Pourquoi Alexis Tsipras a-t-il choisi un président conservateur ?

Prokopis Pavlopoulos, ancien ministre de l'Intérieur de droite, a été élu président de la République hellénique par 233 voix sur 300. Le choix d'Alexis Tsipras peut paraître déroutant. Explications.
La Vouli a enfin élu un président

On l'avait un peu oublié, mais l'élection grecque du 25 janvier avait été provoquée par l'incapacité de la précédente Vouli (parlement hellénique) d'élire un président de la république avec la majorité nécessaire des trois cinquièmes. Mercredi 18 février, la Vouli issue du 25 janvier a élu Prokopis Pavlopoulos comme chef de l'Etat pour succéder à Karolos Papoulias à une large majorité de 233 des 300 députés composant le parlement.

Un juriste respecté

Or, la figure du nouveau président est assez éloignée de ce que l'on peut attendre d'un chef de l'Etat désigné par la Vouli la plus à gauche de l'histoire hellénique. Prokopis Pavolopoulos est un homme de droite, membre du parti de droite de la Nouvelle Démocratie. Cet avocat est né en 1950 dans la très conservatrice région de Kalamata, au sud du Péloponnèse, comme l'ancien premier ministre Antonis Samaras. Avocat, il a derrière lui une brillante carrière de juriste, notamment à l'université parisienne d'Assas, ce qui fait de lui un parfait francophone.

Un homme décrié à gauche

Politiquement, il a conseillé le « père de la démocratie grecque », Konstantinos Karamanlis, lors de son second mandat présidentiel dans les années 1990. Mais il se fait surtout remarquer lorsque, en 2004, il entre dans le gouvernement du neveu de ce dernier, Kostas Karamanlis, en tant que ministre de l'intérieur et des affaires administratives. Pendant cinq ans, il se fait beaucoup d'inimitiés à gauche, notamment lorsqu'il organise des recrutements massifs dans la fonction publique en 2007 pour assurer la réélection du cabinet en 2007. Un parfait exemple de ce clientélisme tant décrié en Grèce, surtout par Syriza. Mais ce qu'on lui reproche beaucoup également, c'est le meurtre le 6 décembre 2008 d'un jeune de 15 ans dans le quartier « alternatif » d'Exarchia à Athènes par un tir de la police. A l'époque, ceci avait produit une agitation à laquelle la police avait souvent répondu par la violence. A l'époque, Syriza avait violemment critiqué la gestion de cette crise par Prokopis Pavolopoulos.

Mécontentements à gauche

Ce choix d'Alexis Tsipras a donc été fortement critiqué. Les réseaux sociaux se sont déchaînés et l'icône vivante de la résistance et de la gauche, Manolis Glezos, celui qui, en avril 1941, avait décroché le drapeau nazi flottant sur l'Acropole et qui, à 92 ans, est aujourd'hui député européen Syriza a fait savoir publiquement qu'il n'approuvait pas ce choix. Pourquoi alors avoir choisi un homme respecté pour ses compétences mais qui est l'incarnation de « l'ancien régime » ?

Refus du sectarisme

Dès le départ, Alexis Tsipras voulait choisir un homme de l'opposition à la présidence. Il s'agit pour lui de montrer qu'il n'entend pas mettre en place un « Etat Syriza », mais qu'il veut donner une voix aux minoritaires. Le nouveau gouvernement n'oublie pas que, voici encore cinq ans, Syriza ne pesait encore que moins de 5 % des voix. Ses électeurs sont donc d'anciens électeurs des deux grands partis. D'où cette volonté de non sectarisme et d'ouverture.

Capacité d'union

Vis-à-vis de l'Europe, il s'agissait également de prouver sa capacité à construire une certaine forme d'union nationale. De ce point de vue, le pari est plutôt réussi : tous les députés de Syriza (sauf deux), de Nouvelle Démocratie (sauf deux) et des Grecs Indépendants (les alliés souverainistes de Syriza) ont voté pour Prokopis Pavolopoulos. Comme souvent, Alexis Tsipras tente de déjouer les a-prioris pour mieux appliquer son programme. Car, depuis la révision constitutionnelle de 1985, le chef de l'Etat grec a un rôle surtout représentatif. Au mieux peut-il, comme en mai-juin 2012 tenter d'être facilitateur en cas de crise politique. C'est un arbitre, mais en réalité dépourvu de tout pouvoir : son droit de dissolution est très limité. Le risque pour le gouvernement était faible. C'était faire de l'union nationale à bon marché.

L'hypothèse Avramopoulos

La première idée d'Alexis Tsipras était de proposer le commissaire européen aux affaires migratoires et intérieures, Dimitris Avramopoulos. Lui aussi conservateur et nommé à Bruxelles par Antonis Samaras, il permettait à Syriza de nommer un commissaire européen issu de ses rangs pour le remplacer. Ainsi, pour le prix faible d'un président de la république conservateur, on pouvait disposer d'un membre de Syriza à Bruxelles. La perspective a affolé Bruxelles et Jean-Claude Juncker s'est ému de devoir collaborer avec un « marxiste » dans « sa » commission. Du reste, Dimitris Avramopoulos n'avait pas non plus les faveurs de la gauche du parti, notamment en raison de sa présence dans deux gouvernements qui ont soutenu la troïka, ceux de Lukas Papadimos en 2011-2012 et d'Antonis Samaras en 2012-2013.

Un choix acceptable pour la gauche

Devant ces résistances et pour ne pas s'aliéner une peu plus Jean-Claude Juncker, Alexis Tsipras a donc porté son choix vers Prokopis Pavlopoulos. Paradoxalement, ce choix avait tout pour plaire à une partie de la gauche de Syriza. Car malgré son malheureux passage au ministère de l'intérieur, c'est un personnage qui a une image plutôt neutre d'expert. Sa proximité avec Konstantinos Karamanlis, l'homme qui a mis fin à la dictature des Colonels, lui donne une aura unitaire. De même, le nouveau chef de l'Etat n'a pas participé aux gouvernements « austéritaires » de 2011-2014 et, parfois, il a même voté contre les mesures exigés par la troïka. Enfin, en 1989-1990, il a été porte-parole du gouvernement de Xénophon Zolotas, gouvernement de transition, mais qui reroupait les conservateurs et le Synaspsimos, l'alliance des deux partis communistes dont Syriza est l'héritier. C'est donc une figure acceptable parmi les Conservateurs grecs.

Unité et stabilité

Avec ce succès, en tout cas, Alexis Tsipras renforce sa base intérieure alors que l'on entre dans la phase finale des négociations avec la zone euro. Capable de rassembler, là où le gouvernement précédent avait échoué et à l'heure où Syriza est donné à 49 % d'intentions de vote par certains sondages, le nouveau premier ministre peut avancer dans la balance des négociations à la fois un fort soutien intérieur et sa capacité à assurer la stabilité politique dans un pays qui en a beaucoup manqué.

Commentaires 9
à écrit le 19/02/2015 à 14:51
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Sans pays il n'y a pas d'union mais, sans union il y a toujours des pays!

à écrit le 19/02/2015 à 13:40
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Une Présidence Bio est censée être sans conservateur!

à écrit le 19/02/2015 à 10:40
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A vrai dire, Tsipras n'avait pas de choix, comme il n'a pas la majorité requise pour l'élection du président. En présentant un candidat de sa couleur, il aurait risqué la dissolution du parlement en cas d'un vote négatif. Comme la majorité de la popu...

le 19/02/2015 à 10:57
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Nuance : les Grecs veulent rester dans l'UE, pas garder l'euro absolument ! Cela leur permettrait d'acquérir une vraie autonomie politique et financière, l'indépendance quoi, mais avec la volonté politique de rester dans l'Union comme la Tchéquie, do...

le 19/02/2015 à 13:27
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@labete: toute le monde veut le beurre, l'argent du beurre et la crémière, mais dans une famille, on ne peut accepter que certains mangent toujours le meilleur et laissent aux autres les restants. C'est sans doute pourquoi, ce fut également une erreu...

le 19/02/2015 à 14:49
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C'est pas l'UE qui a accepté les pays, mais c'est les pays qui ont accepté d'entré dans l'UE!

à écrit le 19/02/2015 à 10:24
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Très bonne analyse, comme d'habitude. Merci

à écrit le 19/02/2015 à 10:03
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Pas de surprise! Quand on veut transformer un pays (une nation) en zone économique pour les gens de l'extérieur on a plutôt tendance a être récalcitrant à l'intérieur!

à écrit le 19/02/2015 à 9:41
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Pas besoin d'en faire une thèse : les Grecs sont dans la panade, ils se font un gouvernement d'union nationale. C'est logique, c'est intelligent, et c'est éventuellement courageux aussi de la part des politiciens. Bref : ce n'est vraiment pas comme...

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