Sybel, Majelan, Binge Audio... Quel business model pour les podcasts ?

ENQUÊTE. Le secteur bouillonnant du podcast voit défiler de nouveaux acteurs en France depuis le début de l'année. Le dernier-né, Majelan, cristallise déjà les tensions. L'enjeu : le modèle économique de ces plateformes et la répartition de la valeur entre créateurs et producteurs.
Anaïs Cherif
Lancée en avril 2019, Sybel se voit comme le Netflix des podcasts. La startup propose actuellement 1.500 épisodes de podcasts de fiction, réalisés par des créateurs indépendants.
Lancée en avril 2019, Sybel se voit comme "le Netflix des podcasts". La startup propose actuellement 1.500 épisodes de podcasts de fiction, réalisés par des créateurs indépendants. (Crédits : Capture d'écran / Sybel)

Le petit monde du podcast est en ébullition. Sybel, Tootak, Acast... Depuis le début de l'année, le marché français voit débouler de nouvelles plateformes de contenus audio à la demande, en réponse à l'appétit grandissant du grand public pour ce format. Et ce qui devait arriver arriva : le dernier entrant, la startup Majelan cofondée par Mathieu Gallet, l'ex-patron de l'INA et de Radio France, et Arthur Perticoz, déclenche l'ire de certains créateurs et producteurs. Les détracteurs du flux RSS -Majelan agrège sur sa plateforme tous les podcasts qu'il peut trouver- accusent la startup de piller les contenus des autres. La polémique a débuté dès son lancement, le 4 juin dernier. Majelan revendiquait déjà 280.000 contenus - soit 13 millions d'épisodes - dans une quinzaine de langues : des chroniques humoristiques, des fictions, des reportages... Une bibliothèque audio colossale, qui interroge sur la façon dont les podcasts sont aujourd'hui distribués et monétisés sur ce marché en plein essor.

Majelan, juste un simple agrégateur ?

Pour construire rapidement son offre, Majelan a indexé des contenus. "Nous sommes une bibliothèque de flux RSS, qui référence tous les flux d'accès publics où sont diffusés des fichiers sons", explique Mathieu Gallet. Certains créateurs et producteurs, comme Radio France, ont donc retrouvé leurs podcasts sur Majelan, sans avoir passé d'accord préalable. Une lettre ouverte a depuis été signée par 150 podcasteurs indépendants demandant aux plateformes la signature d'accords de distribution.

"Quelques dizaines de créateurs nous ont demandé de retirer leurs podcasts, quand d'autres nous ont contactés pour être sur Majelan", affirme Mathieu Gallet. "En tant qu'agrégateur à 99,9%, notre offre gratuite n'est pas monétisée : si de la publicité est déjà intégrée aux podcasts, nous n'y touchons pas. Nous ajoutons ou retirons aucune publicité. La monétisation est le choix du créateur".

Mathieu Gallet estime donc apporter un revenu supplémentaire aux créateurs en répondant à une demande du public d'accéder à ses podcasts préférés sur une seule plateforme. Mais les créateurs et producteurs mécontents estiment que la startup utilise leurs contenus pour fidéliser des auditeurs, en espérant ensuite les transformer en abonnés. Majelan vend également une offre payante, à partir de 4,99 euros par mois, composée de programmes originaux distribués en exclusivité ou produits par Majelan.

Actuellement, 20 programmes payants seulement sont accessibles - dont 7 produits par la startup. "Ces contenus originaux ont vocation à se multiplier mais nous n'allons pas devenir un studio. Nous sommes avant tout une plateforme tech : toute la technologie est propriétaire", souligne Mathieu Gallet. Parmi les 25 salariés de la jeune pousse, 12 sont des développeurs. La levée de fonds de 4 millions d'euros, menée par Idinvest Partners en décembre dernier, finance essentiellement le développement technologique (algorithme de recommandations, moteur de recherches, systèmes de tags...).

Sybel, le "Netflix des podcasts"

Si Majelan suscite la polémique en agrégeant un catalogue sans payer de licence d'exploitation, Sybel réplique de son côté le modèle gagnant de streaming vidéo et musical, au point de s'autoproclamer "le Netflix des podcasts". Ses contenus de fiction font l'objet d'un accord de licence avec leurs producteurs. La valeur ajoutée de Sybel vient de l'interface, essentielle pour séduire les auditeurs et les aider à découvrir de nouveaux contenus.

La startup propose actuellement 1.500 épisodes de podcasts de fiction, réalisés par des créateurs indépendants. "Je me suis aperçue qu'il était très laborieux de trouver des podcasts de fiction", raconte Virginie Maire, co-fondatrice de Sybel, notamment ex-dirigeante de M6 Web. "D'un côté, il existe une offre très riche et variée, et de l'autre côté, il manque une plateforme facile d'accès. C'est pourquoi le podcast ne s'est pas encore démocratisé", affirme-t-elle.

Dans le détail, une équipe éditoriale sélectionne les programmes et réalise des licences d'exploitation avec les ayants droits. "Nous ne sommes pas un agrégateur de contenus", martèle Virginie Maire. "A terme, nous aimerions disposer de 80% de catalogue et 20% de créations originales".

Comme Majelan, Sybel mise aussi sur le payant. La plateforme est actuellement gratuite "pour installer un usage et évangéliser les auditeurs", mais l'abonnement (4,99 euros par mois) sera déployé avant fin 2019, assure-t-elle. "Il n'y a pas de publicités, et il n'y en aura jamais. Nous ne voulons pas polluer l'expérience utilisateur avec de la publicité, qui peut rapidement être intrusive dans l'audio." La startup d'une vingtaine de salariés a passé la barre des 100.000 utilisateurs actifs. Pour financer son développement, notamment son internationalisation, la jeune pousse a levé 5 millions d'euros en février, mené par le fonds luxembourgeois Mangrove.

Binge Audio, la "radio de l'Internet"

Chez Binge Audio, un des pionnier en France depuis 2015, l'arrivée de nouveaux entrants est vue d'un bon œil. "Plus il y a d'entrants, mieux on se porte. Chacun occupe un territoire", estime Joël Ronez, co-fondateur de Binge Audio, ancien directeur du Mouv' et ex-directeur des nouveaux médias à Radio France. A la différence de ses concurrents, le site place l'actualité et l'information au sens large au cœur de ses programmes. Ils revendiquent 2.600 épisodes en ligne et 1,7 millions d'écoutes cumulées au mois d'avril sur l'ensemble des programmes, pour une durée moyenne d'écoute entre 20 à 25 minutes.

"Nous sommes un média. Binge Audio, c'est un projet éditorial et une identité", revendique Joël Ronez. "J'avais la conviction que les médias d'héritage - presse, radio, télévision - s'adressaient à un public d'âge moyen élevé. Je voulais un territoire plus politique, jeune et engagé sur les thèmes culturels et sociétaux. Les médias existants ne les représentent pas car ils sont la voix dominante."

Avec une cible d'auditeurs entre 18-35 ans, les podcasts produits par Binge Audio balaient les questions de sociétés : "égalité homme-femme, vie animale et végétale, questions liées au corps et au genre, origines sociales...", liste Joël Ronez. L'entreprise, qui ne communique pas sur sa santé financière, dit avoir doublé son chiffre d'affaires entre 2017 et 2018. Ici, pas d'offre d'abonnement. Un quart de ses revenus proviennent des ventes de contenus sponsoring -- ces petits messages lus au début des podcasts par les animateurs. Binge Audio produit également des contenus pour des tiers, comme L'Equipe, Les Echos ou Le Parisien [le groupe les Echos - Le Parisien détient 33% du capital de Binge Audio depuis décembre 2018].

Vers la fin du monopole de la radio ?

Le média, composé d'une quinzaine de salariés, a diversifié ses activités cette année avec la création d'un spectacle de podcasts sur scène. Une tournée est prévue l'année prochaine en province. En parallèle, une activité d'édition est en cours avec le premier livre "Les couilles sur la table" (un de ses programmes-phares), avec pour objectif d'éditer "quelques livres par an".

"C'est un moyen de proposer des expériences additionnelles à notre public. Nous n'envisageons pas d'offre payante à ce stade, c'est encore un peu tôt. Nous avons encore du boulot pour établir des communautés. Car le marché de l'audio et la consommation de contenus audio payants doivent encore grandir. Aujourd'hui, la norme reste le gratuit", selon Joël Ronez.

Si l'offre de podcasts est en pleine explosion, le marché français séduit à petit pas les auditeurs. Selon une étude Médiamétrie publiée en mars"22,8% des internautes écoutent chaque mois des contenus radio en replay, préalablement diffusés à l'antenne (19,5%) et/ou des podcasts natifs (6,6%)". Des chiffres qui ont vocation à grandir avec l'essor des technologies autour de la voix. "Il y a une surconsommation des écrans chez les adultes et les enfants, donc on assiste à la création d'alternatives pour se divertir. Le podcast est multitâche : on peut l'écouter en ayant les mains libres, chez soi, dans les transports...", explique Virginie Maire. "Sans compter qu'on assiste à un retour de la voix, avec l'essor des enceintes connectées." Les enceintes connectées représentent actuellement 5% de l'audience de Binge Audio "alors que c'était inexistant en septembre dernier", chiffre Joël Ronez.

"La façon dont nous consommons l'audio est aussi en train de changer. Aujourd'hui, le référentiel reste la grande émission de radio, produite par une grande chaîne", analyse Joël Ronez. "A terme, la radio linéaire occupera encore une place importante pour les auditeurs, notamment avec les matinales, mais elle touchera un public plus âgé. Le reste de la journée, les auditeurs écouteront de l'audio à la demande - musique ou podcasts. Cela est déjà le cas pour la télévision et les plateformes de streaming, comme Netflix. Le monopole de la radio est terminé."

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2019 à 11:17
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Dans le podcast les flux rss sont utilisés pour permettre aux auditeurs de s'abonner a un contenu, pas pour qu'une société les utilise dans le but de gonfler leur catalogue et inciter les gens a payer... La plupart des producteurs concernés n'ont mêm...

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