L'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing est mort ce mercredi soir à l'âge de 94 ans, «entouré de sa famille» dans sa propriété d'Authon dans le Loir-et-Cher. L'ancien chef de l'Etat avait été hospitalisé dans «le service de cardiologie» de l'hôpital de Tours le 17 novembre pour une « insuffisance cardiaque », avait indiqué son entourage qui a annoncé son décès ce mercredi soir en précisant qu'il s'était éteint "des suites du Covid-19". En septembre, il avait déjà été hospitalisé à l'hôpital Georges Pompidou, à Paris, pour «une légère infection aux poumons».
Valéry Giscard d'Estaing avait fait l'une de ses dernières apparitions publiques le 30 septembre 2019 lors des obsèques à Paris de Jacques Chirac, qui fut son Premier ministre de 1974 à 1976 et son principal adversaire à droite.
Entré à l'Elysée à 48 ans, battant sur le fil François Mitterrand d'une flèche assassine ("vous n'avez pas le monopole du coeur, Mr Mitterrand"), le plus jeune président de la Vème République ("Giscazrd à la barre" scandaient ses partisans), assimilé à un "Kennedy" français, a dirigé la France de 1974 à 1981 en imposant un style radicalement nouveau, qui en fait l'inventeur de la communication politique moderne. Pédagogue, il veut informer et convaincre en lançant chaque mois ses "conversations au coin du feu" au coeur des foyers des Français les plus modestes.
L'enterrement des 30-Glorieuses
Valéry Giscard d'Estaing a incarné l'entrée dans la modernité d'une France qui doit s'adapter à marche forcée à un nouveau monde marqué par l'instabilité monétaire, deux chocs pétroliers et l'apparition du "chômage de masse". Il lui revient d'enterrer les Trente-Glorieuses au sortir de mai-68, et l'un des actes sociétaux les plus marquants de sa présidence est la loi portée par Simone Veil sur l'autorisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Mais les plus jeunes ont sans doute oublié qu'on lui doit aussi le droit de vote à 18 ans, les oppositions politiques la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel et les femmes de nouveaux droits avec le secrétariat d'état à la condition féminine confié à Françoise Giroud. De VGE date aussi le divorce par consentement mutuel qui a changé la vie de millions de familles. Dans l'économie, il a légué la création du G7, la défense de l'indépendance énergétique de la France avec la construction des centrales nucléaires (malgré l'échec de super Phénix, le nucléaire de seconde génération), et le lancement du TGV. Mais il ne parvint pas à stabiliser l'inflation née de la flambée du pétrole ni à juguler le chômage qui atteint les 2 millions à son départ. Il est aussi le président du regroupement familial pour laisser se réunir les familles de travailleurs immigrés celui qui généralisa la Sécurité sociale.
Deux Français sur trois
Premier non-gaulliste à s'emparer de l'Élysée, symbole de la continuité de la Vème République, élu après le décès brutal de Georges Pompidou en milieu de mandat, Giscard était le candidat d'un centre-droit libéral et démocrate-chrétien qui a bâti l'Europe d'après-guerre et en cela une sorte de précurseur du "en-même-temps" macroniste, avec son livre "Deux Français sur trois". Le duo Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, le chancelier allemand, incarne une Europe de la paix en devenir grâce à un couple franco-allemand devenu incontournable.
Polytechnicien et énarque, issu d'une grande famille bourgeoise, VGE a bâti sa carrière rue de Rivoli comme grand argentier du Général de Gaulle, occupant de 9159 à 1966 le prestigieux et tout puissant ministère de l'Économie et des Finances. Battu le 10 mai 1981 par François Mitterrand, Giscard a sans doute retardé l'arrivée au pouvoir de la gauche qui a failli lui imposer une première cohabitation en 1978. Trahi par Jacques Chirac, qui fracturera la droite en créant le RPR opposé à son parti l'UDF, et n'appellera pas à voté pour lui eni 81, et miné par l'affaire "des diamants de Bokassa", VGE quitta l'Elysée sur un « au revoir » plein d'élégance un peu désuette, resté dans les annales de la télévision.
L'auvergnat européen
Il tentera de rester dans la course de son fief de Chamalières, où il se fit élire député du Puy-de-Dôme puis président de la région Auvergne dont il porta le projet de parc volcanique Vulcania. Mais il ne parviendra jamais à crédibiliser son retour par la grande porte et sera battu aussi dans sa région. Il en garda une certaine amertume et une sorte de déception affective, constatant que les Français eux avaient tourné la page Giscard.
Ce grand européen porta à la demande de son grand rival devenu président Jacques Chirac la Convention pour l'Europe, chargée de rédiger une constitution européenne, qui sera rejetée par référendum en 2005, à son grand dam. Économiste brillant, auteur de plusieurs romans dont "La princesse et le président" ou d'essais politiques, il a été élu en 2003 à l'Académie française. Dans son dernier livre, "Loin du bruit du monde" (XO), il met en scène un homme qui décide un jour de disparaître et de se réfugier en Afrique. L'éternelle histoire d'un échec impossible à surmonter, l'histoire et le destin d'un homme à l'intelligence exceptionnelle mais qui ne sut jamais tourner la page.