Crise financière : faut-il s'inquiéter ?

Le 26 avril 1986, un réacteur nucléaire de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose, libérant un nuage radioactif ... Cet accident et la crise financière que nous traversons ont peut-être quelques points en commun. C'est en tout cas le point de vue de Didier Coutton, Docteur en sciences de gestion et Professeur de finance à l'Istec.

Le 26 avril 1986, le coeur du réacteur nucléaire n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose, libérant un nuage radioactif. Les autorités ne prennent la mesure de la gravité de l'incident que le lendemain. L'incendie, dû à l'explosion, est rapidement maîtrisé, mais un nuage de particules radioactives s'échappe des 2000 tonnes du dôme de béton béant. Une opération kamikaze est alors engagée dans l'urgence pour arrêter la combustion nucléaire avec le largage d'un mélange de sable et d'argile. Des centaines de secouristes y laisseront la vie. Deux jours plus tard, le 28 avril, les pays occidentaux sont alertés de l'accident, par la découverte en Suède d'un taux de radioactivité anormal. La nouvelle est officialisée le 29. Le 14 mai seulement, le gouvernement russe fait état de la gravité de la situation. En France, le nuage radioactif s'est arrêté à la frontière...

Les causes de cet accident, le plus grave jamais survenu dans le domaine nucléaire, sont multiples : "un réacteur mal conçu, instable dans certaines situations, sans enceinte de confinement, mal exploité [...], un contrôle de sureté par les pouvoirs public inexistant et une gestion inadaptée des causes de l'accident[1]." Les réacteurs de Tchernobyl sont depuis sécurisés et une nouvelle enceinte de protection est en-cours de construction.

Pourquoi évoquer cet accident ? Tout simplement, parce qu'il existe quelques similitudes avec la crise financière actuelle, qui chahute les marchés financiers.

Les systèmes financiers sont instables et probablement mal conçus

La France a connu plusieurs grandes crises financières en 150 ans. De nombreuses crises (environ une tous les 10 ans), mais de faible ampleur, ont traversé le XIXème siècle. La première moitié du XXème siècle a seulement été marquée en France par les répercussions de la crise financière américaine de 1929. Pas même les deux Grandes guerres sont venues perturber les marchés financiers de façon significative. La faible fréquence et le faible impact de ces crises s'expliquent par le volume limité des transactions financières. A l'époque les actions et les obligations étaient des morceaux de papier, qui s'échangeaient de mains en mains. Depuis 1984, ils sont dématérialisés et remplacés par une écriture informatique. Ensuite, l'impact limité de ces crises s'explique par la déconnexion des places financières mondiales, qui à l'époque fonctionnaient de façon indépendante. Aujourd'hui les marchés sont interdépendants : quand "Wall Street s'enrhume, Paris éternue."

Depuis le début des années 1970, non seulement les crises financières se multiplient, mais elles deviennent aussi plus graves. Ce ne sont que les conséquences de la mondialisation - la dérèglementation des marchés et la multiplication des échanges internationaux - et des besoins de capitaux pour financer le développement des pays émergeants et... des retraites.

Les marchés financiers sont de plus en plus instables et nous devrons vivre avec. Cette instabilité est probablement le résultat de la multiplication des volumes de capitaux échangés dans le monde, conséquence de la facilité d'accès aux différents marchés financiers. Dans son dernier ouvrage, Alan Greenspan, ancien gouverneur de la Réserve Fédérale américaine, reconnaît que ces volumes se chiffrent en trillons (10 suivi de onze zéros) de dollars... par jour, mais que l'on est bien incapable de les compter précisément !

Les systèmes financiers, à l'image de la centrale de Tchernobyl, sont probablement mal conçus. En effet, cette instabilité est également due à une mauvaise valorisation du risque financier, tendant à sous-estimer la probabilité d'évènement d'une crise majeure. Autrement dit, tous les produits et les actifs financiers ignorent partiellement le risque de perte. Sans compter, les banques qui se sont livrées à des opérations d'alchimie pour transformer le plomb en or, à savoir transformer des emprunts (subprimes) en actif et ainsi transférer le risque bancaire sur les marchés financiers.

La crise des subprimes n'a fait que montrer le bout de son nez

La crise du mois de janvier, qui a vu les indices boursiers déraper, n'est pas très forte. La crise financière de 1987 est celle dont la magnitude a été la plus élevée en France avec l'amplitude maximale : indice 53 sur "l'échelle Richter des risques financiers". Les soubresauts boursiers du mois de janvier n'ont connu qu'une amplitude de 37, sachant qu'à chaque unité, la probabilité d'avoir une telle crise est divisée par deux. Autant dire, que la crise de janvier n'était qu'une "crisette" et que les mois à venir risquent d'être encore très houleux. Les différents opérateurs des marchés financiers, comme en 1986 à Tchernobyl, ne font pas preuve de transparence sur leur véritable situation financière, mais le peuvent-ils, entretenant ainsi la paranoïa de chacun.

Le "réacteur" du moteur financier est lui aussi en flamme. Heureusement, Jean-Claude Trichet pour la BCE et Bern Bernanke pour la FED jouent les pompiers de service et tentent de contenir l'incendie en arrosant les marchés de milliards d'euros et de dollars pour aider les banques à boucler des fins de mois difficiles. A la différence de Tchernobyl, nos "pompiers" ont heureusement pris la mesure du risque dès qu'il s'est déclaré. Dans quelques années, on leur reprochera peut-être de n'avoir pas su anticiper et éviter la crise en maintenant des taux d'intérêt élevés au lieu de faire l'inverse après le 11 septembre 2001.

Leur problème serait d'être à court d'eau à un moment ou à un autre, car en éteignant l'incendie, ils en laissent poindre un autre : l'inflation. Elle pourrait bien renaître sous l'effet conjugué des banques centrales, mais aussi... de la mondialisation. La mondialisation a effectivement permis d'ouvrir les frontières aux capitaux, mais aussi aux produits manufacturés en provenance de pays à bas coûts de production. Ces pays ont donc exporté de la déflation : les prix des biens de consommation ont diminué.

Aujourd'hui, cette belle époque se termine : l'inflation dans des pays comme l'Inde ou la Chine est élevée (10 à 15%) sous la pression des salaires. Les prix de leurs produits manufacturés vont nécessairement augmenter. Ils vont alors nous exporter une inflation d'autant plus forte que leur monnaie pourrait s'apprécier par rapport au dollar ou à l'euro. Les banquiers centraux seront alors pris entre le marteau - endiguer la crise - et l'enclume - tenir l'inflation.

Plus grave, cette inflation pourrait renchérir le coût de l'argent et alors gêner la consommation des ménages et les investissements des entreprises, mais elle va aussi obérer la pérennité des fonds de private equity fortement endettés. La remise en cause de la solvabilité de ces fonds modifierait le mécanisme de financement de nombreuses entreprises.

Après la pluie, le beau temps

Les marchés financiers paient maintenant le laxisme des prêteurs et la gloutonnerie des emprunteurs. La crise financière, dont les subprimes ne sont que le déclencheur, risque d'être longue et ses effets pourraient être sévères au deuxième semestre. L'accalmie du mois d'avril n'a rien de surprenant puisque c'est traditionnellement un des meilleurs mois de l'année. Avec le mois de mai, les marchés entrent dans la période la plus instable. Elle est le plus souvent baissière jusqu'en septembre. D'où le célèbre adage : "sell in May and go away !"

L'accident de Tchernobyl n'a pas sonné pour autant le glas du nucléaire. Au contraire, puisque les leçons tirées de l'incident ont permis de développer une nouvelle génération de centrale plus sûres (à ce qu'on dit). Le nucléaire n'est-il pas une énergie d'avenir ? De la même façon, après les incidents des marchés financiers, le législateur tentera de mieux les réguler, même si ce n'est pas toujours la meilleure solution. Le système financier pourrait "exploser", mais on n'en est pas encore là. Prudence quand même.

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