L'accident survenu le 8 juin sur un terminal de liquéfaction de gaz de l'entreprise Freeport LNG, sur l'île de Quintana, non loin de Houston au Texas, est en train d'avoir des répercussions internationales importantes. La fermeture de ce site "va réduire la capacité totale des exportations de GNL des Etats-Unis de 17%", souligne l'Agence d'information américaine de l'énergie (EIA). Il faudra pas moins de 90 jours pour redémarrer partiellement la production de gaz et les exportations ne pourront pas reprendre avant la fin de l'année, selon un communiqué de Freeport LNG. Paradoxalement, cette annonce a entraîné une baisse momentanée des cours du gaz naturel aux Etats-Unis, qui ont reculé de 16% sur la semaine, même si sur un an ils progressent de 130%. Car malgré cette réorientation de la production dédiée aux exportations vers le marché local, les besoins mondiaux vont continuer à croître.
Une non-coïncidence
En revanche, ils sont repartis à la hausse en Europe, atteignant ce vendredi en début de matinée 140 euros le MwH, au plus haut depuis deux mois, avant de refluer vers les 123 euros sur le TTF, le marché au comptant (spot) néerlandais, référence européenne, principalement en raison de l'annonce du géant gazier russe Gazprom de nouvelles coupures inattendues. "Les prix du gaz en Europe ont grimpé en flèche, car la Russie semble une fois de plus vouloir réduire l'approvisionnement de l'Allemagne et de l'Italie, qui restent fortement tributaires d'elle. Ces deux pays, qui se conforment pourtant aux exigences de paiement en roubles, ont vu leurs flux fortement affectés alors qu'ils tentent de reconstituer leurs réserves avant l'hiver, ce qui, selon certains observateurs, n'est pas une coïncidence", commentait ce vendredi dans une note Craig Erlam, analyste chez OANDA. Dans la foulée, la France annonçait qu'elle ne recevait plus de gaz russe.
Le marché du gaz naturel européen reste tendu. Le cours s'est apprécié de plus de 49% sur une semaine, et affiche une progression de quelque 318% sur un an, reflétant la difficulté des pays de l'UE à trouver une alternative au gaz russe, notamment avec les Etats-Unis, qu'amplifie l'accident du site de Freeport LNG.
"Comme les autres infrastructures d'exportations de GNL aux Etats-Unis, 71% des exportations de Freeport LNG étaient à destination de l'Europe, y compris la Turquie, au cours des cinq premiers mois de l'année, à comparer avec une moyenne de 29% durant 2021. Entre janvier et mai 2022, les exportations de GNL de Freeport LNG vers l'Asie ont décliné de 63% par rapport à 2021", souligne l'EIA (voir graphique).
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Au total, sur les quatre premiers mois de l'année 2022, les Etats-Unis ont exporté 74% de leur GNL vers l'Europe contre 34% en moyenne en 2021. Or cette augmentation ne provient que marginalement d'une augmentation des capacités. Elle s'est faite davantage au détriment des livraisons vers l'Asie qui, en 2020 et 2021, représentait la destination de la moitié des exportations américaines de GNL.
Si cette redistribution de la carte des exportations de gaz naturel s'est accélérée avec l'engagement des Etats-Unis fin mars de fournir 15 milliards de m3 de gaz supplémentaire à l'Union européenne, les producteurs de GNL américains avaient été surtout attirés en 2021 par l'attractivité des prix européens de gaz qui se sont installés à des niveaux records (voir graphique).
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Les exportations des hydrocarbures sont d'ailleurs devenues aux Etats-Unis un sujet politique majeur. Car si les marchés du gaz naturel local et international y sont relativement décorrélés, ce n'est pas le cas pour le pétrole, en particulier les produits raffinés comme l'essence et le diesel.
Le prix moyen du gallon (3,78 litres) d'essence atteint 5 dollars aux États-Unis, contre 3 dollars il y a un an. C'est devenu le cauchemar de Joe Biden, alors que se rapproche l'échéance des élections de mi-mandat, prévues en novembre, qu'il pourrait bien perdre.
Car le prix de l'énergie alimente une inflation qui est aux plus haut depuis 40 ans, et a poussé la Réserve fédérale a accélérer le rythme de remontée de ses taux, avec un risque de récession que redoutent les marchés financiers qui ont lourdement chuté cette semaine. "La hausse des prix du pétrole est d'une amplitude telle qu'elle pourrait amputer de deux points en rythme annualisé la croissance du PIB réel au deuxième 2022, un impact jamais atteint en dehors des récessions. Le choc n'est pas aussi fort que dans les années 1970 ou durant la guerre du Golfe, mais s'y ajoutent cette fois des tensions sur le prix du gaz. Cela aggrave le choc énergétique", souligne Bruno Cavalier, économiste chez Oddo BHF.
Biden écrit aux "majors" pétrolières
Fait inhabituel, Joe Biden s'est fendu mercredi d'une lettre courroucée adressée aux sept "majors" pétrolières américaines (Shell, Marathon Petroleum Corp, Valero Energy Corp, ExxonMobil, Phillips 66, Chevron et BP) pour leur demander d'augmenter leur production d'essence et de diesel.
Il critique notamment le choix des majors de préférer profiter des marges importantes pour raffiner le brut en essence et diesel, indifférentes au fait que l'économie est "en temps de guerre", faisant allusion à l'invasion russe de l'Ukraine qui a amplifié la crise énergétique mondiale.
Il reproche notamment à ses majors d'avoir réduit leurs capacités de raffinage depuis 2020 de quelque 800.000 b/j. En réalité, c'est davantage. En mars 2020, avant la pandémie, la capacité opérationnelle était de 18,45 mbj. En mars 2022, elle était de 16,37 mbj, selon des données officielles.
Cette baisse de la capacité de raffinage résulte à la fois des capacités qui ont été fermées lors du confinement, en raison de la chute des marges liée à un écroulement de la demande. Des capacités qui ne sont pas revenues sur le marché. Après la Russie et la Chine, les Etats-Unis abritent les plus importantes capacités de raffinage. Or, la Russie est soumise à sanctions, et l'activité en Chine a été perturbée par la pandémie et une stratégie de lutte zéro-Covid avec des stricts confinements qui a fait chuter les exportations, notamment de produits raffinés.
Si Joe Biden pointait la baisse des capacités de production, Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, et représentante de l'aile gauche du Parti démocrate, demande, elle, une limitation des exportations des produits raffinés pour les réorienter sur le marché local.
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De fait, le phénomène est bien réel (voir graphique ci-dessus). "Comme l'Europe est en train de remplacer ses importations de pétrole et autres hydrocarbures de Russie, les exportations de brut et de produits raffinés des Etats-Unis vers l'Europe sont passées de 2,6 mb/j en février (avant l'invasion de l'Ukraine) à 3,7 mbj à la fin du mois de mai", indique l'IEA. Cela représente une hausse de plus de 42%. Citant le cabinet spécialiste de la data sur les marchés des matières premières Kpler, les exportations de brut ont atteint des niveaux records en avril avec 1,5 mb/j et 1,4 mb/j en mai.
En réalité, le marché pétrolier ne déroge pas à la conjoncture mondiale pénalisée par les goulots d'étranglement des chaînes d'approvisionnement provoqués par les confinements du Covid-19, notamment en Chine ces dernières semaines, et amplifiés par la guerre en Ukraine. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que pour ce seul pays, 5 mbj de capacités de raffinage n'ont pas été utilisées durant le deuxième trimestre, dont une large part était exportée (voir graphique).
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Mais de nouvelles capacités sont prévues. "Après avoir connu sa première baisse en 30 ans en 2021, la capacité mondiale de raffinage reprend sa trajectoire de croissance cette année. Des ajouts nets de 1 mb/j sont prévus pour 2022 et 1,6 mb/j supplémentaires en 2023", assure l'AIE (voir graphique). Reste à savoir si ces projections se confirmeront.
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