C'est l'été 1965. Anne Wiazemsky a 18 ans. Elle a été choisie par Robert Bresson pour incarner l'héroïne d'"Au hasard Balthazar". Le mois qui va suivre s'annonce excitant pour la jeune fille. Elle ne se doute pas de ce qui l'attend. Son grand-père, François Mauriac, l'a pourtant mise en garde : "Ton Bresson me paraît être... Un drôle de zigoto." Et de l'encourager à tenir son journal pour se "fabriquer une arme redoutable" et acquérir sa revanche le jour venu. 40 ans plus tard, il est temps de mettre tous ces souvenirs à plat.

Point de revanche pourtant, plutôt une déclaration d'amour. Le portrait qu'elle dresse de Bresson, ce vieux monsieur dont plusieurs membres de l'équipe de tournage n'ont de cesse de répéter qu'ils ne lui confierait jamais leur fille, est bien celui d'un être possessif, intransigeant, tyrannique, mais surtout d'un être touchant. Il faut l'entendre s'adresser à la jeune Anne, d'un rigorisme à la fois tranchant et grotesque, en parlant de ses fréquentations : "Ne me parlez plus jamais de ces gens qui me paraissent bien ordinaires... Ils sont trop vieux pour vous. Ne les revoyez pas."

Car le temps du tournage, Robert Bresson n'a d'yeux que pour sa jeune protégée qu'il oblige même à rester la nuit dans la demeure qu'il occupe, à l'écart du reste de l'équipe. Une attitude effrayante mais qui apparaît tout autrement sous le regard indulgent et reconnaissant d'Anne Wiazemsky qui sait qu'elle vivait alors un tournant dans sa vie. Le passage à sa vie d'adulte, guidée par un pygmalion atypique mais bienveillant. A la fin du tournage, la jeune fille n'en est plus une.

"Jeune fille" d'Anne Wiazemsky (Gallimard, 220 pages, 16,90 euros)