Podcasts : comment monétiser la poule aux œufs d'or ?

Un tiers des Français écoutent désormais des podcasts, la plupart de manière quotidienne ou quasi-quotidienne. Un engouement accentué par l'explosion et la diversification de l'offre, qui touche un public de plus en plus large. Si bien que les producteurs de contenus s'intéressent de plus en plus à la monétisation de ce nouveau format audio. Publicités, abonnement ou pourboires, différentes options sont mises sur la table et testées par les acteurs du marché, à commencer par les plateformes de streaming Spotify et Apple Music.
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

Dans les transports, en faisant la cuisine, pendant le sport, avant de dormir, lors d'une pause... Format nomade et de durée variable par excellence, le podcast n'en finit plus de séduire de nouveaux adeptes en France. A l'occasion de la quatrième édition du Paris Podcast Festival, l'agence Havas Paris et l'institut CSA Research ont dévoilé une étude qui confirme la "démocratisation" du podcast dit "natif", c'est-à-dire qui n'est pas une rediffusion d'émission et qui s'écoute le plus souvent sur les plateformes comme Spotify, Deezer et Apple Music. Désormais, 33% des Français, soit un tiers, écoutent ce nouveau média audio en 2021, contre 29% en 2020 et 23% en 2019. Une progression rapide qui révèle un vrai engouement et qui suscite les convoitises des acteurs du secteur, en quête de monétisation.

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Du CSP+ urbain à l'ensemble des Français

D'après Julie Gaillot, directrice du pole Society de l'Institut CSA Research, cette démocratisation est visible parce que "le profil de l'auditeur a commencé à évoluer". Si le noyau dur des adeptes des podcasts, c'est-à-dire les auditeurs hebdomadaires, reste essentiellement des cadres supérieurs de 35 ans en moyenne, avec enfants, très connectés, grands consommateurs de bien culturels et qui habitent dans une grande agglomération, le reste des Français commence à succomber à la fièvre podcast. L'étude souligne ainsi que les auditeurs mensuels ou occasionnels ressemblent davantage à l'ensemble des Français, à la fois au niveau de l'âge et de la catégorie socio-professionnelle.

Pour les habitués, "le podcast est devenu un véritable réflexe: près de 80% d'entre eux déclarent qu'il fait partie de leur quotidien, contre 74% en 2020", note l'étude. Fait notable: une montée en puissance très forte des contenus jeunesse, "une habitude probablement liée à la période pandémique, pendant laquelle les parents ont préféré l'écoute aux écrans", d'après les auteurs.

Explosion et diversification de l'offre

L'enthousiasme des Français pour le podcast s'explique notamment par "l'explosion de l'offre de plus en plus diversifiée", souligne Chloé Tavitian, directrice des narrations audio chez HRCLS (groupe Havas). Les médias se sont notamment pris au jeu, notamment Le Parisien (Code Source), Le Monde (L'Heure du Monde), L'Express (La Loupe), La Tribune (40 Nuances de Next avec France Digitale, Les Héritières) ou encore l'AFP.

Tous les rendent disponibles sur les plateformes de streaming comme Spotify et Apple Music, qui voient dans ce nouveau média audio un relais de croissance et développent également leur propre offre de podcasts "exclusifs" dans l'espoir d'attirer de nouveaux abonnés. En plus des contenus des médias et leurs propres contenus, ces plateformes diffusent également les podcasts de studios dédiés, de marques, d'entreprises et d'institutions.

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Publicités, abonnement, sponsoring, pourboires... quel modèle économique ?

Malgré leur enthousiasme, la majorité des auditeurs hebdomadaires n'est pas prête à payer pour leur écoute. 63% d'entre eux préfèrent avoir des podcasts gratuits avec pub, contre 37% payants sans réclame, d'après l'étude.

Cette question du modèle économique agite le secteur depuis plusieurs années, et la plupart des acteurs attendent avec impatience le moment où l'usage sera assez démocratisé pour pouvoir être monétisé. Et pour cause : produire un podcast coûte entre 200 et 800 euros la minute. Il faut donc trouver un business model capable à la fois de ne pas faire fuir les utilisateurs actuels et d'en recruter de nouveaux. Et c'est là toute la difficulté. Peut-on demander aux consommateurs de produits culturels, déjà assaillis d'abonnements, d'en ajouter un autre à la liste comme le fait Apple Music ? Faut-il plutôt opter pour un modèle publicitaire ou de sponsoring comme L'Express avec La Loupe, ou une newsletter payante à la Binge Audio ?

Une autre idée qui fait son chemin est de développer un système de "pourboire", en utilisant des outils comme Patreon ou Tipeee. Ce système a fait ses preuves chez les YouTubeurs. Il permet au public de rémunérer ses créateurs préférés en leur payant un, deux, cinq ou dix euros pour accéder à leurs contenus.

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Abonnement pour Apple Music, modèle mixte pour Spotify, Deezer "réfléchit"

Pour le leader mondial du streaming audio Spotify, la solution est un mélange entre l'abonnement et la publicité, à la discrétion des créateurs. "On a beaucoup réfléchi à la monétisation et on pense que cela pourrait se mettre en place d'ici à la fin de l'année 2021 ou début 2022", a annoncé mi-septembre à l'AFP la directrice des studios de Spotify en France et au Benelux, Claire Hazan. Concrètement, les créateurs de podcasts, diffusés jusqu'à présent gratuitement sur la plateforme suédoise, pourront soit proposer un abonnement payant qui s'ajoutera à l'abonnement à la plateforme, soit recourir à la publicité. Pour cela, Spotify a lancé la première place de marché publicitaire audio, qui permet aux annonceurs d'acheter des espaces publicitaires pour se connecter aux consommateurs d'audio numérique, et plus particulièrement aux auditeurs de podcasts.

Ce modèle a déjà été mis en place aux Etats-Unis, et Spotify s'est engagé à ne toucher aucune commission jusqu'en 2023, et pas plus de 5% après cette date. Mais en France tout au moins, la superposition des abonnements risque de poser problème. "Il y a des gens qui ont l'impression de déjà payer car ils écoutent des podcasts via des plateformes sur lesquelles ils peuvent déjà avoir des abonnements", analyse auprès de l'AFP Chloé Tavitian, directrice des narrations audio chez HRCLS (groupe Havas).

De son côté, Deezer a indiqué à l'AFP n'avoir "tranché aucun scénario" et "étudier les différentes manières de monétiser le contenu". Ce n'est pas le cas pour Apple Music, qui a opté pour le modèle de l'abonnement depuis juin dernier, partout dans le monde dont en France. Le principe est simple : les abonnements se font à des tarifs fixés par les créateurs de contenus et donnent accès à des épisodes exclusifs, des avant-premières ou des programmes sans publicité. Et Apple préfère sa célèbre commission de 30% sur chaque abonnement. Une part qui passe à 15% après un an d'abonnement.

Des investissements à perte pour l'instant

Malgré un modèle économique qui reste à faire ses preuves, les géants du streaming mettent beaucoup d'argent dans le développement des podcasts. Spotify a dépensé plus de 800 millions de dollars depuis deux ans pour se payer des studios de production, dont les pépites américaines Gimlet Media, The Ringer et Anchor, et des podcasts exclusifs. Des investissements risqués selon le cabinet d'analyse financière américain Citi, pour qui « la cadence de souscription aux abonnements premium et celle des téléchargements de l'appli ne montre aucun avantage matériel issu des récents investissements dans le monde du podcast ».

De son côté, Amazon, lui aussi l'un des leaders mondiaux du streaming audio avec sa plateforme Amazon Music Unlimited, a racheté la plateforme américaine de podcasts Wondery, valorisée environ 300 millions de dollars d'après le Wall Street Journal, et a pris une participation dans la française Sybel, spécialisée dans les podcasts natifs. Avec le même objectif que Spotify : proposer des podcasts exclusifs de qualité à ses abonnés, afin de les retenir dans son écosystème.

Quoi qu'il en soit, malgré les doutes sur la rentabilité du format, l'enthousiasme ne faiblit pas. Et certains comparent la difficile monétisation des podcasts aux doutes que l'industrie de la musique affichait il y a dix ans sur le streaming musical, qui porte pourtant aujourd'hui la croissance du secteur.

(avec AFP)

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 11/10/2021 à 9:18
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Choisir plutôt que subir ...soit mais ce n'est pas uniquement pour "le podcast", mais aussi pour se qui tourne autour!

à écrit le 11/10/2021 à 6:56
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Perso, j'ai pas le temps d'ecouter des podcasts. Je prefere revasser devant la nature, me promener le nez au vent du Pacifique. En cette saison a l'est c'est tout simplement divin. Le vent, les mouettes, les pecheurs, j'en oublie.

à écrit le 10/10/2021 à 16:33
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Tout est compris... jeu d'argent, jeux de pouvoir, pyramides... rien a craindre si vous n'avez rien! On aspire!

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