Corruption en Irak : Ericsson dans le viseur de la justice américaine

L'ombre de la justice américaine plane sur le numéro deux mondial des équipements télécoms. Le Département américain de la justice estime que les informations fournies par le géant suédois concernant ses malversations en Irak, dont de possibles versements de pots-de-vin à l’Etat islamique, s’avèrent « insuffisantes ». Cette pique intervient alors que ces dernières années, les Etats-Unis, qui n’ont plus d’équipementiers télécoms, n’ont jamais caché leur intérêt pour Ericsson et son rival finlandais Nokia.
Pierre Manière
Börje Ekhlom, le PDG d'Ericsson.
Börje Ekhlom, le PDG d'Ericsson. (Crédits : REUTERS/Eric Gaillard.)

Pour Ericsson, cette édition 2022 du Mobile World Congress, la grand-messe annuelle des télécoms qui s'achève ce jeudi à Barcelone, aura ressemblé à un long chemin de croix. Le géant suédois des équipements télécoms est aujourd'hui dans la tourmente, après qu'une enquête interne a révélé, mi-février, des malversations et faits de corruption en Irak entre 2011 et 2019. Pour échapper aux douanes, certains employés auraient versé des pots-de-vin pour du transport routier dans des zones contrôlées par l'Etat islamique. Ces versements ont possiblement terminé dans les poches de l'organisation terroriste.

Ericsson ne balaye pas cette hypothèse, mais affirme que son investigation n'a pas permis, à ce jour, de la vérifier. Ces révélations sont intervenues en amont d'une enquête à ce sujet menée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), publiée dimanche dernier, à la veille du salon de Barcelone.

C'est sans doute la raison pour laquelle Ericsson a décidé d'annuler la conférence de presse de son PDG, Börje Ekhlom, prévue lundi matin. Celle-ci a été remplacée par une courte intervention vidéo sur les réseaux sociaux, où les malversations en Irak n'ont jamais été évoquées. Mais ce mardi, la justice américaine porté un nouveau rude coup au numéro deux mondial des équipements télécoms.

Le Département américain de la justice (DoJ) a qualifié d'« insuffisants » les éléments transmis par Ericsson au terme de son enquête interne. L'institution estime surtout que le groupe suédois a « violé » un accord passé avec les autorités américaines. En 2019, Ericsson a en effet signé un accord dit de poursuites différées (DPA) avec le DoJ. Celui-ci prévoyait le paiement d'une amende de plus d'un milliard de dollars pour mettre fin à plusieurs enquêtes de corruption, ainsi qu'une coopération avec la justice américaine sur les enquêtes en cours.

Fronde des marchés

La réaction des marchés ne s'est pas faite attendre. Dans la foulée de cette annonce, le titre du groupe s'est encore pris une gifle. Celui se situe désormais à moins de 80 couronnes suédoises (7,43 euros), contre 115 couronnes (10,68 euros) le 15 février dernier, juste avant les révélations en Irak. Avec cette sortie, le DoJ montre qu'il n'en a pas fini avec Ericsson.

Mais quels que soient les torts du groupe suédois, rappelons que cette institution est régulièrement accusée, sous couvert de mener des enquêtes anti-corruption, de servir aux États-Unis de bras armé dans leur guerre économique, en particulier lorsqu'ils lorgnent des groupes étrangers. Le rachat de la branche Énergie d'Alstom, en 2014, par General Electric (GE) pour près de 13 milliards d'euros est souvent, en la matière, pointé du doigt...

Or ces dernières années, Washington n'a pas caché ses marques d'intérêts pour Ericsson comme pour son rival finlandais Nokia. En février 2020, le ministre américain de la Justice, Bill Barr, a publiquement proposé, lors d'un colloque, que les Etats-Unis « prennent le contrôle » de Nokia ou d'Ericsson, « soit directement, soit à travers un consortium d'entreprises privées américaines et alliées ». Il faut dire qu'aujourd'hui, Washington vie mal de ne plus disposer d'équipementier télécoms, quand les Européens en possèdent deux, tout comme la Chine (via Huawei et ZTE).

Or cette activité est jugée essentielle, notamment avec l'arrivée de la 5G. Cette technologie est souvent présentée comme l'un des plus gros catalyseur de l'économie pour les années à venir. On peut, dès lors, légitimement se demander si les Etats-Unis, via le DoJ, ne cherchent pas à affaiblir davantage Ericsson afin, par exemple, de le pousser à terme dans les bras d'un industriel maison, comme Cisco, le champion des infrastructures de réseaux...

Quoi qu'il en soit, Ericsson affirme aujourd'hui prendre ses malversations en Irak « très au sérieux », a affirmé Franck Bouétard, le PDG de l'antenne française du groupe suédois, ce lundi à Barcelone. « Nous avons la volonté de faire face à notre passé, et de l'assumer », a poursuivi le dirigeant. Selon lui, le groupe a renforcé, depuis 2019, ses « programmes de 'compliance' (conformité vis-à-vis de la loi, Ndlr) »« C'est ce qui nous a permis de déceler les mauvaises conduites du passé, et d'enquêter dessus », a-t-il poursuivi. Franck Bouétard assure que le groupe « est en train de transformer (sa) culture pour s'assurer que ce type de mauvais comportements ne se reproduisent jamais ». Ericsson a notamment, dit-il, mis en place un système permettant à tous les employés de faire remonter, de manière anonyme, d'éventuelles malversations, afin qu' « il y ait une auto-régulation dans la société ».

Si l'affaire irakienne pèse lourdement sur le cours de Bourse, l'activité d'Ericsson n'est pas aujourd'hui touchée. C'est du moins ce qu'affirme Franck Bouétard. « Les clients savent faire la différence entre ce qui s'est passé hier, et ce qui se passe aujourd'hui », a-t-il indiqué. Le dirigeant concède, toutefois, que l'état-major du groupe « est soucieux de ce que pourraient faire certains types d'actionnaires qui considèrent qu'ils ont perdu beaucoup d'argent ». Les prochaines initiatives du DoJ seront, dans tous les cas, observées de très près.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 03/03/2022 à 20:35
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C’est une guerre économique souterraine que livrent les États-Unis aux entreprises françaises et européennes. Sous couvert de lutte contre la corruption, les Américains affaiblissent certaines entreprises stratégiques pour mieux les acheter ou les dé...

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