Jeux vidéo, musique, WeChat : Tencent ciblé de toutes parts par l'Etat chinois

L'action du géant technologique chinois, qui opère la messagerie WeChat et de nombreux jeux vidéos populaires, a perdu 15% de sa valeur en une semaine suite à un nouvel assaut des autorités contre le secteur des jeux vidéo, désormais considéré comme un "opium pour l'esprit" et une "drogue électronique". Dominant dans plusieurs secteurs de l'Internet chinois -réseaux sociaux, musique en ligne, jeux vidéo-, Tencent subit de plein fouet la récente reprise en main de la tech par Pekin.
Sylvain Rolland
(Crédits : ALY SONG)

Sale temps pour la tech chinoise. Alors que les géants du numérique américains -les Gafam Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft- battent record sur record en Bourse depuis le début de l'année, ses équivalents chinois -les Batx Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi notamment- dégringolent. Depuis le début de l'année, l'action de Tencent a perdu 26% de sa valeur, dont 15% en une semaine. Ses compères ne se portent pas mieux : l'action Baidu a fondu de -36%, celle d'Alibaba de 29%, et celle de Xiaomi de 32%.

La raison : la brutalité du tour de vis de l'Etat chinois sur son secteur de la tech. Si Pekin a amorcé ce mouvement depuis 2017, les mesures visant directement ses géants -privés- du numérique se sont intensifiées ces derniers mois. Depuis le blocage spectaculaire, à l'automne dernier, de l'entrée en Bourse de la fintech Ant Group, filiale d'Alibaba, Pekin a lancé une loi anti-concurrentielle et un "RGPD chinois" qui donnent des sueurs froides aux investisseurs, a distribué une pluie d'amendes très salées notamment contre Didi -le Uber chinois-, et sort régulièrement de son chapeau de nouvelles obligations sur des sous-secteurs entiers de la tech comme l'éducation ou les jeux vidéo. Autrement dit, le pouvoir chinois dégaine toutes les armes à sa disposition pour reprendre le contrôle de son secteur technologique.

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Sous pression, Tencent restreint l'accès à ses propres jeux vidéo

Si Alibaba a été le premier à subir les foudres du pouvoir central avec la débâcle Ant Group en novembre dernier, mais aussi l'amende record de 18 milliards de yuans (2,3 milliards d'euros) pour abus de position dominante dans le commerce en ligne infligée en avril ou encore l'obligation de se défaire de ses actifs dans les médias, Tencent n'est pas en reste.

Principalement connu pour sa messagerie WeChat, incontournable en Chine, Tencent est également le numéro un mondial des jeux vidéo en terme de chiffres d'affaires. Il édite notamment le succès planétaire League of Legends et le jeu de rôles sur mobile Honor of Kings, qui est un véritable phénomène de société en Chine avec plus de 100 millions d'utilisateurs actifs quotidiens. Lors du trimestre écoulé, les jeux vidéo ont une nouvelle fois représenté pour Tencent sa plus grosse source de revenus avec 43 milliards de yuans soit 5,6 milliards d'euros, en hausse de 12% sur un an.

Mais début août, la presse économique d'Etat a estimé que les jeux vidéo sont devenus un "opium mental" et une "drogue électronique" pour la jeunesse, faisant craindre au secteur un nouveau tour de vis réglementaire des autorités, deux ans après la promulgation d'une loi qui a interdit l'usage des jeux vidéos pour les mineurs entre 22h et 8h. L'article épinglait en particulier Honor of Kings, qui permet à des joueurs de s'affronter en incarnant des personnages historiques chinois et d'acheter des artefacts comme des costumes et des compétences supplémentaires.

Sous pression, Tencent, qui imposait déjà en Chine des limitations de temps de jeu et la reconnaissance faciale pour empêcher les moins de 18 ans de jouer la nuit, a encore durci ses règles. Lors de la présentation de ses résultats trimestriels, mercredi, le groupe a annoncé qu'il va restreindre le temps de jeu à une heure par jour pour les mineurs, et à deux heures maximum pendant les vacances scolaires, pour l'ensemble de ses jeux, à commencer par Honor of Kings.

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Données personnelles, musique, médias, réseaux sociaux : Tencent ciblé de partout

Ce n'est pas tout. Ces dernières semaines, la plupart des activités de Tencent ont été dans le viseur de l'Etat. Toujours dans les jeux vidéo, le régulateur chinois des marchés a bloqué au nom de la concurrence la fusion des deux plus grandes plateformes de jeux vidéo en ligne de Chine, Huya et Douyu. Or, Tencent espérait prendre le contrôle de la nouvelle entité pour asseoir son emprise sur le secteur, car les deux acteurs combinés pèsent 80 à 90% de part de marché, selon les analystes. L'entreprise a vu également ses ambitions freinées dans le domaine de la musique : toujours au nom de la concurrence, Tencent a été contraint de renoncer, fin juillet, à ses droits exclusifs qui lui permettaient, depuis son rachat de China Music Group en 2016, de contrôler plus de 80% des droits exclusifs de diffusion de musique en streaming dans le pays.

Le groupe est également surveillé de près sur sa gestion des données personnelles, qui fait l'objet d'une attention particulière des régulateurs. Alors que ses pratiques étaient ne posaient pas de problème depuis des années, Tencent fait l'objet d'une enquête des autorités sur son utilisation des données personnelles des utilisateurs de WeChat. Dans ce cadre, il a été forcé, fin juillet et pendant plusieurs jours, d'interrompre tout recrutement de nouveaux utilisateurs, afin d'effectuer une "mise à niveau de sécurité" pour se conformer aux "lois et réglementations pertinentes".

WeChat fait encore une fois partie d'une liste, publiée cette semaine, de 43 applications réprimandées pour transfert illégal de données personnelles par le Ministère de l'industrie et des technologies de l'information (MIIT). Sa faute : le transfert jugé illégal de la localisation ainsi que les listes de contacts de leurs utilisateurs. Ces sanctions interviennent alors que l'antitrust chinois a publié, mardi, un projet de réglementation de grande ampleur visant les grandes plateformes technologiques du pays. Au menu de ce texte pour l'instant simplement soumis à consultation, figurent notamment l'interdiction d'utiliser des algorithmes pour favoriser ses propres services au détriment de services concurrents, ou encore l'interdiction des faux avis sur les sites de e-commerce.

Reprise en main politique et économique du secteur de la tech

Ayant retenu la leçon de Jack Ma, l'arrogant patron d'Alibaba qui osait ouvertement défier le pouvoir chinois et s'est retrouvé sur la touche, celui de Tencent, Pony Ma, ne bronche pas. Car désormais, la confusion n'est plus permise : alors que de nombreux analystes avaient d'abord considéré le bras de fer de fin 2020 entre Jack Ma et le pouvoir chinois comme une démonstration d'autorité face à un patron qui s'émancipait un peu trop, l'ampleur des coups de vis réglementaires contre la tech chinoise ces derniers mois montre bien que Pekin souhaite une vraie reprise en main politique et économique de ce secteur stratégique.

Didi, l'empereur chinois des VTC, a dû se retirer de tous les magasins d'applis du pays, payant son introduction en Bourse à New York. Meituan, champion de la livraison à domicile, vit sous la menace d'une amende massive d'un milliard de dollars, d'après le Wall Street Journal, pour avoir obligé ses fournisseurs à utiliser uniquement sa plateforme.

Comme ses équivalents américains les Gafam, les géants chinois du numérique se placent au cœur de la révolution numérique. Ces acteurs privés ont acquis avec le temps une puissance inédite dans l'Histoire, conquérant les uns après les autres des pans entiers de l'économie et rendant obsolète le droit de la concurrence grâce à des pratiques nouvelles de captation de la valeur. Aux Etats-Unis comme en Europe, des régulations d'ampleur se préparent pour adapter les règles de la concurrence à l'ère numérique et encadrer l'exploitation des données personnelles, l'or noir du XXIè siècle.

D'où l'enjeu, pour les Etats, de reprendre la main sur des géants qui ont fixé eux-mêmes leurs propres règles du jeu et disposent, grâce aux données personnelles, d'outils de surveillance, de propagande et de censure qui inquiètent tous les pays et particulièrement une puissance autoritaire comme la Chine.

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 20/08/2021 à 15:28
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Ils ont certainement compris que le numérique avait un fort impact sur l'intelligence et la socialisation de leur population, ce qui va entraîner à long terme une baisse de la performance économique. En Europe, nous devrions mettre en place des règl...

à écrit le 19/08/2021 à 23:18
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C'est spectaculaire.

à écrit le 19/08/2021 à 18:52
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Quand on voit ce que les GAFAM se permettent, on peut penser que le gouvernement Chinois à raison, si ce n'est qu'il est un Parti communiste staliniste Nationaliste dont les buts dont avant tout de contrôler, surveiller, ficher...

le 21/08/2021 à 17:28
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'il est un Parti communiste staliniste Nationaliste dont les buts dont avant tout de contrôler, surveiller, ficher... Exactement comme les GAFAM, quelle est la différence ? Chez nous, on vous dit "cause toujours", alors qu'en Chine on vous dit "tais...

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