Alcatel-Lucent veut se réinventer en réveillant ses Bell Labs

L’équipementier télécoms veut rendre ses centres de recherche, qui comptent sept Prix Nobel à leur actif, plus efficaces et plus proches de ses objectifs commerciaux. Dans un marché où sévit la guerre des prix, l’industriel espère se différencier par l’innovation, en s’appuyant aussi sur des start-up en interne.
Basil Alwan, président des activités Routage et Transport d’Alcatel-Lucent, et « pape » du cloud computing, lors du symposium technologique annuel du groupe, le 14 novembre 2013. / DR

C'est une immense bâtisse à l'architecture un peu datée, un trigone prolongé de longues ailes, situé au milieu des bois dans la petite ville de Murray Hill, New Jersey, à moins d'une heure de Manhattan. Un modeste hall d'exposition retrace la glorieuse histoire de cette institution où sont nées les plus grandes inventions de l'électronique du XXe siècle, couronnées de sept Prix Nobel. Un lieu mythique dont le nom même résonne encore aujourd'hui à l'oreille des Américains.

« Murray Hill, c'était le préfixe des numéros de téléphone à New York quand j'étais enfant! » se souvient David Krozier, un analyste en infrastructure de réseaux du cabinet d'études Ovum.

À l'intérieur, des kilomètres de couloirs interminables au lino fatigué, dont les murs à la peinture vert pâle font penser à un hôpital décrépit, loin d'un Googleplex où même les tuyaux des data centers arborent les couleurs pop du logo de Google! Au détour de ce dédale de corridors, une plaque dorée discrète informe le visiteur que « le transistor, qui a révolutionné le monde des communications, a été inventé dans ce laboratoire le 23 décembre 1947 ». Bienvenue dans les Bell Labs, berceau du laser, de la cellule photovoltaïque, du système d'exploitation Unix ou du langage de programmation C. Le dernier Nobel de la belle endormie de l'innovation remonte à 2009 au titre d'une invention de 1969, le capteur à transfert de charge CCD, utilisé dans tous les appareils photo…

Reconnecter la recherche au business

« Cela peut paraître un peu poussiéreux, mais il y a des gens absolument géniaux ici, je suis à chaque fois impressionné », confie Michel Combes, le directeur général d'Alcatel-Lucent, venu rendre visite au pas de charge aux chercheurs, à l'occasion du symposium technologique annuel du groupe.

L'équipementier télécoms français a hérité de ce centre de recherche lors de son mariage en 2006 avec Lucent, qui avait été scindé de l'opérateur américain AT&T (l'ex-Ma Bell). Le nouveau patron, arrivé en avril pour redresser le fleuron tricolore diminué des télécoms, veut en faire « le moteur d'innovation » du groupe, ce qui signifie :

« Rapprocher nos Bell Labs de notre feuille de route, afin d'apporter de l'innovation de rupture dans notre portefeuille de produits. »

Dans un marché très concurrentiel où sévit la guerre des prix, « on ne peut pas uniquement jouer sur les coûts : pour se différencier, il faut de l'innovation et de la disruption », fait-il valoir.

Son plan Shift, aux conséquences sociales douloureuses (15.000 suppressions de postes), prévoit de diminuer de 50% le budget de R&D pour les technologies matures, comme la 2G et la 3G, et de concentrer les dépenses sur l'accès très haut débit et les technologies dites « IP » (coeur de réseau comme les routeurs, le transport de données).

« Notre R&D est inefficace : nous avons 58 sites, c'est beaucoup trop. Il faut au moins diviser ce nombre par deux », lâche-t-il.

En réalité, le problème concerne surtout la partie développement.

« En recherche, les Bell Labs n'ont que cinq sites : Murray Hill, Villarceaux, qui va être repositionné sur les mathématiques, Anvers, Stuttgart et Dublin », soit 900 chercheurs au total, tempère Philippe Keryer, le directeur de la stratégie et de l'innovation d'Alcatel-Lucent.

Cependant, « à trop vouloir préserver les Bell Labs, on les a un peu trop déconnectées du business », analyse-t-il.

Installé à Murray Hill, il y côtoie un peu plus de 300 chercheurs planchant sur des sujets extrêmement pointus comme l'informatique quantique, qui doit permettre d'effectuer des calculs ultrarapides, ou des inventions improbables, comme l'appareil photo sans objectif, qui sert à développer une technologie de compression de données. Ils étaient 1.500 à la grande époque !

Fuite de cerveaux partis chez Google

« Certains trouvent que les Bell Labs ne sont plus ce qu'ils étaient, c'est vrai » reconnaît Marcus Weldon, qui vient d'en prendre la responsabilité, en plus de la direction technique d'Alcatel-Lucent.

Sa mission, dans le cadre du plan Shift, consiste précisément à réorienter la recherche vers les grands problèmes de l'industrie télécoms, en accord avec le business model d'Alcatel-Lucent, plus que dans la quête de lauriers académiques.

« Nous nous sommes un peu égarés après la bulle Internet, nous ne savions plus trop quels problèmes résoudre. Or, les chercheurs ont besoin de direction. Nous avons perdu beaucoup de gens partis chez Google », relève ce docteur en physique-chimie, entré aux Bell Labs en 1995.

Face aux géants du Web, qui promettent des stock-options et le soleil de Californie, Alcatel-Lucent, à l'avenir incertain, n'avait que le prestige et l'autonomie laissée aux chercheurs comme arguments de recrutement, à l'heure où le centre de gravité de l'innovation mondiale s'est déplacé vers la côte Ouest.

Quand le rouleau compresseur chinois Huawei avance son armée d'ingénieurs (70.000 employés en R&D, plus du triple) et annonce investir 600 millions de dollars dans la future cinquième génération de téléphonie mobile (5G), pas encore standardisée, Marcus Weldon rétorque :

« Nous cherchons des génies, pas du volume. Il vaut mieux concentrer 1 million de dollars sur cinq chercheurs très brillants. »

Idem pour les brevets, les Bell Labs en possédant plus de 30.000 : le groupe doit être plus sélectif.

Insuffler l'esprit start-up de la Silicon Valley

Philippe Keryer rappelle que « les Bell Labs sont tout de même à l'origine d'inventions majeures récentes comme la technologie DSL [utilisée pour faire de l'Internet haut débit sur le réseau téléphonique traditionnel en cuivre, ndlr] et celle du vectoring », qui améliore les débits de l'ADSL.

Et Alcatel-Lucent était la seule entreprise française classée par le prestigieux MIT parmi les 50"sociétés les plus innovantes au monde, tous secteurs confondus, l'an passé, pour son antennerelais miniature de la taille d'un Rubik's Cube, LightRadio.

« Mais l'innovation, ce n'est pas que les Bell Labs », souligne Philippe Keryer.

Alcatel-Lucent prône aussi la co-innovation, avec Orange, en France, et avec le géant californien des puces pour mobiles, Qualcomm.

« Nous cultivons aussi notre culture de la disruption en lançant des start-up dans des pôles d'incubation comme la Californie et Israël », explique Michel Combes.

Des start-up souvent « Bell Labs inside », fondées par des talents passés par les labos, comme Nuage Networks, la plate-forme de services virtualisés pour les acteurs du Web, installée à Mountain View, et CloudBand, autre start-up à Kfar Saba, près de Tel-Aviv.

D'ailleurs, Alcatel-Lucent envisage d'ouvrir de nouvelles antennes des Bell Labs en Israël et en Californie, où souffle cet esprit start-up dont tous les grands groupes veulent s'inspirer.

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Commentaires 2
à écrit le 25/11/2013 à 9:54
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C'est dans les Bell Labs qu'est né le language C et le system Unix en 1970. Sans ce couple la il n'y aurait pas d'internet (service Arpa) , de serveur intelligent .. et pas ce blog sur le site de la tribune.fr

le 25/11/2013 à 15:57
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Dans bell labs y a des secrétaires et des nuls aussi , ils ont inventé quoi ? Faut arreter de tout globaliser comme ça.

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