Luc Julia, l'inventeur de Siri, veut augmenter l'intelligence artificielle

PORTRAIT. Spécialiste de l'IA et des objets connectés, l'inventeur de l'assistant vocal d'Apple Luc Julia dirige l'innovation de Samsung.
Luc Julia est le cocréateur de l'assistant vocal Siri pour Apple.

« Dis, Siri, qui est Luc Julia ? ». « Désolé, je ne vois pas de Luc Julia dans vos contacts ». L'assistant vocal d'Apple ne connaît pas son créateur : on est toujours trahi par les siens. Ce jeudi ensoleillé de février, Luc Julia, vice-président innovation de Samsung, est de passage à Paris pour promouvoir son livre "L'intelligence artificielle n'existe pas" (First Editions). Carrure d'athlète et chemisette à fleurs de Californien (il a la double nationalité), le quinquagénaire est une des figures françaises de l'intelligence artificielle et de l'IoT (Internet des objets).

Avant de prendre en 2012 la direction de l'innovation de Samsung (1 milliard d'objets connectés vendus par an), le natif de Toulouse a d'abord été un gamin bricoleur qui fabrique un robot avec un vieux moteur d'aspirateur, pour faire le lit à sa place. Cette découverte de l'électronique va l'amener vers sa vraie passion : l'informatique. Dès ses 12 ans, il se met à la programmation (et au piratage) sur un ordinateur Commodore. « J'ai même hacké le Minitel », évoque en souriant le docteur en sciences informatiques.

Il intègre le CNRS au début des années 1990, mais, alors qu'il veut travailler avec des collègues de Grenoble, on l'en empêche pour des raisons de budget et de concurrence interne : « Moi qui voulais collaborer et échanger avec les autres chercheurs, j'ai décidé de partir. » Direction Boston et le MIT (Massachussets Institute of Technology), où certains articles du chercheur français ont été remarqués. Mais l'hiver de la côte est est trop rude pour le Toulousain qui s'envole alors vers la Californie et le SRI, le centre de recherches de l'université de Standford.

« J'ai découvert un melting pot de gens différents qui travaillaient ensemble dans un esprit très conquête de l'Ouest. Au bout de trois ans, j'ai eu mon propre labo, le Chic (Computer Human Interaction Center), doté d'un budget de 200.000 dollars et d'une équipe ! Une chose totalement impossible au CNRS où j'aurais dû franchir plusieurs échelons et attendre dix ans », explique Luc Julia, qui se met à travailler 120 heures par semaine.

Heureusement, il ne dort que quelques heures par nuit.

Frigo intelligent

L'arrivée d'Internet et son goût pour les interfaces de programmation débouchent en 1996 sur le premier frigo intelligent, vingt ans avant la commercialisation de ce genre d'équipement : « Il avait un écran et pouvait aller chercher des recettes de cuisine sur le Net. C'était le début des objets connectés, qu'on n'appelait pas encore IoT (Internet of Things) ».

Avec Adam Cheyer, codirecteur du Chic, Luc Julia dépose ensuite les premiers brevets de The Assistant, l'ancêtre de Siri. Après dix ans de recherches en laboratoire, le frenchie de la Silicon Valley crée l'incubateur BravoBrava ! , un des premiers du genre, dont vont sortir plusieurs produits comme le Reading Assistant pour aider les écoliers en phase d'apprentissage de la lecture, logiciel vendu à plusieurs dizaines de milliers d'écoles américaines, puis un software d'apprentissage des langues qui sera un succès au Japon.

En 2005, c'est la naissance de la startup Orb Networks, laquelle met au point un dispositif pour regarder la télévision en direct sur son téléphone portable, qui gagne plusieurs prix au CES de Las Vegas.

En 2010, après dix ans de recherches puis dix ans de startup, ce père de deux enfants de 14 et 16 ans décide qu'il est temps d'intégrer un grand groupe. Hewlett-Packard l'embauche pour développer son projet d'imprimantes connectées et il découvre alors la force de frappe des multinationales. Avec une équipe de 250 personnes, il développe ce qui deviendra ePrint pour piloter les imprimantes à distance. Dès la première année, HP écoule 80 millions d'imprimantes connectées.

Malgré ce succès, l'informaticien décide de rejoindre Apple après le rachat par la marque à la pomme de Siri, un spin-off du SRI. Mais Steve Jobs, qui pilotait le projet, décède juste avant l'arrivée de Luc Julia (qui, au passage, confirme que le génial businessman qu'il avait rencontré en 2003 n'était pas une bonne personne). Néanmoins, Julia et son équipe réussissent à mettre au point ce qui sera le premier assistant vocal de l'histoire, ouvrant la voie aux Alexa, Cortana et Google Home.

Le Français, qui vit dans une smart home au milieu de 200 objets connectés, décide de revenir à ses premières amours, l'IoT, qu'il préfère nommer Intelligence of Things, et intègre le géant coréen Samsung. Young Sohn, président chargé de la stratégie, avoue ne pas comprendre ce qu'il fait mais l'embauche sur « sa bonne réputation ». En cinq ans, Luc Julia va développer une plateforme cloud capable de connecter le milliard d'objets fabriqués et vendus par Samsung chaque année.

Fantasmes

Très énervé par « les délires de personnes qui ont tout intérêt à nourrir les fantasmes populaires sur les méchants robots qui vont prendre le pouvoir ou tous nous tuer » (qu'il qualifie de « bouffons »), l'informaticien s'attelle à la rédaction d'un livre destiné à expliquer comment fonctionne vraiment l'intelligence artificielle, et surtout pourquoi il faut parler plutôt d'intelligence augmentée. Le livre sorti début février cartonne (sold out sur Amazon dès le premier jour) et le père de Siri enchaîne les plateaux télé.

Après avoir vaincu deux cancers, celui qui se dit non croyant et même « bouffeur de curés » s'interroge :

« Quand je réfléchis à l'intelligence, une notion très difficile à cerner, et comment la modéliser artificiellement, ce que je ne crois pas possible, je suis obligé de me poser la question "Et Dieu dans tout ça ?" ».

Réponse de Siri : « Franchement, je ne sais pas quoi répondre à ce genre de question ».

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PROFIL

1966 : naît dans la région toulousaine.
1995 : doctorat en sciences informatiques.
1994 : directeur du Computer Human Interaction Center (Chic) au SRI International de Standford.
2000 : cofondateur de l'incubateur BravoBrava !
2010 : invente la première imprimante connectée pour Hewlett-Packard.
2011 : directeur du programme Siri chez Apple.
Depuis 2012 : vice-président de Samsung Electronics.

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