Les licenciements massifs dans la tech, un lot de consolation pour les investisseurs

Plus de 68.000 travailleurs de la tech ont perdu leur emploi depuis le 1er janvier. Les géants du secteur, à commencer par les Gafam (Google, Microsoft, Amazon, Meta), taillent dans leurs effectifs alors qu'ils affichent d'excellents niveaux de rentabilité en parallèle. Mais après deux années de Covid marquées par une euphorie du secteur, le ralentissement de la croissance les pousse à couper les coûts pour conserver leurs marges et envoyer un signal favorable aux marchés.
François Manens
Plus de 60.000 employés de la tech ont été licenciés depuis le début de l'année.
Plus de 60.000 employés de la tech ont été licenciés depuis le début de l'année. (Crédits : Photo by Alex Kotliarskyi on Unsplash)

Une hécatombe. Le début d'année 2023 de la tech est marqué par les licenciements massifs, à l'approche de l'annonce des résultats financiers du quatrième trimestre de 2022. Le phénomène est tel qu'un entrepreneur californien a lancé Layoffs.fyi, un site de suivi de différentes annonces de plans sociaux. Bilan : plus de 210 entreprises ont taillé dans leurs effectifs depuis le 1er janvier, et plus de 68.000 personnes ont été touchées, majoritairement aux Etats-Unis. Une première vague similaire avait touché le secteur en novembre, juste après les résultats financiers du troisième trimestre, avec plus de 90.000 départs forcés.

Parmi les causes des licenciements se trouve l'effondrement des valeurs tech en 2022, pour certaines de plus de 60%, après deux années de Covid marquées par une euphorie exceptionnelle des marchés. La faute à des conditions macro-économiques et géopolitiques défavorables qui ont causé la crise des matières premières, la chute du marché de la publicité ou encore l'inflation rampante. Mais le début d'année 2023 marque déjà un léger rebond pour la tech. « Le marché a bien corrigé les valeurs des entreprises tech l'année dernière, et il est plutôt indulgent cette année. Pour l'instant, les entreprises qui annoncent des résultats et des projections en dessous des attentes sont très peu sanctionnées », analyse pour La Tribune Jacques-Aurélien Marcireau Co-head of Equities chez Edmond de Rothschild. Alors pourquoi les géants de la tech continuent-ils de tailler dans leurs effectifs ?

Compenser la chute de croissance

Chez les Gafam, Amazon, Microsoft et Google ont annoncé le licenciement de 8.000, 10.000 et 12.000 employés, respectivement, soit 2%, 5% et 6% de leurs effectifs respectifs. Meta avait déjà coupé plus de 10.000 emplois à la fin de l'année dernière. Ces licenciements touchent des employés cadres, hautement qualifiés, pour l'écrasante majorité en poste aux Etats-Unis. Salesforce a quant à lui coupé 8.000 employés (10% de ses effectifs), IBM a fermé 3.900 postes (2%) et SAP a licencié 3.000 personnes. Autrement dit, aucune des figures de la tech ne semble épargné par la tendance.

Pourtant, ces entreprises continuent pour la plupart d'afficher une excellente rentabilité. Mais la croissance, elle, ne suit pas. Le chiffre d'affaires de Microsoft, par exemple, n'a grossit que de 2% au dernier trimestre, alors que l'entreprise avait habitué le marché à des croissances à deux chiffres. « Ils ont tellement de relais de croissance qu'ils pourraient trouver à occuper les personnes licenciées. C'est pourquoi les licenciements apparaissent avant tout comme un symbole, un signal envoyé aux investisseurs », estime Jacques-Aurélien Marcireau. Puisque les entreprises de la tech ne peuvent plus avancer les chiffres de croissance qui ont fait leur succès sur les marchés, ils se tournent vers une autre façon d'améliorer les bénéfices : réduire les coûts. Mais cette stratégie ne peut pas durer.«  Les investisseurs ne vont pas dans la tech pour trouver des entreprises qui contrôlent leurs coûts, d'autres secteurs le font mieux qu'elles. Ils y vont pour chercher l'effet de levier et de nouveaux relais de croissance », nuance l'analyste.

Une sortie de crise déjà en vue ?

En outre, les vagues de licenciements sont d'autant plus brutales qu'elles font suite à deux années dorées pour les travailleurs de la tech. Les entreprises s'arrachaient leurs talents à coup de salaires et d'avantages toujours plus importants. « L'accélération du tout numérique pendant le Covid a poussé les entreprises à recruter massivement, par crainte de ne pas réussir à chercher la croissance », rappelle Jacques-Aurélien Marcireau. Plusieurs dirigeants, comme ceux de Salesforce et Amazon, évoquent d'ailleurs un recrutement surévalué pendant cette période pour justifier les licenciements récents, et plusieurs entreprises comme Google ont coupé ou réduit une partie des avantages offerts aux employés.

Mais malgré l'hécatombe, les effectifs des géants de la tech restent supérieurs à ceux d'avant Covid, signe que la trajectoire de croissance perdure. D'ailleurs, la vague de licenciement touche bien moins durement l'Europe et la France. Et pour cause : les embauches s'y font plus prudemment, et donc sur le long terme, ce qui lisse les variations des tailles d'effectifs. Aux Etats-Unis par contre, le droit du travail, très peu régulé, permet d'adopter une stratégie de « stop and go » : les entreprises recrutent et licencient facilement selon leurs besoins. C'est ainsi que les employés de Google apprennent brutalement leur licenciement par la coupure de leurs accès au réseau et outils de l'entreprise...

« Si la situation économique ne se détériore pas de manière significative, je pense qu'on arrive déjà au bout de cette vague de licenciement pour les Gafam et les autres géants », estime Jacques-Aurélien Marcireau. La dynamique de croissance pourrait repartir et ces entreprises ont de nouveaux segments de marché à adresser (l'IA, la réalité mixte...) pour lesquels ils auront besoin de main d'œuvre.

Quid des licornes ?

« En revanche, si le financement reste aussi cher qu'il l'est aujourd'hui, on peut craindre une deuxième vague de licenciements encore plus importante dans les licornes non rentables de la tech », nuance Jacques-Aurélien Marcireau. Contrairement aux Gafam qui dégagent d'importants bénéfices, certaines startups vieilles de plus de 10 ans n'ont toujours pas trouvé de modèle économique pérenne. Les exemples se comptent en dizaines : Uber (VTC), Doordash (livraison), Robinwood (finance), Spotify (musique)... Ce dernier a d'ailleurs annoncé le licenciement de 600 personnes (6% de ses effectifs) et ne parvient pas à atteindre la rentabilité, malgré sa position de leader du streaming audio et du podcast.

L'augmentation du nombre d'utilisateurs et les perspectives de croissances ne suffisent plus aux investisseurs, qui sanctionnent plus lourdement l'état de la trésorerie. Autrement dit, les entreprises de la tech sont considérées comme celles des autres secteurs et semblent avoir perdu leur passe-droit sur la rentabilité, à quelques exceptions près. Et ce changement de paradigme pourrait continuer à frapper les emplois...

François Manens

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