Le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, a un grand dada depuis 2016 : la "régulation par la data". Le principe ? Utiliser la puissance de l'information -c'est-à-dire les données récupérées auprès des opérateurs télécoms et celles disponibles en open data- pour orienter le marché dans la bonne direction. Appliquée au domaine des télécoms, cette méthode de régulation a permis de mieux mesurer l'action des opérateurs -sur la couverture fixe et mobile par exemple- pour mieux la guider, et de mieux prendre en compte les demandes des utilisateurs, notamment via la plateforme "J'alerte l'Arcep" qui a mis en lumière le problème du démarchage téléphonique abusif, entre autres.
Cette méthode peut-elle être dupliquée pour mesurer concrètement l'impact environnemental du numérique, et guider l'action à la fois de ses acteurs et de l'Etat pour le réduire ? C'est le projet qu'expose l'Arcep dans un rapport d'étape publié mardi 15 décembre, intitulé "Pour un numérique soutenable". Fruit de cinq mois de travaux et 42 contributions écrites d'acteurs participants, il formule moins des propositions concrètes pour réduire l'empreinte environnementale du numérique -qui pèse environ 4% des émissions à effet de serre dans le monde et dont la trajectoire est incompatible avec les accords de Paris sur le climat- qu'une nouvelle méthode pour y parvenir.
"Brider la technologie et renoncer à des usages n'est pas la solution"
Le postulat de l'Arcep est sensiblement différent de celui d'autres experts comme le Shift Project ou même l'Ademe, car il part du principe qu'il est possible de concilier le développement des usages et la réduction de l'empreinte carbone du numérique, là où le Shift Project, par exemple, pense que l'explosion des usages numériques est insoutenable pour l'environnement et qu'il faut basculer dans la "sobriété numérique".
"Il est difficile et sans doute pas souhaitable de brider la technologie et de renoncer à des usages dans l'absolu, car le numérique incarne la modernisation de l'économie, un progrès pour les libertés individuelles et des usages tout à fait positifs pour l'environnement comme le télétravail.", indique Sébastien Soriano. "Mais en même temps on pense que le numérique doit prendre sa part à l'effort environnemental".
L'Arcep propose donc "une voie du milieu entre les deux écueils du laisser-faire et de l'économie administrée". Pour "dépasser les bonnes intentions", le régulateur part du principe qu'il faut "inventer une régulation environnementale du numérique", intégrant non seulement les opérateurs télécoms mais aussi les fabricants de terminaux (Apple, Google, Samsung, Huawei...), les fournisseurs de contenus et d'application en ligne (notamment les éditeurs de jeux vidéo ou encore les acteurs du streaming comme Netflix), et aussi les exploitants de centres de données.
Cette nouvelle régulation serait pilotée soit par l'Arcep, qui devrait alors voir son champ d'action élargi -il ne régule pas aujourd'hui ni les terminaux ni les infrastructures numériques-, soit par la création d'une nouvelle entité publique qui aurait autorité sur l'ensemble de l'écosystème numérique. D'où la nécessité, selon l'Arcep, de créer un référentiel de mesure de l'empreinte carbone du numérique qui soit une référence pour tout le monde. "L'urgence est de se donner ces instruments de collecte qui permettent de savoir de quoi on parle, estime Sébastien Soriano. A ce moment-là le pouvoir politique pourra définir une trajectoire et s'inscrire dans un réel pilotage".
En ce qui concerne les réseaux de télécommunications, qui sont déjà dans le champ d'action de l'Arcep, le rapport préconise d'intégrer l'enjeu environnemental dans les actions de régulation de l'Arcep, en accompagnant la transition du cuivre vers la fibre, en encourageant la mutualisation des réseaux entre opérateurs, et en obligeant la mise en veille automatique des box des opérateurs.
Inciter les acteurs économiques et les consommateurs à être plus vertueux
Alors que le Sénat vient de voter, mercredi 16 décembre, une loi contenant des obligations contraignantes pour réduire l'impact carbone du numérique, l'Arcep a un peu de retard -ou se montre plus prudent. Le rapport préconise d'abord l'élaboration de codes de conduites ou chartes avec les acteurs économiques, favorisant la logique d'écoconception.
Par exemple, les fournisseurs de contenu et applications seraient encouragés à adopter des bonnes pratiques comme l'adaptation de la résolution des contenus aux écrans, ou la limitation de l'autoplay. Les éditeurs de systèmes d'exploitation seraient encouragés à maintenir des versions anciennes, car les mises à jour perpétuelles entraînent une obsolescence du matériel. Enfin, les opérateurs des centres de données devraient optimiser leurs systèmes de refroidissement ou la gestion des équipements de stockage.
L'Arcep ressort également le concept de "régulation par la donnée" pour impliquer les consommateurs. L'objectif : favoriser l'émergence d'outils d'aide à la décision du consommateur, ou "baromètre environnemental".
Ces chartes seraient suivies par une entité publique dotée d'un pouvoir de contrôle et de sanction, à l'image de la Cnil pour les données personnelles. Ces chartes pourraient ensuite mener, dans un second temps, à des engagement juridiquement contraignants.
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