Fin des forfaits illimités, lutte contre l'obsolescence programmée : ce que contient la loi contre la pollution numérique

La Tribune a pu consulter en avant-première la proposition de loi pour lutter contre la pollution numérique en France, déposée ce mercredi par la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat. Le renouvellement à tout-va des terminaux (smartphones, ordinateurs portables, consoles de jeux vidéo...) est la principale cause de cette pollution. C'est pourquoi le texte consacre un large volet à la lutte contre l'obsolescence programmée. Une pratique interdite en France depuis 2015, mais qui persiste... Décryptage.
Anaïs Cherif
Le taux d'équipement élevé et le renouvellement rapide des appareils électroniques est la principale cause de la pollution numérique.
Le taux d'équipement élevé et le renouvellement rapide des appareils électroniques est la principale cause de la pollution numérique. (Crédits : Reuters)

La transition numérique devra aussi être écologique. C'est le message porté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat, qui vient de déposer ce mercredi une proposition de loi pour lutter contre la pollution numérique.

Si la commission reconnaît les "gains environnementaux indéniables" du numérique (logements intelligents, essor du télétravail pouvant réduire les temps de transports...), elle affirme qu'il est "indispensable que ces gains ne soient pas annulés par ses impacts directs" et indirects sur les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation des ressources abiotiques et d'eau douce ou encore la consommation d'énergie.

Lire aussi : Comment le numérique pollue dans l'indifférence générale

Un impact environnemental encore trop méconnu

S'il est encore largement méconnu, l'impact environnemental du numérique est d'ores et déjà inquiétant. Avec 15 millions de tonnes de CO2 émises en 2019, le numérique représente 2% des émissions de gaz à effet de serre en France, selon rapport remis en juin par la mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique du Sénat, et environ 4% dans le monde d'après plusieurs études.

"Cela pourrait grimper jusqu'à 7% d'ici 2040 si rien n'est fait, chiffre Patrick Chaize (sénateur de l'Ain, Les Républicains), président de la mission d'information créée en décembre dernier. L'impact écologique du numérique est loin d'être neutre, et c'est pourquoi nous devons nous agir dès maintenant."

Sans compter que la digitalisation de l'économie, qui est à l'oeuvre depuis plusieurs années, a connu une accélération sans précédent au cours de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec le déploiement à grande échelle du télétravail notamment, ou encore l'explosion de la vidéo à la demande. L'impact environnemental du numérique est donc mécaniquement amené à augmenter au fur et à mesure de la généralisation des nouveaux usages.

La proposition de loi, qui reprend plusieurs conclusions du rapport remis en juin, s'articule en quatre volets. Le principal levier d'action : lutter contre l'obsolescence programmée, cette pratique commerciale qui consiste pour les fabricants à détériorer sciemment l'utilisation d'un produit pour inciter l'utilisateur à le renouveler plus rapidement.

Lire aussi : Appareils reconditionnés, taxe carbone... Les pistes du Sénat pour réduire la pollution numérique

Limiter le renouvellement des appareils

Le renouvellement à tout-va des terminaux (smartphones, ordinateurs portables, imprimantes, consoles de jeux vidéo, téléviseurs...) est la principale cause de la pollution numérique. Fabriqués en Asie pour la très grande majorité, les appareils sont massivement importés en France et utilisés quelques années seulement. Par exemple, la durée de vie d'un smartphone est estimée à seulement 23 mois, d'après la mission d'information.

Cette hausse de consommation se répercute sur les ressources, puisque la fabrication des terminaux requiert "l'utilisation d'une quantité croissante de métaux, encore aujourd'hui très peu recyclés. Leur extraction et leur raffinage nécessitent par ailleurs de grandes quantités d'eau et d'énergie", souligne la proposition de loi.

C'est pourquoi le texte dit vouloir lutter contre l'obsolescence programmée pour allonger la durée de vie des terminaux. Cette pratique décriée est pourtant interdite par la loi en France, depuis 2015. Le Code de la consommation a instauré une peine de deux ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende. La nécessité de nouvelles obligations sur le sujet est-elle le signe d'un échec de la législation actuelle face aux pratiques persistantes des grands fabricants ? "Il est possible de voir les choses comme cela. Mais nous avons décidé d'insister à nouveau sur le sujet, en spécialisant davantage les obligations", précise Patrick Chaize.

Lire aussi : Les "big tech" et l'environnement : peuvent mieux faire !

Interdire "l'obsolescence logicielle"

Dans le détail, la proposition de loi veut inverser la "charge de la preuve". Actuellement, si un consommateur veut attaquer en justice une entreprise pour obsolescence programmée, il lui appartient de fournir les preuves. Avec ce texte, le fabricant devra lui-même "prouver que la réduction de la durée de vie du terminal n'est pas délibérée et n'est pas imputable à une stratégie commerciale", selon le texte.

Autre nouveauté : modifier le Code de la consommation pour intégrer l'obsolescence logicielle - ces fameuses mises à jour qui ralentissent parfois les appareils, jusqu'à les rendre inutilisables. Jusqu'ici, seule l'obsolescence matérielle était officiellement punie par la loi. Le texte souhaite aussi imposer aux vendeurs d'appareils de "dissocier les mises à jour de sécurité des autres mises à jour, afin de permettre au consommateur de n'installer que les mises à jour de sécurité sans entraîner un défaut de conformité du bien". La proposition de loi vise aussi à permettre aux utilisateurs ayant installés une mise à jour de rétablir les versions antérieures des logiciels fournis lors de l'achat du bien.

Enfin, pour rendre les terminaux reconditionnés plus attractifs aux yeux du grand public, la proposition de loi propose la création d'une TVA réduite sur l'achat d'objets reconditionnés et leur réparation.

Interdire les forfaits mobiles illimités

La proposition de loi vise aussi à changer les habitudes de consommation des utilisateurs (particuliers, entreprises, administrations...) pour adopter des pratiques moins énergivores. L'objectif prioritaire : limiter la croissance de la consommation des données mobiles, alors que celle-ci augmente de 30% tous les ans pour les données 4G, selon le rapport. La 5G étant en cours de déploiement, cette augmentation devrait s'intensifier dans les années à venir.

C'est pourquoi le texte propose l'interdiction des forfaits mobiles avec un accès aux données illimitées.

"L'idée est de déterminer un usage lambda, pour partager ce qui est de l'utilisation vitale (réaliser des démarches administratives, par exemple) et ce qui est complémentaire (streaming de films, jeux vidéo...) pour adapter la tarification en fonction de la consommation des données", détaille Patrick Chaize.

L'objectif : inciter les consommateurs à privilégier une connexion Wifi, réputée moins énergivore.

D'autres pratiques sont ciblées, comme l'interdiction du lancement automatique par défaut des vidéos ou encore, l'interdiction du fameux "scroll" - cette méthode qui consiste à faire défiler indéfiniment une page comme sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram...) Mais ces pratiques sont au cœur du fonctionnement et du business model de ces plateformes, qui leur permettent de générer des revenus publicitaires conséquents. Difficile d'imaginer les géants de la tech renoncer à leur gagne-pain... "Il faudra trouver un bon compromis", avance Patrick Chaize, en précisant que des auditions doivent être réalisées dans les mois à venir avec les plateformes.

Confier à l'Arcep la régulation environnementale du numérique

Enfin, un dernier volet est consacré à la régulation environnementale du numérique. L'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), doté d'un pouvoir de sanction, jouerait un rôle clé. Par exemple, les centre de données et les opérateurs pourraient souscrire à des "engagements pluriannuels contraignants de réduction de leurs impacts environnementaux" (gaz à effet de serre, consommation d'énergies...), qui seraient contrôlés par l'Arcep.

Le texte prévoit également la création d'un "Observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique", placé auprès de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) pour "analyser et quantifier les impacts directs et indirects du numérique sur l'environnement", mais aussi, "les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique et solidaire".

Anaïs Cherif

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Commentaires 5
à écrit le 15/10/2020 à 21:09
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Problème complexe, je vois sur le jeu en ligne de gestion de trains ou je joue depuis 8 ans, rien n'a changé c'est toujours le même jeu, sauf qu'il y a 8 ans 1go de ram suffisait voire 500 k avec de la swap bien gérée, mais le matériel a évolué, le d...

à écrit le 15/10/2020 à 10:31
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La fin des forfaits illimités n'est qu'un moyen de faire remonter les ARPU des opérateurs en relançant les prix à la consommation. Ce qui consomme le plus de ressources ce sont ces milliards de spam et de pub sur toutes les pages web. Les spam coût...

à écrit le 15/10/2020 à 9:10
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"lutte contre l'obsolescence programmée" Ça fait plus de dix ans qu'ils nous en parlent tandis que notre président en début de mandat nous a affirmé que "TOTAL faisait ce qu’il voulait !" La déplorable soumission de nos politiciens envers les...

à écrit le 15/10/2020 à 7:45
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Oui la pollution électronique est un problème de notre société moderne : il faut renforcer la loi sur la pollution numérique et contre la quantité de déchets électroniques devenus inutiles et dangereux. Tout recycler ? tout détruire ? Difficile de di...

le 15/10/2020 à 11:26
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les gens modeste tout la vie ont se serre la ceinture après avoir fait des longue carrière sans compter nos heures .notre premier salaire était pour nos parents modeste . tout ce monde de modernisme ont nous là imposer avec tout ces technocrates...

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