Bonn sans nostalgie pour "son" Allemagne

Le 20 juin 1991, le Bundestag décidait de transférer la capitale de la République fédérale à Berlin. Bonn a su faire de ce choc une chance pour son économie. Mais le transfert n'a été que partiel et la menace d'un "deuxième tour" se précise.
Copyright Reuters

L'antonomase est une figure de style bien utile aux journalistes pour éviter les répétitions disgracieuses et gagner quelques signes. Sa forme la plus répandue consiste à utiliser le nom de la capitale d'un État pour désigner son gouvernement. Aussi certaines antonomases peuvent-elles disparaître au gré des caprices de l'histoire qui modifie l'un ou l'autre de ses termes. Nul n'écrit donc plus, par exemple, "Bonn" pour signifier l'Allemagne ; et réentendre ce trope aujourd'hui fleure bon les années 1970 et les rencontres entre VGE et Helmut Schmidt. Le sort de cette antonomase a en effet été scellé le soir du 20 juin 1991, lorsque le Bundestag approuva par 18 voix de majorité le transfert de la capitale de l'Allemagne réunifiée vers Berlin.

Dans la ville rhénane, l'inquiétude était vive. Monika Hörig, porte-parole de la municipalité, se souvient du "choc" et de la "consternation" qui y régnaient alors. Certaines études prévoyaient un exode de 95.000 personnes, un tiers de la population, qui ruinerait inévitablement l'économie locale. Bonn a pourtant relevé le défi et a réussi sa "conversion à l'économie de marché". Si elle n'est plus capitale, la ville peut ainsi s'enorgueillir du titre de troisième ville d'Allemagne par la capitalisation boursière de ses entreprises, grâce à la présence des sièges sociaux de Deutsche Telekom, Deutsche Post et Postbank. "La présence de ces groupes et les atouts universitaires et scientifiques de la ville ont favorisé l'implantation des entreprises dont le nombre a progressé en vingt ans de 50 %", se réjouit Michael Swoboda, le président de la chambre de commerce et d'industrie locale. Bonn est demeurée une ville dominée par le secteur des services, qui emploie 90 % des salariés de la ville, mais elle s'est diversifiée dans la technologie, la communication, l'économie de la santé ou les énergies alternatives.

Au sud du "quartier fédéral", celui des ministères, trône le symbole de cette métamorphose, la Post Tower, tour de verre de 160 mètres construite en 2002 pour accueillir le siège de la Deutsche Post. Ce quartier est loin d'être devenu un désert. Il est au contraire fort recherché par les nouveaux habitants, jeunes et aisés, attirés par la prospérité de la ville, et les prix de l'immobilier s'y enflamment. Les ambassades sont devenues des résidences luxueuses ou des sièges d'entreprises et, à l'emplacement de l'ancien immeuble du service de presse du gouvernement, devenu inutile, on construit un immense complexe immobilier. Il est vrai que, loin de s'effondrer, la population de la ville, où le taux de chômage de 6,6 % est inférieur aux moyennes du Land et du pays, a progressé de 10 % en vingt ans et va continuer au même rythme. Fait rare outre-Rhin, Bonn affiche en effet avec fierté un excédent des naissances sur les décès.

La loi de 1991 n'a donc pas été le coup fatal tant redouté. Bien au contraire. Pour Michael Swoboda, "un tel développement de la ville n'aurait pas été possible si elle était restée capitale ; l'économie locale serait alors demeurée confinée dans son ancienne niche administrative". On comprend alors que Bonn ne cultive guère la nostalgie de son passé. Dans les librairies ou chez les marchands de souvenirs, on préfère célébrer l'enfant du pays, Ludwig van Beethoven, que l'ancien statut de capitale fédérale. Même à la Maison de l'histoire de la RFA, on chercherait en vain un mot sur la loi de 1991. Il est du reste plus aisé, à la boutique de ce musée, de trouver des produits sur l'ex-RDA ou sur Berlin que sur Bonn !

Pourtant, la cité doit encore beaucoup à son passé de capitale. "Les infrastructures héritées de cette époque ont attiré les entreprises et les nouveaux habitants", reconnaît Monika Hörig. Surtout, Bonn a bénéficié de compensations importantes de la part de l'État fédéral : 1,4 milliard d'euros versés, le transfert d'organismes fédéraux, comme la Cour des comptes, déménagée de Francfort en 2000, et l'implantation, grâce au soutien de Berlin, de 19 institutions de l'ONU, notamment le secrétariat au Climat. Enfin, la cité rhénane demeure "ville fédérale" et l'administration publique représente encore 11,5 % des emplois de la ville, soit plus de 17.000 personnes.

Malgré son succès économique, Bonn n'est d'ailleurs pas prête à transiger sur ce statut qui, outre-Rhin, est régulièrement contesté. Ainsi, au ministère de la Défense, où 85 % des fonctionnaires résident à Bonn, on réfléchit clairement depuis la mi-mai à un transfert de services dans la capitale pour des raisons de coûts. Cette réflexion a relancé l'exigence du maire de Berlin, Klaus Wowereit, d'un déménagement complet des ministères dans sa ville. À Bonn, le maire, Jürgen Nimptsch, affirme ne pas voir une réforme de l'administration fédérale comme un "danger", mais il demande "que l'on se pose la question de ce qui est bon pour le pays". Selon lui, la proximité des institutions internationales justifie la présence dans sa ville des administrations d'environnement, d'éducation, de santé ou de développement. Quant à la Défense, il estime que la proximité de Bruxelles joue aussi en faveur de Bonn pour favoriser "une politique de défense européenne économe qui se fait attendre". L'argument du coût de cette division est repoussé par Michael Swoboda : "La situation actuelle coûte 10 millions d'euros par an, mais un transfert complet vers Berlin coûterait 2 à 5 milliards d'euros, sans compter les intérêts car l'État fédéral devra emprunter cette somme." Il faudra donc quelques siècles pour amortir un tel mouvement. Reste la question symbolique. Si Werner Jann, politologue à l'université de Potsdam, près de Berlin, juge que "le maintien des ministères à Bonn est un anachronisme", Jürgen Nimptsch y voit, lui, une "sage décision" incarnant la décentralisation du pouvoir. Et d'ajouter, offensif : "Ceux qui fragilisent cette règle placent l'intérêt de Berlin et du Brandebourg avant celui de la République."

Le sujet est donc très sensible à Bonn et l'on y craint beaucoup la décision qui sera prise à l'automne par le ministère de la Défense dans le cadre de son plan d'économie. "Si la Défense décide de quitter Bonn, cela pourra accélérer un affaiblissement de Bonn comme siège ministériel", estime Werner Jann. Michael Swoboda ne s'y trompe d'ailleurs pas : il affirme regarder cette évolution "de très près". Preuve qu'à Bonn demeure la crainte d'un "nouveau 1991".

Commentaires 2
à écrit le 27/06/2011 à 14:46
Signaler
C'est ça qui est génial en Allemagne : chaque territoire tire son épingle du jeu. Chaque région, chaque métropole peut développer ses atouts. Concentrer à l'infini dans une mégalopole comme en France avec Paris fait le déclin du pays car il n'y a plu...

le 29/07/2011 à 0:31
Signaler
Tout à fait d'accord avec vous. Je voulais juste vous signaler que Paris n'est pas une mégalopole mais une mégapole! Il existe 3 mégalopoles dans le monde : la BosRich aux États-Unis, la mégalopole européenne et la mégalopole japonaise. Je ne vous en...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.