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La situation est inédite en France. Gabriel Attal a déclaré mardi 15 mai que TikTok serait banni de Nouvelle Calédonie. La plateforme servirait de canal de diffusion aux groupes responsables des violences que connaît l'archipel depuis plusieurs jours et serait « un support de désinformation » selon le cabinet de Gabriel Attal, cité par Numerama. La mesure avait été envisagée par Emmanuel Macron lors des émeutes de 2023.
Des pillages, émeutes, et agressions ont eu lieu dans l'archipel faisant cinq morts dont deux policiers. Cette situation, faisant suite à une réforme électorale controversée, a conduit le gouvernement à déclarer l'état d'urgence, déployer des militaires pour « ramener le calme », et interdire donc l'utilisation de la plateforme chinoise où circulent des « messages d'appels à la haine ». Concrètement, pour bloquer l'accès au site, la solution déployée est de probablement perturber le mécanisme des noms de domaine (DNS), le système d'aiguillage du web. Lorsqu'un utilisateur se connecte à un site, le gouvernement force les opérateurs à le diriger vers une adresse incorrecte.
Cette décision a interloqué un certain nombre d'observateurs, notamment des défenseurs des libertés numériques et des spécialistes du droit. Car c'est d'abord la légalité de cette décision interroge. En droit commun, le gouvernement ne peut pas bloquer une plateforme si facilement, pointe Nicolas Hervieu, juriste en droit public et droit européen des droits de l'Homme. Mais au nom de l'état d'urgence, il peut s'appuyer sur l'article 11 II de la loi de 1955 (révisé en 2017) qui lui permet de prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme. « Mais ce n'est légal que s'il s'agit de lutter contre le terrorisme », explique Nicolas Hervieu. Nous n'avons pas la démonstration à ce jour qu'il s'agit de terrorisme en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement n'en fait pour le moment pas l'affirmation. » Interrogé à ce sujet, le cabinet de Gabriel Attal n'a pas souhaité donner plus d'information. Auprès de Numerama, il déclarait que la plateforme avait été interdite à cause « des ingérences et de la manipulation » dont elle fait l'objet.
« L'application est utilisée en tant que support de diffusion de désinformation sur les réseaux sociaux, alimenté par des pays étrangers, et relayé par les émeutiers.» La Chine et l'Azerbaïdjan sont notamment évoqués comme étant de potentiels acteurs d'ingérence, sans que plus d'éléments ne soient apportés.
« Même si la situation en Nouvelle-Calédonie est gravissime et très préoccupante, elle est difficilement qualifiable de terrrorisme au nom de la loi », remarque toutefois Nicolas Hervieu. Il faudrait pour cela que les actions des émeutiers soient organisées, or on observe plutôt des actions spontanées, et qu'il y ait une démarche de mise en place de la terreur. Le juriste est par ailleurs formel : une situation de désinformation ne constitue pas un motif suffisant pour imposer le blocage d'une plateforme.
Il estime que cette décision pourrait donner lieu à des recours, de la part de néo-calédoniens ou de la plateforme elle-même. Contactée, TikTok n'a pour le moment pas souhaité répondre.
Une mesure qui rappelle l'Iran et la Chine
Au-delà de sa légalité, l'aspect anti-démocratique du blocage d'un réseau social interpelle. Cette mesure rappelle des décisions prises en Iran, en Chine, en Inde... des états connus pour leurs pratiques autoritaires. « La mise sur le même plan sémantique du "déploiement de l'armée" et de "l'interdiction de TikTok" est à la fois surréaliste et programmatique. Surréaliste car on croirait un cadavre exquis, et programmatique car elle désigne la plateforme comme disposant des attributs d'une puissance militaire qu'il convient d'abattre. C'est donc à la fois se tromper de sujet et se tromper de cible" », écrit sur son blog Olivier Ertzcheid, chercheur spécialiste en sciences de l'information.
Coïncidence. La décision du Premier ministre Gabriel Attal de bloquer TikTok en Nouvelle Calédonie est intervenue le même jour que la publication du rapport de l'ONG Access Now. Celle-ci fait un bilan du nombre de blocages du web et des plateformes durant l'année 2023. Ceux-ci sont en forte augmentation, rapporte l'ONG, qui s'inquiète d'une normalisation de cette pratique. Dans ce rapport, l'ONG rappelle d'ailleurs la prise de parole d'Emmanuel Macron lors des émeutes de juin 2023 suite à la mort de Nahel Mezouk, durant laquelle il avait déjà évoqué le potentielle blocage de la plateforme, provoquant des réactions enflammées.
Par ailleurs, si le but est d'empêcher à des groupes de s'organiser ou de diffuser des campagnes de désinformation, on peut s'interroger sur pourquoi le choix de TikTok plutôt qu'une autre plateforme. « Sans accès à TikTok, la jeunesse réellement mobilisée et active se trouvera et s'est déjà probablement trouvée d'autres canaux de mobilisation et d'organisation, le premier d'entre eux étant WhatsApp, écrit encore Olivier Ertzscheid. Et pour "l'autre jeunesse", celle qui se contente d'être jeune mais n'est ni particulièrement mobilisée ou politisée, elle vivra cette interdiction comme une censure et une privation aussi injustifiée qu'injustifiable, et là peut-être y verra les raisons de se mobiliser ou d'entrer dans le conflit.»
Si l'on bloque TikTok, pourquoi ne pas bloquer WhatsApp et Telegram ?
« Lorsqu'on étudie les menaces cyber, la plateforme que nous croisons le plus souvent c'est Telegram. C'est celle qui est la plus utilisée pour mener à bien des cyberattaques ou des campagnes de désinformation », pointe de son côté Adrien Merveille, expert en cybersécurité chez Check Point Software Technologies..
Un blocage est par ailleurs toujours contournable. « Quand vous bloquez une plateforme, il y a toujours un moyen de le contourner, rappelle. En quelques clics, vous pouvez télécharger un VPN. Même dans des pays où le blocage étatique est bien plus fort, certains trouvent des moyens de le contourner » rappelle Arnaud Lemaire, expert en cybersécurité chez F5.
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