Avignon, près du Pont (Acte I)

Temps chaud et orageux. Grande foule et textes en rage. Depuis l'ouverture le vendredi 6 juillet, de ce Festival d'Avignon dont c'est le soixantième anniversaire, le public est au rendez-vous.

Déjà quelques événements, notamment cette unique lecture, mardi soir, dans la Cour d'honneur balayée par des bourrasques de vent, du sublimissime texte "Quartett" de Heine Müller (traduit par Jean Jourdheuil), nourri des "Liaisons dangereuses", avec Jeanne Moreau, sidérante dans les mots taillés dans le diamant noir le plus pur de la Marquise de Merteuil, et Sami Frey renvoyant la galanterie par des coups de haute volée. A côté de l'officiel festival In, le Off, qui a retrouvé son unité, affiche quelques pointures et nous en reparlerons.

"Les Paravents"
Il y a cinq ans déjà, le metteur en scène Frédéric Fisbach présentait son travail sur la pièce de Jean Genet, ces "Paravents" qui avaient provoqué tant de bruit et de fureur lors de la création en 1966 à l'Odéon, à Paris. A l'époque, la guerre d'Algérie était encore très vive dans les esprits et le poème de Genet paraissait pour certains trop clairement inspiré par cette histoire pour être supportable. En 2001-2002, l'adaptation de Fisbach eut un autre effet. Ce fut une découverte et un réel succès.

Revoir aujourd'hui cette proposition, marquée par l'art de la marionnette que le metteur en scène a intégré après l'un de ses premiers séjours au Japon, est un vrai bonheur. Des marionnettes parce qu'il y a vu la possibilité de contourner la difficulté de la centaine ou presque de personnages que contient la pièce de Genet. Il garde trois vivants plus miséreux que les miséreux -la mère, le fils et la bru- interprétés par des comédiens. Les autres, et tous les morts qui ont comblé le temps et l'espace de cette guerre que l'on devine, sont donc entre les fils de marionnettistes japonais.

Petits pantins de 70 centimètres (à l'entrée du théâtre, des jumelles sont prêtées aux spectateurs) qui jouent un militaire ou autre colon, leurs dialogues sont portés par deux comédiens installés au jardin, sur le plateau. Ils jouent réellement ces deux comédiens dont la voix est sonorisée. Ce sont ces "vociférateurs" dont Roland Barthes parlait, explique Fisbach. Ils prennent des accents, ajoutent du bruitage, viennent aussi sur le plateau. Les effets scéniques sont magiques. Où l'on comprend aussi sans lourdes démonstrations que la misère extrême n'a même pas le choix de prendre parti pour les uns -les opprimants- ou les autres -les opprimés.
Au Théâtre Municipal d'Avignon, jusqu'au 13 juillet.

"L'Acte inconnu"
Après son entrée en 2006 au répertoire de la Comédie Française avec "L'Espace furieux", voilà Valère Novarina, l'inventeur de mots, de métiers, de mondes, au point de parler de "novarinades" parfois à son sujet, qui débarque dans la Cour d'honneur avec "L'Acte inconnu". Comme d'habitude, il en est l'auteur, le metteur en scène et le plasticien. L'artiste est complet et il le prouve depuis près de soixante ans.

Cet "Acte inconnu" déborde d'énergie, d'intelligence, de drôlerie, même si parfois, au cours des presque deux heures trente de spectacle, il y a quelques coups de pompe et une fin qui s'essouffle trop à ne pas vouloir finir. Mais peu importe, il s'agit ici de repousser la mort. Ou, plutôt, de faire en sorte que la vie soit pleine et bien remplie. Récemment, dans la garde rapprochée des comédiens novariniens pur jus, il en est un qui est parti trop vite, Daniel Znik, il y a quelque mois. Ce fut le choc. Novarina ne l'oublie pas et donne une des scènes les plus magnifiques au cours de son spectacle.

Entre les personnages -le Bonhomme Nihil, Raymond de la Matière, la Femme Spirale ou encore l'Ouvrier du Drame-, c'est le mouvement perpétuel, les chants les plus fous et les phrases d'inquiétude: "Je souffre avec un désaccord total envers la mort", "Sauvez la pensée en l'écartelant", "Il meurt en prononçant le langage" ou encore "Ô mort, ne me plante pas au milieu de la vie!".

Dans cette cour immense, la scénographie de Philippe Marioge invente une planète abstraite où chaque comédien (il faudrait tous les citer) et l'homme à l'accordéon (Christian Paccoud) remodèlent à chaque instant les continents. Et l'on adhère, malgré quelques restrictions, comme celui-ci qui déclare: "J'adhère au sujet, verbe, complément"
Jusqu'au 12 juillet. Le mercredi 11 juillet sur Arte. Le spectacle passera par Paris (La Colline) et d'autres villes. Texte édité chez P. O. L.

"Bleue, Saignante, A Point, Carbonisée"
La réputation de dénonciateur de la société de consommation de l'Argentin Rodrigo García est déjà bien installée. En Espagne, où il vit, mais aussi en France, où ses pièces, qui taillent crûment dans le vif de la vie, sont montrées depuis sept à huit ans ("After Sun", "L'Histoire de Ronald, le clown de McDonald's", "Jardinería humana", etc.). Derrière des situations qui ne manquent pas de provoquer, de déranger, García pointe aussi la société des exclus, ce monde de la pauvreté que lui-même a vécue.

Avec "Bleue, Saignante...", García fait revivre sur scène un monde de sans-grade qu'il fréquentait jeune à Buenos Aires, ces "murgueros" qui font vivre un carnaval où la "Murga" (danse et musique) reste à un niveau rudimentaire, plus pauvre que ce qui se passe au Brésil par exemple, mais tout aussi fou.
Le metteur en scène est allé filmer récemment ces groupes et est revenu avec un certain nombre d'entre eux. Que voit-on sur la scène? D'abord des jeux de gamins, bien sûr: la provoc qui peut aller jusqu'à l'humiliation, la bagarre, le désir où le sexe n'est pas absent. Des explosions de nerfs aussi, où la musique sert d'issue de secours au désespoir, à l'ennui, au manque de tout. Et puis, par des images sur grand écran, García revient sur la drogue, la misère, l'amour aussi dans ces petites familles pas encore adultes où l'on meurt pour de mauvais mots. Il montre aussi des scènes étonnantes sur le plateau où cette jeunesse est transformée façon morceaux de viande sous cellophane.

La consommation et ses dérives, García retrouve son cheval de bataille et fait entendre et voir des scènes pleines de sens politique. Mais il plombe au final son spectacle par un long discours moral sur la société. Que le monde n'aille pas bien et inquiète, ce n'est pas une surprise. Son théâtre est suffisamment clair pour ne pas en rajouter par un prêche.
Au Cloître des Carmes, jusqu'au 13 juillet.

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