Sécurité des données : la conversion difficile de Mark Zuckerberg

À l’ordre du jour de la grand-messe annuelle de Facebook, un changement profond de culture, à la fois indispensable et contre-nature, s’impose.
Opération reconquête. Lors de sa conférence annuelle, Mark Zuckerberg a voulu montrer qu'il prenait le sujet de la cybersécurité au sérieux et a présenté une série de projets.
Opération reconquête. Lors de sa conférence annuelle, Mark Zuckerberg a voulu montrer qu'il prenait le sujet de la cybersécurité au sérieux et a présenté une série de projets. (Crédits : Reuters)

Comme chaque année, Facebook organisait, les mardi 30 avril et mercredi 1er mai dernier, sa conférence annuelle consacrée aux développeurs, à San José, au sud de la Silicon Valley. Une grand-messe qui signe immanquablement l'heure des bilans et des nouvelles projections pour cette entreprise, qui se trouve à la croisée des chemins. Malgré une insolente bonne santé économique, la société est empêtrée dans une série de scandales dont elle peine à se sortir.

Rien que depuis le mois de janvier, Facebook a dû faire face à la révélation d'un programme consistant à rémunérer les utilisateurs (dont certains mineurs) pour espionner leurs activités sur mobile ; la découverte de 540 millions de fichiers utilisateurs exposés sur un cloud public ; celle d'une faille ayant permis à plusieurs entreprises partenaires de Facebook d'accéder aux conversations privées des utilisateurs. S'y ajoute une amende à venir de la Federal Trade Commission pour... violation de la vie privée, dont le montant reste à déterminer, mais qui devrait chiffrer entre 3 et 5 milliards de dollars.

Dans ce contexte tendu, Facebook se devait donc de rassurer ses utilisateurs. Une tâche à laquelle Mark Zuckerberg s'est attelé dès les premières secondes de son discours d'ouverture : « Aujourd'hui, nous allons voir comment construire un réseau social centré sur la protection de la vie privée », a-t-il attaqué en arrivant sur scène. Si la tenue est aussi sobre que d'ordinaire (pantalon noir et t-shirt gris à manches longues), le discours s'est infléchi, le CEO tenant visiblement à montrer qu'il prend les failles de son entreprise en matière de cybersécurité très au sérieux. Le mot « privacy » (« vie privée ») revient en permanence, et la phrase « The future is private » (« le futur est privé ») est répétée comme un leitmotiv.

Des mesures pour regagner la confiance

Mais Mark Zuckerberg a bien conscience qu'il lui faudra davantage que des mots pour convaincre. Aux cris d'enthousiasme poussés par les employés d'Apple aux premiers rangs, répondent le silence et les mines sceptiques d'une partie du public.

« Je sais que nous n'avons pas vraiment la réputation d'être irréprochables en matière de protection de la vie privée, concède le CEO de Facebook, et ce changement ne pourra pas se faire en un jour. Mais nous avons déjà montré par le passé que nous pouvons construire un produit qui réponde aux attentes de l'utilisateur, et nous pouvons le faire de nouveau. »

Aussi enchaîne-t-il rapidement sur une série de mesures entreprises par Facebook pour regagner la confiance du public. Les messages cryptés de bout en bout, caractéristiques du service de messagerie WhatsApp, détenu par Facebook, vont désormais devenir la norme sur Messenger. Les infrastructures de l'entreprise sont en train d'être repensées autour d'une vision « privacy by design ». Enfin, une refonte du site et de l'application Facebook met davantage l'accent sur l'aspect communautaire et privé de la plateforme, donnant plus de relief aux groupes et aux conversations privées.

L'accent mis sur la cybersécurité et la protection de la vie privée n'a pas seulement pour but de rassurer les utilisateurs. Il vise aussi - et surtout ? - à accompagner l'offre que Facebook souhaite développer à destination des entreprises sur ses différentes plateformes. Sur Messenger, une nouvelle fonctionnalité va permettre aux clients de prendre facilement un rendez-vous avec une entreprise en contactant un bot, dans le but de s'entretenir avec un opérateur humain, de planifier une visite en boutique ou encore un test produit. Un autre service redirigera les internautes cliquant sur une publicité vers une conversation Messenger où un bot pourra répondre à leurs questions éventuelles, afin d'aider les équipes marketing.

Facebook compte également mettre les bouchées doubles sur WhatsApp Business. L'application à destination des professionnels, déployée en janvier 2018, a pour l'heure séduit 3 millions d'entreprises, selon Mark Zuckerberg. Une nouvelle fonctionnalité, baptisée Catalog, va désormais leur permettre d'utiliser la plateforme pour montrer leurs produits à leurs utilisateurs. Un autre service, nommé WhatsApp Pay, qui permet de vendre aux particuliers directement via l'application, est actuellement testé en Inde et utilisé par un million de personnes. Il va être déployé dans d'autres pays dans le courant de l'année.

« Dans certains pays, les personnes qui possèdent un compte WhatsApp sont plus nombreuses que celles qui détiennent un compte bancaire. Pour ces individus, nous souhaitons qu'envoyer de l'argent soit aussi simple que de transmettre une photo », a affirmé Ami Vora, VP of product chez WhatsApp.

Commentaire laissant à penser que ce seront particulièrement les pays en développement qui seront ciblés.

Modérer le contenu grâce à l'intelligence artificielle

De nombreuses critiques adressées à Facebook tournent également autour de la modération des contenus sur la plateforme. Pour certains, le réseau social n'en ferait pas assez pour limiter la propagation des fausses nouvelles et des contenus haineux.

« C'est un défi que nous prenons très à cœur et qui est très complexe à résoudre, car il met en conflit deux de nos valeurs fondamentales : la volonté de donner une voix à chacun, d'une part, et celle de veiller au bien-être et à la sécurité de nos utilisateurs et des différentes communautés présentes sur notre plateforme, d'autre part », a exposé Joaquin Quiñonero Candela, Director of Applied Machine Learning chez Facebook.

L'entreprise recourt de plus en plus à l'intelligence artificielle pour repérer les contenus illégaux, haineux ou de désinformation. Grâce aux techniques avancées d'apprentissage machine, les algorithmes deviennent de plus en plus performants dans cette tâche. Mike Schroepfer, CTO [directeur de la technologie, ndlr] de Facebook, a ainsi montré comment un algorithme utilisé par ses équipes était capable de repérer les publicités pour la vente de cannabis, même lorsque celles-ci utilisent des images n'ayant aucun lien avec le produit et y font référence à mots couverts. Quant à la propagation des fausses informations, les élections qui ont actuellement lieu en Inde servent de test grandeur nature pour le réseau social.

Enfin, cette édition 2019 a également été, pour Facebook, l'occasion de dévoiler ses deux nouveaux casques de réalité virtuelle, Oculus S et Oculus Quest, taillés pour les jeux vidéo. Portal, l'application conçue pour permettre aux utilisateurs de communiquer à distance comme s'ils se trouvaient l'un en face de l'autre, disponible aux États-Unis depuis l'an dernier, sera lancée au Canada et en Europe dans le courant de l'année. Ronald Mallet, Research Supervisor chez Oculus, a exposé les recherches de pointe menées par son entreprise pour doter les utilisateurs d'avatars ultra-réalistes dans le monde virtuel. La technologie vise à reproduire le squelette humain aussi fidèlement que possible, mais aussi la gestuelle, les vêtements et les cheveux pour obtenir des avatars plus vrais que nature. Ronald Mallet a ensuite passé une vidéo assez bluffante, montrant deux individus équipés de casques Oculus jouant au football dans un monde virtuel. Les mouvements sont fluides et naturels, le rendu très convaincant. Le système reste pour l'heure en phase de recherche.

Outre l'univers du jeu vidéo, Facebook souhaite développer les applications de la réalité virtuelle dans le monde professionnel, et notamment dans la sphère médicale, comme l'explique Sean Liu, head of Oculus Hardware.

« Nous avons découvert des usages prometteurs à travers notre programme "Oculus for Business", depuis l'usage de la réalité virtuelle et augmentée pour faciliter la collaboration jusqu'à la création de programmes de formation. Des entreprises comme Osso VR ont découvert que les chirurgiens voyaient leur performance accrue à 230 % lorsqu'ils recourent à la réalité virtuelle, plutôt qu'à d'autres méthodes, pour se former », indique-t-il.

Autant de chantiers cruciaux pour l'avenir de Facebook, qui reposent sur la confiance des utilisateurs, et donc, la capacité de Facebook à devenir un acteur « responsable » des données personnelles. Un défi loin d'être gagné.

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Commentaire 1
à écrit le 14/05/2019 à 15:45
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"indispensable et contre-nature" Indispensable en effet mais parce que des groupes d'influences financiers, d'Etat et mafieux s'y sont initiés faussant la donne sinon je pense que l'idée de base qu'il défendait était bel et bien la bonne.

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