La suppression de l'impôt sur la fortune et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière et l'introduction d'une flat tax avaient suscité une vague de débats. La crise des gilets jaunes débutée en novembre 2018 avait été le point d'orgue de cette contestation. Ces choix fiscaux critiqués pour leur iniquité ont clairement marqué les premières années du quinquennat Macron. Près de trois ans après le vote de ces réformes à l'Assemblée nationale, le comité d'évaluation rattaché à France Stratégie a rendu public un avis documenté sur les possibles effets de ces mesures ce jeudi 8 octobre. Selon les premiers résultats communiqués, les dividendes distribués ont clairement bondi passant de 14,3 milliards d'euros en 2017 à 23,2 milliards d'euros en 2018, soit une hausse de 62%. "La hausse des dividendes déclarés par les foyers fiscaux ont augmenté très fortement (+9 milliards). En 2019, la hausse se poursuit selon les premières données fiscales. Les hauts revenus ont augmenté plus vite que les autres. La hausse des revenus s'explique principalement par une hausse des revenus financiers. La hausse des dividendes est très concentrée dans la population" a affirmé Fabrice Lenglart, président du comité d'évaluation sur les réformes de la fiscalité du capital lors d'un point presse ce jeudi 8 octobre.
Une concentration des dividendes distribués
Sans surprise, cette réforme fiscale annoncée par Emmanuel Macron lors de sa campagne pour la présidentielle a clairement favorisé la concentration des dividendes distribués. Ainsi, 22,6 milliards d'euros de dividendes (soit 97% des dividendes) ont été versés à 1,7% des foyers fiscaux en 2018 contre 13,7 milliards (96% en 2017) à 1,6% de foyers fiscaux. En 2018, 64% de cette manne a été perçue par 0,1% des foyers fiscaux contre 53% en 2017. Ces résultats illustrent clairement les effets de cette réforme sur la circulation et la répartition du capital en France. "Il y a une concentration très forte des dividendes sur les plus hauts revenus" explique Fabrice Lenglart. "Entre 2017 et 2018, 20.000 foyers ont vu leurs dividendes augmenter de plus de 100.000 euros, pour une hausse totale de 8,6 milliards. Parmi eux, 1.500 foyers ont enregistré une augmentation de plus de 1 million d'euros de leurs dividendes, pour une hausse totale de 4,4 milliards d'euros" indiquent les experts.
Légère hausse des retours des exilés fiscaux
Les détracteurs de l'impôt sur la fortune ont régulièrement attaqué cette fiscalité "confiscatoire" accusée de faire fuir les riches et les talents à l'étranger. La France qualifiée "d'enfer fiscal" aurait enregistré des vagues massives de départs d'exilés fiscaux depuis la mise en oeuvre de l'impôt sur les grandes fortunes à partir de 1982 sous le premier mandat de François Miterrand. "Depuis le passage de l'ISF à l'IFI, on observe une baisse du nombre d'expatriations et une hausse du nombre d'impatriations fiscales de ménages français fortunés. Cette évolution porte toutefois sur de petits effectifs, de l'ordre de quelques centaines, à comparer avec les 130.000 contribuables assujettis à l'IFI en 2018" expliquent les rapporteurs. En outre, la baisse des départs avait débuté avant la mise en oeuvre de la réforme.
"En 2017, dans un contexte où le candidat puis président élu annonçait qu'il supprimerait l'ISF pour le remplacer par l'IFI, le nombre de départs à l'étranger de redevables à l'ISF a fortement chuté, à moins de 400, soit un niveau inconnu depuis 2005. En 2018, on observe cette fois une division par plus de deux du nombre de départs recensés, à un peu plus de 150. Cependant, ce chiffre n'est pas directement comparable à celui de l'année précédente, car il concerne désormais des redevables à l'IFI. Cette baisse du nombre de départs pourrait ainsi relever d'un effet mécanique, simple reflet de la réduction du nombre d'assujettis à l'impôt sur la fortune avec le passage de l'ISF à l'IFI (de 360.000 à 130.000)."
Un impact macroéconomique encore flou
Le gouvernement a souvent justifié cette réforme de la fiscalité du capital en expliquant qu'elle allait favoriser le financement de l'économie réelle par le biais d'une hausse des investissements. A ce stade, le comité d'évaluation demeure assez flou sur les effets macroéconomiques de ces réformes. "Comme indiqué l'année dernière, l'observation des grandes variables économiques - croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. - avant et après les réformes ne suffira pas pour conclure sur l'effet réel de ces réformes. En particulier, il ne sera pas possible d'estimer par ce seul biais si la suppression de l'ISF a permis une réorientation de l'épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises". Pourtant, dans sa lettre de mission, l'ex-premier ministre Edouard Philippe avait mentionné les objectifs des mesures gouvernementales.
"Afin de favoriser la croissance de notre tissu d'entreprises, de stimuler l'investissement et l'innovation, le gouvernement a profondément rénové la fiscalité sur le capital en instaurant un prélèvement forfaitaire unique, en remplaçant l'impôt de solidarité sur la fortune par un impôt recentré sur la fortune immobilière et en programmant une baisse du taux d'impôt sur les sociétés".
De son côté, Bercy concède que "les effets sur l'investissement tardent à être visibles mais certains indices vont dans ce sens. Les dividendes qui étaient thésaurisés dans les sociétés holdings sont redistribués aux ménages. Les réformes ont conduit à un regain de l'attractivité de la France et à un retour des expatriés fiscaux". Lors d'un débat au printemps 2019 en pleine crise des gilets jaunes, le président de la République avait évoqué d'éventuelles corrections en 2020. "Nous regarderons son efficacité. Si elle n'est pas efficace, nous la corrigerons. Si elle est trop large, qu'elle a des effets pervers, ils seront corrigés", avait-t-il ailleurs expliqué. Au ministère de l'Economie, l'entourage de Bruno Le Maire assure que la réforme sera maintenue dans l'état. "Le gouvernement a été assez clair sur la nécessité d'une stabilité fiscale. Il n'est pas question dans ce contexte de crise de revenir dans une situation d'instabilité fiscale".