Hergé, le père de Tintin, qui était grand amateur et collectionneur d'art contemporain, n'en serait pas revenu: une planche originale d'un de ses albums vient d'entrer dans les collections de la Mecque française de l'art moderne. Le Centre Pompidou a reçu en effet ce mercredi la planche originale n°12 de "L'affaire Tournesol", offerte par Fanny Rodwell, la veuve d'Hergé. Une grande première: jamais une planche originale de bande dessinée n'avait intégrée le fonds de Beaubourg.

Il n'en fallait pas plus pour que Alain Seban, président du Centre Pompidou, parle de "moment historique", à l'occasion de la cérémonie officielle de remise de ce don. Certes, le Centre avait déjà hébergé Tintin : voici quelques années, une très grande exposition avait été consacrée aux planches originales d'Hergé. Mais il s'agissait là d'une manifestation temporaire.

Aujourd'hui, c'est véritablement la place d'Hergé au sein des plus grands artistes du XXème siècle qui est consacrée. "C'est un moment important de la reconnaissance de la bande dessinée à part entière dans la création contemporaine", a ainsi affirmé Alain Seban. Et ce n'est qu'un début. Le Centre Pompidou entend bien aller plus loin et se constituer progressivement une collection de planches originales. Le musée pourrait donc acheter des planches dans les années à venir, avec éventuellement à terme la perspective de l'ouverture d'une salle dédiée. Dans l'immédiat, la planche de "L'affaire Tournesol" - une fort belle pièce qui commence avec le gag des deux Dupondt dont les crânes percutent le toit de leur 2CV et se termine par la menace que fait peser sur Tournesol une mystérieuse voiture noire - est accrochée au sein du "Container Zéro" de Jean-Pierre Raynaud, ancien ami d'Hergé. Un choix qui risque de décevoir les visiteurs qui voudraient scruter de près le dessin d'Hergé: la planche est installée au fond du "container", et donc à environ trois mètres des spectateurs...

Ventes aux enchères

Avec cette opération, le Centre Pompidou se veut donc pionnier dans l'entrée de la BD au musée. Selon les responsables de l'institution, aucun autre musée en France, à l'exception de ceux consacrés directement à la bande dessinée comme celui d'Angoulême, ne possède de planche. Et à l'étranger, il n'y aurait que quelques planches d'Hergé visibles dans des musées, en Belgique essentiellement.

Cette reconnaissance officielle de la bande dessinée comme segment à part entière de l'art contemporain s'inscrit dans un mouvement de fond. Des galeries spécialisées dans les dessins originaux apparaissent, des sites Internet de vente se multiplient. Les planches de BD font également de plus en plus souvent leur apparition dans les grandes salles des ventes. Au point que des études comme Millon et Artcurial, par exemple, font désormais apparaître la bande dessinée parmi leurs domaines d'excellence. Musée Hergé à Louvain-la-Neuve

En ce qui concerne Hergé, en tout cas, sa présence dans les musées est assurée. D'autant plus que le père de Tintin sera bientôt probablement le premier auteur de bande dessinée au monde à disposer d'un musée tout entier dédié à sa gloire.

C'est en effet dans tout juste un an que le Musée Hergé doit ouvrir ses portes à Louvain-la-Neuve, en Belgique. Réalisé à la demande de Fanny Rodwell, le musée est en cours de construction. Il a été conçu par l'architecte Christian de Portzamparc, qui en a présenté les grandes lignes au Centre Pompidou. Conçu comme "une sorte de vaisseau échoué dans les arbres" du parc de Louvain, le bâtiment est constitué de quatre volumes reliés par des galeries et des "cadres" en béton ouverts sur l'intérieur, évoquant des cases de bande dessinée. Les quelque 3.600 mètres carrés de surface du bâtiment accueilleront des expositions permanentes centrées sur la vie et l'oeuvre d'Hergé, ainsi qu'un espace d'exposition temporaire, une cafétéria et une boutique.