude sont contre-intuitifs. Nous aurions aimé découvrir une tendance plus positive au sein du French Tech 120 et confirmer que ces startups, qui seront les grandes entreprises de l'économie de demain, sont plus en avance sur les questions de parité. Il n'en est rien », déplore Leila Hamidou, directrice associée au BCG, responsable du réseau Women@BCG France et co-auteure du rapport.
Un quart des entreprises du French Tech 120 n'ont aucune femme dans les postes de direction
Dans le détail, l'étude regorge de mauvaises nouvelles. Car ces 22% de femmes dans les postes de direction du French Tech 120 se concentrent principalement à deux postes : 70% d'entre elles dirigent la direction des ressources humaines et 50% la direction du marketing. Une mauvaise nouvelle car cette concentration des femmes dirigeantes sur deux postes déjà très féminisés n'indique en rien une évolution de la place des femmes dans l'entreprise.
L'étude explore pourtant onze postes clés de direction, c'est-à-dire le CEO (directeur général) et ses N-1 directs. Parmi ces postes, les auteurs distinguent six postes particulièrement stratégiques du noyau exécutif : le CEO, le CTO (direction technique), le CFO (direction financière), le CPO (direction produit), le COO (direction opérationnelle), et le CRO (pour "chief revenue officer" ou direction commerciale). Mais la part des femmes est encore plus faible dans ces six postes : 9% seulement dans le Next40, 16% dans le French Tech 120. Pour les deux postes les plus stratégiques d'une startup -le CEO et le CTO-, il y a 7 femmes CEO dans le French Tech 120 (aucune dans le Next40), et 3 femmes CTO (aucune dans le Next40).
Par ailleurs, près de 25% des entreprises du French Tech 120 ne comptent aucune femme à leurs postes de direction. C'est 12 points de plus que les entreprises du CAC40, qui comptent seulement 13% d'entreprises sans aucune femme dirigeante.
La progression de cet indice viendra en partie de la capacité de la French Tech à faire émerger des femmes CEO, car lorsque la startup est fondée exclusivement par une équipe masculine -comme 90% des entreprises du French Tech 120- la part des femmes aux postes du noyau exécutif chute à 11%. A l''inverse, elles sont 23% dans les startups fondées par des équipes mixtes, et 29% dans celles fondées par une équipe 100% féminine.
C'est aussi un problème de « pipeline » : les écoles d'ingénieur ne comptent que 20% de femmes, ce qui se répercute ensuite sur les choix des dirigeants, tous secteurs confondus. « Les CEO avec une formation d'ingénieur ne nomment en moyenne que 10% de femmes aux postes du noyau exécutif, contre 17% des CEO ayant une formation business, réputée plus paritaire », indique l'étude.
Des signaux faibles laissent entrevoir une amélioration à moyen terme
Autre signal négatif : plus la startup est à un stade de développement avancé, moins elle compte de femmes dans sa direction. Dans les grosses scale-ups, qui en sont à leur série C ou D dans leur financement -troisième ou quatrième levée de fonds synonyme d'expansion rapide à l'international et des centaines de salariés), seuls 7% des postes du noyau exécutif sont occupés par des femmes. « Ce moment correspond à une pression accrue du business et des dirigeants pour recruter des profils avec plusieurs années d'expérience et les profils masculins sont souvent privilégiés ».
Encore une fois, les résultats de l'étude sont contre-intuitifs, puisqu'on pourrait penser que plus une entreprise grandit, plus elle soigne ses recrutements et plus elle peut faire attention à la parité et se fixer des objectifs. Ce n'est pas le cas... à l'exception notable des deux extrêmes du spectre de la taille d'entreprise. Ainsi, les femmes dirigeantes sont 29% dans les startups comptant moins de 50 salariés, et 27% dans les (rares) champions de plus de 1.000 salariés. « Cette féminisation peut s'expliquer en partie par l'effet positif de la loi Rixain, qui oblige les entreprises de plus de 1000 employés à avoir 40% de femmes dans leurs instances dirigeantes dès 2025 », explique l'étude.
Autrement dit, si la French Tech est encore très loin du compte, des signaux faibles laissent entrevoir une vraie amélioration de la parité à moyen terme. A la fois car les petites startups d'aujourd'hui, qui ont davantage de femmes dirigeantes, deviendront peut-être grandes demain et maintiendront cette culture d'entreprise. Mais aussi car la loi oblige les grandes entreprises à recruter des femmes dirigeantes. Les pépites du Next40, qui n'ont pas encore atteint ce statut, devront se mettre en conformité.
Certaines des nombreuses initiatives de parité dans la French Tech semblent également sur le point de porter leurs fruits. Le Pacte Parité, lancé par la Mission French Tech en juin dernier, pousse les startups à respecter les principes d'une charte pour la parité, et 72 des 120 startups du French Tech s'en sont officiellement emparées. Pour l'instant, ce ne sont que « paroles paroles », mais celles-ci se transformeront peut-être en actes dans les prochaines années.
Sujets les + commentés