Orange veut tourner la page de la crise des suicides dans un contexte social tendu

Alors que les anciens dirigeants de France Télécom ont de nouveau été condamnés pour harcèlement moral institutionnel dans l’affaire des suicides de 2009-2010, l’opérateur veut laisser derrière lui cette crise qui a traumatisé l’entreprise. Mais les syndicats, eux, alertent aujourd’hui sur « un regain de tensions sociales ». Ils pestent notamment contre un plan d’économies qui vise à réduire la masse salariale.
Pierre Manière
La cour d'appel de Paris a infligé ce vendredi à Didier Lombard, l’ex-PDG de France Télécom, une peine d'un an de prison, assortie en totalité du sursis, alors qu’il avait été condamné à quatre mois de prison ferme en première instance.
La cour d'appel de Paris a infligé ce vendredi à Didier Lombard, l’ex-PDG de France Télécom, une peine d'un an de prison, assortie en totalité du sursis, alors qu’il avait été condamné à quatre mois de prison ferme en première instance. (Crédits : Reuters)

C'est un chapitre douloureux de l'histoire d'Orange que sa direction veut maintenant refermer. Ce vendredi, les anciens et principaux dirigeants de France Télécom ont été de nouveau condamnés dans l'affaire des suicides de 2009-2010. Plusieurs peines ont été allégées. Didier Lombard, l'ex-PDG de France Télécom, a écopé d'un an de prison. Mais cette peine a été totalement assortie du sursis, alors qu'il avait été condamné à quatre mois de prison ferme en première instance. L'ancien dirigeant s'est aussi vu infliger la même amende qu'en première instance, soit 15.000 euros. Idem pour l'ex-numéro deux du groupe, Louis-Pierre Wenès, qui a été condamné à un an de prison, assorti du sursis, et à 15.000 euros d'amende.

Malgré ces allègements, l'arrêt de la cour d'appel n'en demeure pas moins « historique » aux yeux des syndicats d'Orange. « C'est la première fois dans l'histoire de notre pays que des dirigeants sont condamnés pour harcèlement moral institutionnel », a déclaré Sébastien Croizier, le président de la CFE-CGC de l'opérateur. « Il faut s'en féliciter. » Sous le règne de Didier Lombard, France Télécom avait engagé un vaste plan de restructuration. Baptisé Next, celui-ci visait à supprimer 22.000 postes entre 2006 et 2008. Didier Lombard en avait fait la priorité des priorités. Il avait notamment déclaré à ses équipes qu'il souhaitait faire ces départs « par la fenêtre ou par la porte ». Cette politique a débouché sur un climat social délétère, et une forte dégradation des conditions de travail pour de nombreux salariés, dont certains ont mis fin à leurs jours.

« Nous réparons une souffrance »

Lors du premier procès de 2019, Orange était devenue la première entreprise et personne morale épinglée pour harcèlement moral institutionnel. Mais à la différence de Didier Lombard et d'autres dirigeants, l'opérateur avait accepté le verdict, et n'avait pas fait appel. Aujourd'hui, la direction d'Orange veut définitivement tourner la page. Au sortir du tribunal, ce vendredi, Nicolas Guérin, le secrétaire général d'Orange, l'a clairement affirmé. « Nous avons mis en place un processus d'indemnisation des victimes », a-t-il indiqué. « Il se poursuit. Nous réparons une souffrance qu'on a toujours reconnue. »

Du côté des syndicats d'Orange, qui ont fait office de lanceurs d'alerte dans cette crise des suicides, le son de cloche est quelque peu différent. Tous dénoncent une dégradation du climat social. Dans leur viseur figure, en particulier, le plan d'économies « Scale Up », initié il y a deux ans. Concrètement, ce « programme » dit d'« efficacité opérationnelle » vise à économiser 1 milliard d'euros d'ici à 2023, dont environ la moitié sur la masse salariale. « Les mêmes causes sont en train de produire les mêmes effets », a tempêté, ce vendredi, un responsable syndical.

Des syndicats inquiets

Cette inquiétude est partagée par Sébastien Crozier. « A l'évidence, on peut constater un regain de la tension sociale chez Orange », explique-t-il. « Cette tension trouve ses origines dans les mêmes ressorts qu'il y a quinze ans : c'est-à-dire un excès de recours à la sous-traitance [notamment pour le déploiement de la fibre, Ndlr], une demande de départs des collaborateurs, et une perte de sens du travail. » Le syndicaliste estime que cela pourrait mener l'entreprise « à la même catastrophe sociale qu'il y a quinze ans ».

Nicolas Guérin, lui, n'est pas de cet avis. « Dans l'entreprise, il y a des questionnements », explique-t-il. « Ceux-ci portent sur le pouvoir d'achat, sur le sort des réseaux, ou sur ce que nous allons faire demain... Mais nous ne sommes pas du tout dans la même situation [que lors de la crise des suicides]. » Le dirigeant souligne, que « depuis cette époque », Orange a mis en place tout un éventail de mesures pour éviter une nouvelle crise sociale.

Les salariés pressés de connaître la ligne d'Heydemann

« Nous avons doublé le nombre de médecins et le nombre d'assistantes sociales », égrène-t-il. « Nous avons des réseaux d'assistantes psychologiques qui ont vu le jour en interne et en externe. Nous avons des médecins-psychiatres, et nous avons mis en place des dispositifs de prévention qui n'existaient pas. » Il y a quelques mois, les représentants du personnel ont néanmoins tiré la sonnette d'alarme après deux suicides de salariés, possiblement liés au travail. Interrogé par La Tribune, Orange affirme prendre ces événements au sérieux. L'opérateur ajoute avoir immédiatement réuni les organisations syndicales, et initié des enquêtes paritaires.

Si les salariés sont parfois inquiets, c'est aussi parce qu'ils comprennent bien que l'entreprise et son modèle économique vont devoir évoluer. La fermeture du réseau cuivre, par exemple, va amputer le groupe de gros revenus... Orange est, par ailleurs, toujours confronté à une concurrence féroce dans l'Hexagone, où les prix restent parmi les plus bas d'Europe. La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont également eu des conséquences sur ses approvisionnements et sur ses coûts. C'est dans ce contexte que Christel Heydemann, la nouvelle patronne d'Orange, doit bientôt lever le voile sur son plan stratégique. Celui-ci devra définir les priorités du géant français des télécoms pour les cinq années à venir. Christel Heydemann doit le présenter dans le courant du mois de février. Les salariés, eux, l'attendent au tournant.

Pierre Manière

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