La transition numérique devra aussi être écologique. C'est le message porté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement du Sénat, qui vient de déposer ce mercredi une proposition de loi pour lutter contre la pollution numérique.
Si la commission reconnaît les "gains environnementaux indéniables" du numérique (logements intelligents, essor du télétravail pouvant réduire les temps de transports...), elle affirme qu'il est "indispensable que ces gains ne soient pas annulés par ses impacts directs" et indirects sur les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation des ressources abiotiques et d'eau douce ou encore la consommation d'énergie.
Un impact environnemental encore trop méconnu
S'il est encore largement méconnu, l'impact environnemental du numérique est d'ores et déjà inquiétant. Avec 15 millions de tonnes de CO2 émises en 2019, le numérique représente 2% des émissions de gaz à effet de serre en France, selon rapport remis en juin par la mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique du Sénat, et environ 4% dans le monde d'après plusieurs études.
"Cela pourrait grimper jusqu'à 7% d'ici 2040 si rien n'est fait, chiffre Patrick Chaize (sénateur de l'Ain, Les Républicains), président de la mission d'information créée en décembre dernier. L'impact écologique du numérique est loin d'être neutre, et c'est pourquoi nous devons nous agir dès maintenant."
Sans compter que la digitalisation de l'économie, qui est à l'oeuvre depuis plusieurs années, a connu une accélération sans précédent au cours de la crise sanitaire liée au coronavirus, avec le déploiement à grande échelle du télétravail notamment, ou encore l'explosion de la vidéo à la demande. L'impact environnemental du numérique est donc mécaniquement amené à augmenter au fur et à mesure de la généralisation des nouveaux usages.
La proposition de loi, qui reprend plusieurs conclusions du rapport remis en juin, s'articule en quatre volets. Le principal levier d'action : lutter contre l'obsolescence programmée, cette pratique commerciale qui consiste pour les fabricants à détériorer sciemment l'utilisation d'un produit pour inciter l'utilisateur à le renouveler plus rapidement.
Limiter le renouvellement des appareils
Le renouvellement à tout-va des terminaux (smartphones, ordinateurs portables, imprimantes, consoles de jeux vidéo, téléviseurs...) est la principale cause de la pollution numérique. Fabriqués en Asie pour la très grande majorité, les appareils sont massivement importés en France et utilisés quelques années seulement. Par exemple, la durée de vie d'un smartphone est estimée à seulement 23 mois, d'après la mission d'information.
Cette hausse de consommation se répercute sur les ressources, puisque la fabrication des terminaux requiert "l'utilisation d'une quantité croissante de métaux, encore aujourd'hui très peu recyclés. Leur extraction et leur raffinage nécessitent par ailleurs de grandes quantités d'eau et d'énergie", souligne la proposition de loi.
C'est pourquoi le texte dit vouloir lutter contre l'obsolescence programmée pour allonger la durée de vie des terminaux. Cette pratique décriée est pourtant interdite par la loi en France, depuis 2015. Le Code de la consommation a instauré une peine de deux ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende. La nécessité de nouvelles obligations sur le sujet est-elle le signe d'un échec de la législation actuelle face aux pratiques persistantes des grands fabricants ? "Il est possible de voir les choses comme cela. Mais nous avons décidé d'insister à nouveau sur le sujet, en spécialisant davantage les obligations", précise Patrick Chaize.
Interdire "l'obsolescence logicielle"
Dans le détail, la proposition de loi veut inverser la "charge de la preuve". Actuellement, si un consommateur veut attaquer en justice une entreprise pour obsolescence programmée, il lui appartient de fournir les preuves. Avec ce texte, le fabricant devra lui-même "prouver que la réduction de la durée de vie du terminal n'est pas délibérée et n'est pas imputable à une stratégie commerciale", selon le texte.
Autre nouveauté : modifier le Code de la consommation pour intégrer l'obsolescence logicielle - ces fameuses mises à jour qui ralentissent parfois les appareils, jusqu'à les rendre inutilisables. Jusqu'ici, seule l'obsolescence matérielle était officiellement punie par la loi. Le texte souhaite aussi imposer aux vendeurs d'appareils de "dissocier les mises à jour de sécurité des autres mises à jour, afin de permettre au consommateur de n'installer que les mises à jour de sécurité sans entraîner un défaut de conformité du bien". La proposition de loi vise aussi à permettre aux utilisateurs ayant installés une mise à jour de rétablir les versions antérieures des logiciels fournis lors de l'achat du bien.
Enfin, pour rendre les terminaux reconditionnés plus attractifs aux yeux du grand public, la proposition de loi propose la création d'une TVA réduite sur l'achat d'objets reconditionnés et leur réparation.
Interdire les forfaits mobiles illimités
La proposition de loi vise aussi à changer les habitudes de consommation des utilisateurs (particuliers, entreprises, administrations...) pour adopter des pratiques moins énergivores. L'objectif prioritaire : limiter la croissance de la consommation des données mobiles, alors que celle-ci augmente de 30% tous les ans pour les données 4G, selon le rapport. La 5G étant en cours de déploiement, cette augmentation devrait s'intensifier dans les années à venir.
C'est pourquoi le texte propose l'interdiction des forfaits mobiles avec un accès aux données illimitées.
"L'idée est de déterminer un usage lambda, pour partager ce qui est de l'utilisation vitale (réaliser des démarches administratives, par exemple) et ce qui est complémentaire (streaming de films, jeux vidéo...) pour adapter la tarification en fonction de la consommation des données", détaille Patrick Chaize.
L'objectif : inciter les consommateurs à privilégier une connexion Wifi, réputée moins énergivore.
D'autres pratiques sont ciblées, comme l'interdiction du lancement automatique par défaut des vidéos ou encore, l'interdiction du fameux "scroll" - cette méthode qui consiste à faire défiler indéfiniment une page comme sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram...) Mais ces pratiques sont au cœur du fonctionnement et du business model de ces plateformes, qui leur permettent de générer des revenus publicitaires conséquents. Difficile d'imaginer les géants de la tech renoncer à leur gagne-pain... "Il faudra trouver un bon compromis", avance Patrick Chaize, en précisant que des auditions doivent être réalisées dans les mois à venir avec les plateformes.
Confier à l'Arcep la régulation environnementale du numérique
Enfin, un dernier volet est consacré à la régulation environnementale du numérique. L'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), doté d'un pouvoir de sanction, jouerait un rôle clé. Par exemple, les centre de données et les opérateurs pourraient souscrire à des "engagements pluriannuels contraignants de réduction de leurs impacts environnementaux" (gaz à effet de serre, consommation d'énergies...), qui seraient contrôlés par l'Arcep.
Le texte prévoit également la création d'un "Observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique", placé auprès de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) pour "analyser et quantifier les impacts directs et indirects du numérique sur l'environnement", mais aussi, "les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique et solidaire".
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