Les règles du départ négocié doivent être modifiées !

Plus de 80% des ruptures de contrat de travail des cadres donnaient lieu à transaction. Employeur et salarié ont bien souvent un intérêt commun à formaliser de tels accords. Mais les règles de droit qui régissent cette modalité de licenciement semblent confuses et difficilement applicables.

Les faits parlent d'eux-mêmes ! Les départs négociés entre employeurs et salariés prennent une dimension de plus en plus importante dans les entreprises. Déjà dans les années 80, une étude effectuée par l'ANDCP avait fait ressortir que plus de 80 % des ruptures de contrat de travail des cadres donnaient lieu à transaction. Sans nul doute, le mouvement s'est amplifié depuis. Alors qu'il y a une vingtaine d'années la première étape consistait à rompre le contrat de travail du salarié pour ensuite tenter de se mettre d'accord dans le cadre d'une transaction, on constate aujourd'hui que l'on parle de négociation avant de parler de rupture du contrat ....

C'est dire l'importance du sujet...On remarquera en outre, que l'employeur et le salarié ont bien souvent un intérêt commun à formaliser de tels accords. Pour le salarié, il y a bien souvent le souhait de quitter son employeur en bon terme, de faire l'économie de frais inhérents à une instance contentieuse qui peut être longue et aléatoire et de se dire, en fin de compte, qu'un "mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès".

Du côté de l'employeur, celui ci peut rencontrer deux avantages dans la proposition d'un départ négocié : éviter un mauvais climat au sein de l'entreprise, voire une mauvaise publicité à l'extérieur de l'établissement mais aussi, éliminer tout aléa. Tous les juristes savent qu'un bon dossier ne veut pas dire nécessairement un procès gagné...A l'ensemble de ces arguments, on ajoutera la volonté des pouvoirs publics de pacifier les relations au sein de la société....y compris les relations dans le monde du travail. Et, paradoxalement, les conseils de prud'hommes traitent aujourd'hui plus de 200 000 dossiers par an....

Or, en droit français, et alors que la notion de départ négocié devrait être simple, elle recouvre deux éléments bien différents : d'une part la transaction (c civ art 2044 s) et d'autre part la rupture amiable (c civ art 1134)...Le moins que ces deux notions, inscrites dans le Code civil depuis 1804, ne sont pas adaptées à la matière spécifique du droit du travail et nécessitent des réformes profondes.

La notion de rupture amiable est prévue par l'article 1134 du Code civil qui prévoit que ""les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise...". Théoriquement donc, le contrat que l'employeur et le salarié ont formalisé par commun accord peut être rompu par ce même commun accord...

Toutefois, par divers biais, la jurisprudence a amoindri la portée de la rupture amiable. Elle a ainsi décidé que ce type de convention ne pouvait valablement être formalisée en l'état d'un litige existant (Cass. soc. 4 avril 1990). En outre, s'agissant d'un départ négocié pour motif économique, l'article L 321-1 du Code du travail précise désormais que la procédure de licenciement économique s'applique à toutes les ruptures de contrat de travail ayant une cause économique.

Cette formule exclut donc la possibilité pour l'employeur d'envisager la négociation directe avec le salarié de la rupture de son contrat de travail en évitant la procédure de licenciement économique. Et pour couronner le tout, on n'oubliera pas de mentionner que l'assurance chômage refusera bien souvent sa prise en charge, estimant que la rupture amiable équivaut à une démission du salarié....

Quant à la transaction, elle est définie par l'article 2044 du Code civil comme "un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître". Et à l'article 2052 d'ajouter que le dit accord elle a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée. Bien que le Code du travail n'envisage pas la transaction, sa validité est reconnue de longue date dans les relations de travail.

Toutefois, la jurisprudence fixe des conditions draconiennes pour admettre la validité de tels contrats : celui-ci doit être écrit, un différend doit exister entre les parties, l'accord doit caractériser des concessions réciproques (le salarié devant obtenir davantage que ce à quoi il pourrait prétendre dans le cadre de la rupture de son contrat de travail), la convention ne peut intervenir qu'après la notification de la rupture du contrat de travail...

Sur ce dernier point, et avant 1996, la Cour de cassation se montrait particulièrement souple quant à la date de la transaction. Elle estimait, par exemple, que l'accord pouvait être passé avant la notification du licenciement dès lors que celui-ci était "d'ores et déjà décidé et non contesté dans son principe par le salarié". Cependant, depuis dix ans la cour de cassation pose le principe que l'accord ne peut valablement intervenir qu'après la notification de la rupture du contrat de travail (Cass. soc. 29 mai 1996), c'est-à-dire, en cas de licenciement, lorsqu'il a eu connaissance effective des motifs par la réception de la lettre de licenciement.

On notera que cette dernière condition pose maints problèmes en pratique, la signature de transactions postdatées étant aujourd'hui de règle....En effet, lorsque l'employeur négocie le départ d'un salarié, il souhaite que la transaction soit signée au moment de l'envoi de la lettre de licenciement. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la pratique est devenue inverse à la disposition juridique.....Quand la pratique devient contraire au droit, ne faut il pas songer à modifier le droit lui-même..... ?

Il convient sans nul doute de mettre fin à cette hypocrisie qui caractérise bien souvent aujourd'hui les départs négociés en rassemblant dans le code du travail (comme le souhaitait le rapport de Virville "Pour un Code du travail plus efficace" en janvier 2004), les deux notions de transaction et de rupture amiable en leur donnant une portée spécifique Le sujet n'est plus aujourd'hui tabou puisqu'il a été clairement mis en relief par le MEDEF et la CFE-CGC.....

La solution pourrait être tout simplement d'intégrer dans le code du travail, la notion de "contrat de départ négocié" en lui donnant un cadre juridique propre au droit du travail et en dissipant tout malentendu quant à la prise en charge des salariés concernés pas l'assurance chômage. .....Cette situation semble d'autant plus nécessaire que le délai d'action des salariés en contestation des sommes dues en contrepartie de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail est particulièrement long en droit français (5 ans pour l'action en paiement des salaires, 30 ans pour toute action relative à des dommages intérêts), maintenant sur la tête des employeurs et des salariés une véritable épée de Damoclès.

Qui plus est, on sait que le reçu pour solde de tout compte, qui pouvait dans une certaine mesure contribuer à la sécurité juridique de l'employeur, a été anéanti par la loi de modernisation sociale. Sans nul doute, une réforme s'impose afin d'inscrire clairement dans le Code du travail cette notion de départ négocié. Toutes les parties y ont finalement intérêt.

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