LA TRIBUNE - Cette édition 2021 du Mobile World Congress n'a jamais été aussi allégée. Beaucoup de grands groupes n'ont pas souhaité y participer du fait de la crise sanitaire. Pourquoi Orange a-t-il répondu présent ?
MICHAEL TRABBIA - Il y a certes des absents, mais beaucoup d'industriels sont là. Certains ont renoncé à être présents physiquement, mais ont envoyé des délégations sur place. Pour nous, le Mobile World Congress, c'est l'occasion de nous reconnecter avec l'industrie et l'écosystème numérique dans son ensemble. C'est un événement unique où nous rencontrons nos pairs, nos partenaires, les opérateurs et équipementiers télécoms. Il est vrai que ce n'est pas une année normale. Mais le rendez-vous demeure important. Il nous permet de toucher du doigt les innovations et cas d'usage qui émergent, et de les comparer. Il se trouve, aussi, que Stéphane Richard, le PDG d'Orange, est président de la GSMA, qui organise le salon.
A ce titre, c'était presque une obligation pour Orange d'être présent !
Mais le PDG de Telefonica n'est pas à la tête de la GSMA, il a aussi tenu à être là. Les équipementiers télécoms ont également répondu présent.
C'est vrai pour les chinois Huawei et ZTE. Mais pas pour les européens Nokia et Ericsson...
C'est vrai. Mais encore une fois, cela reste un événement important. En deux ou trois jours, nous multiplions les rendez-vous et échanges fructueux.
Quels sont les cas d'usage qui ont suscité votre intérêt ?
Il y a beaucoup de cas d'usage liés à la 5G. Nous voyons, en particulier, arriver les « usines intelligentes ». Celles-ci sont connectées en 5G via des réseaux privés. Cette technologie permet de passer un cap en termes de fiabilité et d'efficacité. Aujourd'hui, dans les usines, les machines et équipements sont connectés par des câbles, ce qui pose des problèmes de flexibilité et d'agilité, ou via le Wifi, avec des risques de sécurité et d'interférences... Les communications critiques, elles, reposent généralement sur des technologies obsolètes. La 5G permet d'améliorer sensiblement les choses. Nous avons atteint un certain niveau de maturité. En Chine, de nombreuses usines bénéficient déjà de la 5G. L'industrie européenne devrait bientôt en profiter. Chez Orange, nous commençons à y travailler, notamment sur certains sites de Schneider Electric. Grâce aux réseaux privés, les usines intelligentes seront le cas d'usage le plus immédiat pour cette technologie. Dans un second temps, la 5G permettra d'améliorer la logistique, notamment via le contrôle des réseaux de distribution, des flux de circulation. Mais ce n'est pas pour tout de suite, parce que cela nécessite de déployer énormément d'équipements connectés.
A Barcelone, beaucoup d'opérateurs ont souligné le rôle important des télécoms pour soutenir les entreprises pendant la crise sanitaire. Les réseaux à très haut débit et la 5G permettront-ils de relancer l'économie ?
Si certains en doutaient, nous avons eu la démonstration éclatante que le numérique est devenu absolument vital partout, pour tout, dans les usages aussi bien personnels que professionnels. Les télécoms ont permis au pays et à l'économie de tenir bon, tout en maintenant les liens sociaux. Cette crise est en train d'accoucher de transformations importantes. C'est le cas pour le télétravail, qui s'est considérablement renforcé. La crise n'a pas sonné la fin des voyages professionnels. Mais grâce à la visio-conférence, ils seront dorénavant moins nombreux. Ces nouvelles manières de travailler sont, en outre, fondamentales pour réduire notre empreinte carbone. Elles démontrent que le numérique est devenu essentiel pour la transition environnementale.
Si la 5G est présentée comme un puissant levier pour doper la compétitivité des entreprises, celles-ci semblent, en France du moins, y montrer peu d'intérêt...
Cette impression est fausse. Il y a un vrai intérêt des entreprises et des industriels pour la 5G. Il faut garder en tête que la transformation numérique des entreprises ne peut se faire en quelques mois. Il faut laisser le temps à la 5G d'arriver sur le marché. Nous ne sommes pas en retard. Quand nous avons lancé la 4G, il a fallu plusieurs années pour que les particuliers et les entreprises l'adoptent. Avant que les usages explosent, il faut d'abord déployer les réseaux, que les terminaux soient disponibles...
Le problème n'est-il pas lié à la lenteur du déploiement de la 5G en France et en Europe ? La Chine est très avancée dans ce domaine, comme dans le développement des usines intelligentes...
Cela va effectivement très vite en Chine ! Concernant le déploiement de la 5G en France, celui-ci avance aussi vite que possible. Je rappelle quand même qu'au lancement de la 5G, nous avons été confrontés à une vague de défiance sans précédent [vis-à-vis de l'impact de cette technologie sur la santé et l'environnement, Ndlr]. De nombreux maires se sont demandés si nous en avions vraiment besoin. Il a fallu expliquer, il a fallu convaincre... Nous y sommes arrivés, mais nous avons eu, disons, un petit côté prudent. Aujourd'hui, le déploiement de la 5G avance rapidement. Concernant le développement des usines intelligentes, nous nous y préparons déjà. Dans le courant de l'année prochaine, nous allons commercialiser nos premières offres de réseaux privés 5G à destination des entreprises.
Ce « petit côté prudent » concernant la 5G, ne risque-t-il pas d'être payer cash ? Comme ce fut le cas quand le coche au niveau des services 4G, aujourd'hui chasse gardée des géants américains du Net, a été raté ?
Je ne pense pas. Ce qui est important, c'est la compétitivité des sites industriels. Ce qui serait dramatique, c'est que certaines usines n'adoptent pas assez rapidement les dernières technologies, et finissent par mettre la clé sous porte. Mais avec les offres qui arrivent, elles auront les moyens de rester performantes.
La 5G ne semble pas, pour le moment, constituer un franc succès auprès du grand public. A combien s'élève votre parc de clients ?
Nous ne donnons pas ce chiffre. Il est encore limité. Il est en revanche absolument faux de dire que la 5G ne prend pas. Pour que les clients passent à cette technologie, encore faut-il qu'ils disposent d'un terminal compatible. Or nous n'en changeons pas tous les mois. Il est normal qu'au début, le démarrage soit lent, qu'il y ait peu de volumes... Mais les choses vont s'accélérer, et cela deviendra exponentiel. C'est ce qui s'est passé avec la 3G et la 4G... La différence, c'est que tout ira beaucoup plus vite avec la 5G. Au regard de la rapidité avec laquelle nous déployons les réseaux, et de la disponibilité des nouveaux smartphones, la vitesse d'adoption sera supérieure à celle des précédentes générations de communications mobiles. J'en suis certain, et vous donne rendez-vous en 2023. Vous verrez qu'une partie très importante du trafic sera en 5G.
De nombreux élus écologistes et de gauche demeurent méfiants quant à l'impact de la 5G sur l'environnement. Il y a tout juste un an, Olivier Roussat, alors directeur général délégué de Bouygues, n'a-t-il pas assuré qu'avec cette technologie, la consommation d'énergie des télécoms progressera forcément « de façon importante » ?
Je ne vais pas commenter un concurrent. Mais si l'on regarde l'empreinte environnementale du numérique, il faut le faire sérieusement. De manière factuelle, le numérique, c'est 3,5% des émissions de CO2 dans le monde. Les télécoms, c'est-à-dire les réseaux et les data centers, n'en représentent que 0,5%. C'est encore moins en France, où nous bénéficions, avec le nucléaire, d'une énergie décarbonée. Chez Orange, nous nous sommes fixés pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2040. Mais pour nous, l'enjeu est aussi économique. Nous sommes incités de manière extrêmement forte à contenir notre facture énergétique. La 5G nous permettra d'y arriver parce qu'elle est beaucoup plus efficace. Cela dit, le vrai sujet reste la fabrication des terminaux [qui représente 70% de l'empreinte carbone du numérique en France, Ndlr]. Il faut porter un message simple auprès de la population : c'est en gardant son terminal plus longtemps, puis en le ramenant ensuite en boutique pour qu'il soit reconditionné ou recyclé, que l'on agit pour l'environnement. Le voilà, le vrai geste écologique. Celui qui a un impact. Je suis contre le fait de multiplier les injonctions tous azimuts et les messages alarmistes en demandant, par exemple, aux gens de moins regarder Netflix.
A Barcelone, l'accroissement des cyberattaques n'a jamais autant inquiété les industriels. Quelles réponses les opérateurs télécoms et Orange peuvent-ils apporter pour endiguer cette menace ?
Le numérique devient vital pour tout le monde, et les menaces vont effectivement crescendo. Les opérateurs ont plusieurs cartes en main. En premier lieu, ils peuvent sécuriser davantage les réseaux, ce qui est le cas avec la 5G. En parallèle, Orange est très impliqué dans la sécurisation des services numériques via Orange Cyberdefense. Cela fait plusieurs années que nous développons cette branche, en forte croissance. Il appartient aussi aux entreprises de prendre leurs dispositions face à la menace cyber. Beaucoup d'entre elles viennent encore nous voir une fois que l'attaque a eu lieu. Mais c'est en agissant en amont que nous pouvons éviter des situations de crise. Par rapport à d'autres spécialistes de la cybersécurité, Orange dispose d'un avantage : grâce au réseau, nous pouvons analyser tout le trafic Internet, utiliser ces informations pour détecter les menaces, et y répondre plus efficacement. Nous venons d'ailleurs de lancer Cyberfiltre. Cette offre permet d'utiliser le trafic qui passe sur nos serveurs pour renforcer la protection des PME.
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