Faut-il faire la peau aux aides au logement, accusées d'augmenter les loyers ?

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  1135  mots
Trop chères et même contre-productives, si on en croit les propos de l'exécutif, les aides au logement feront bien l'objet d'une "réforme globale" qui "sera prête en octobre, novembre", a annoncé Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires mardi matin sur RTL.
Le ministre de la Cohésion des territoires a justifié la baisse des aides au logement en pointant leur coût et leur impact sur la hausse des loyers. Pour autant, ces allocations sont les plus efficaces pour lutter contre la pauvreté parmi les prestations sociales. Le gouvernement devra garder cela en tête dans sa réforme annoncée pour l'automne car, si elle se résume à un coup de rabot, les ménages les plus modestes pourraient en pâtir.

La baisse de 5 euros par mois des aides au logement (APL, ALS et ALF), à compter du 1er octobre, n'a pas manqué de faire grincer des dents depuis son annonce le 22 juillet. Et pour cause, cette décision budgétaire va amputer le pouvoir d'achat de 6,5 millions de Français, dont 800.000 étudiants.

Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, se justifie en rejetant la faute sur ses prédécesseurs qui ont "sous-estimé" le budget des aides, selon un rapport de la Cour des comptes. Cette baisse va permettre aux finances publiques de réaliser près de près de 100 millions d'euros d'économies sur l'exercice 2017. Pour autant, le gouvernement n'a pas l'intention d'en rester là.

Dans son discours de politique générale, prononcé le 4 juillet, le Premier ministre Edouard Philippe avait affiché sa volonté de "repenser les politiques publiques inactives", citant explicitement les aides au logement, qui coûtent cher et ne donnent "pas assez de résultats". Jacques Mézard en a remis une couche mardi matin sur RTL.

"Quand on met un euro de plus aux APL, ça fait une hausse de 75 centimes des loyers". De plus, "nous avons un budget d'APL de 19 milliards d'euros, un budget total d'aide au logement de 30 milliards d'euros, avec pas assez de logement et des loyers trop importants. Donc il y a un problème."

Trop chères et même contre-productives, si on en croit les propos de l'exécutif, les aides au logement feront bien l'objet d'une "réforme globale" qui "sera prête en octobre, novembre", a annoncé le ministre de la Cohésion des territoires mardi matin.

> Lire aussi : faut-il couper dans les aides au logement ?

Un lien établi entre les aides au logement et l'augmentation des loyers

Les critiques portant sur l'efficacité des aides au logement ne sont pas nouvelles. En 2005, une étude de l'économiste Gabrielle Fack, aujourd'hui rattachée à l'Ecole d'économie de Paris, indiquait déjà que "les aides pourraient bien être, pour une bonne partie, responsables de la hausse du loyer au mètre carré des ménages à bas revenus" entre 1973 et 2002. Les réformes des années 1990 ont élargi le nombre de bénéficiaires, en intégrant notamment les étudiants. Résultat, la demande a augmenté, mais l'offre de logement à court et moyen terme, elle, ne s'est pas suffisamment renforcée pour y répondre. Résultat, les loyers ont augmenté.

Dans la même veine, une étude menée par l'Insee sur la période 1984-2012 a estimé que "l'augmentation des aides pour le secteur locatif privé aurait principalement entraîné une hausse du prix des loyers". En conséquence, le montant supplémentaire versé à l'allocataire serait absorbé en grande partie par la hausse du loyer, rendant le coup de pouce coûteux et inefficace.

"C'était surtout vrai au début des années 1990"

Ces résultats méritent cependant d'être nuancés. "On le sait qu'il existe un effet inflationniste, mais c'était surtout vrai au début des années 1990. Les propriétaires avaient anticipé l'entrée des étudiants parmi les bénéficiaires de l'aide au logement", précise Christophe Robert, directeur général de la Fondation Abbé Pierre.

Citant le rapport de l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas), il souligne également que les loyers ont, en dix ans, augmenté plus vite que le plafond des allocations logement. Entre 2001 et 2010, les loyers plafonds des aides (loyer à partir duquel les aides ne peuvent plus augmenter, ndlr) n'ont été rehaussés que de 16 %, alors que les loyers réels payés par les bénéficiaires de l'aide au logement ont augmenté de 32 %, selon l'Igas. Ces plafonds étant sous-actualisés, huit locataires du parc privé sur dix se sont retrouvés à payer un loyer supérieur au loyer plafond. Dans ces conditions, leur pouvoir d'achat est affaibli et ils devront assumer entièrement toute augmentation de leur loyer. Moins vigoureuse, la demande de logement des allocataires n'a plus autant d'impact sur la hausse du prix du loyer.

De plus, étudiants mis à part, Christophe Robert note un "resserrement de la population éligible aux aides aux logements". Depuis plusieurs années, les conditions d'attribution des aides se sont durcies. Par exemple, un foyer de deux parents et deux enfants peuvent prétendre à l'aide au logement s'ils gagnent jusqu'à deux SMIC maximum. Auparavant exclu, le patrimoine est pris en compte dans le calcul de l'APL depuis octobre 2016 (les intérêts du livret A sont par exemple inclus dans le calcul). Cette mesure a fait baisser les aides de plus de 600.000 foyers.

Fondre l'aide au logement dans les minima sociaux ?

Reste que les aides au logement demeurent la cible de nombreuses études, le Conseil d'analyse économique (CAE) les citant explicitement parmi les pistes de réduction des dépenses publiques dans une note parue ce mois de juillet. Tout comme Gabrielle Fack qui proposait en 2005 de fondre ces allocations dans le RMI (ex-RSA) pour éviter les effets pervers sur les loyers, le CAE propose de les intégrer dans "une politique redistributive d'ensemble". Le directeur général de la Fondation Abbé Pierre n'est pas très réceptif à cette proposition. "Nous sommes très favorables à la fusion des minima sociaux, notamment pour des questions d'automatisation, sauf pour l'aide au logement", insiste Christophe Robert. "L'aide au logement n'est pas distribuée qu'à ceux qui bénéficient des minima sociaux, des allocataires actuels pourraient donc être exclus. De plus, l'aide au logement est plus affinée que les autres allocations, elle tient compte des disparités entre les territoires et leur évolution."

En revanche, le CAE incluait dans sa note des mesures compensatoires temporaires à toute baisse de l'effort de l'Etat dans la protection sociale. Concernant la politique du logement, il proposait par exemple de desserrer la régulation sur le foncier et la construction de sorte à dynamiser l'offre de logement pour exercer une pression à la baisse sur les loyers. Quoi qu'il en soit, une réforme de l'aide au logement peut difficilement être envisagée par le seul prisme de l'objectif budgétaire de réduction du déficit à 3 points de PIB. Dans son rapport cité plus haut, l'Igas a souligné que "les aides personnelles au logement ont le plus fort impact sur le taux de pauvreté des ménages", en le réduisant de 3 points, contre une diminution de 2 points pour les minimas sociaux ou les prestations familiales sans conditions de ressources. De même, elles sont un outil efficace pour favoriser l'accès et le maintien dans un logement, à des conditions acceptables, des ménages bénéficiaires. Une réforme se résumant au rabot pourrait alors sérieusement aggraver la situation des ménages les plus modestes et des classes moyennes.