Le rapport franco-allemand, une bonne idée ?

Publié récemment, le rapport Enderlein/Pisani-Ferry, ces deux experts allemand et français, se montre flou sur beaucoup de sujets. Il eut mieux valu se concentrer sur la question de la convergence franco-allemande. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.
Pierre-Yves Cossé

Était-ce une bonne idée de confier à deux excellents économistes, Henrik Enderlein et Jean Pisani-Ferry, dont les diagnostics ne seront guère contestés, une étude sur « les réformes, l'investissement et la croissance en France, en Allemagne et en Europe » ?

Première difficulté : le degré d'urgence des réformes est très différent entre les deux pays. En France, la maison brûle, le chômage atteint des records et augmente chaque mois, l'endettement public sur les marchés extérieurs peut déclencher à tout moment une crise de confiance.

L'Allemagne, qui peut s'appuyer sur l'agenda 2010 de Gerhard Schröder - considéré un peu vite comme « la principale explication de sa réussite actuelle » -, dispose d'un délai pour faire face à son rapide vieillissement démographique. Elle peut parfaitement supporter une croissance très faible. Mettre sur le même plan les deux pays est quelque peu artificiel.

Une prudence diplomatique à l'origine d'un certain flou

La seconde difficulté est d'ordre diplomatique. Un Allemand ne peut se permettre de proposer des remèdes de cheval qui indisposeraient son susceptible voisin. Et réciproquement. Cette prudence diplomatique pourrait expliquer le flou décevant pour le lecteur d'un certain nombre de propositions, au moins s'agissant du cas français, à moins que le temps ait manqué.

Ainsi, les auteurs recommandent à la France de « ramener de 55% en 2013 à moins de 50% dans les années à venir son ratio de dépenses primaires au PIB... une cible raisonnable et compatible avec l'étendue des responsabilités que les citoyens attendent de leur État... ».  Une présentation aussi globale n'est d'aucune utilité pour le décideur politique. Où faut-il tailler ? Dans les dépenses de l'État (peu supérieures à celles de ses voisins) ? Dans celles des collectivités locales ? Dans les transferts sociaux ? Quelles sont les urgences ? Peut-on continuer à faire payer nos rhumes par nos enfants ? Comment faire ? Le patron de France-Stratégie n'est pas téméraire, il propose de faire intervenir le Haut Conseil des Finances Publiques.

Un manque d'exemples concrets

Ainsi, les « rentes doivent être réduites » et « l'efficacité dans les secteurs des biens non échangeables » accrue. Où les rentes sont-elles les plus abusives ? Quels secteurs sont-ils concernés. Sans tomber dans le catalogue, des exemples concrets auraient été utiles pour conforter l'action du gouvernement.

Ainsi, pour les contrats de travail indéterminés, les « coûts et les délais de licenciement devraient être rendus plus prévisibles. » Vive la prévision !

Ainsi, s'agissant de l'investissement - toujours en France -, variable clé dans un pays où la productivité a cessé d'augmenter, « la répartition des efforts d'investissement est... un domaine à améliorer. » Concernant l'investissement dans le secteur du logement, c'« est une source de préoccupation... » La cause en est des «incitations faussées et une règlementation inadéquate.» L'on n'en saura pas plus.

Ainsi, à l'échelle européenne, il convient de définir « une fourchette crédible pour le prix du carbone. » La recommandation est pertinente mais aucune valeur n'est donnée pour la fourchette, que l'on peut supposer supérieure au prix actuel. En quoi, les recommandations citées font-elles avancer le débat ?

Des recommandations précises déjà recalées

Heureusement, il existe des recommandations pointues, à mon sens pertinentes, celles dont la presse a largement parlé.

L'indexation du salaire minimum sur la progression globale de la productivité dans l'économie est justifiée dans un pays où les entreprises accordent des hausses de salaires plus fortes que leur productivité. Il s'en suit un laminage supplémentaire de leurs marges... compensée plus ou moins par les baisses de charges accordées par l'État. Un mécanisme pervers a été mis en place : chaque année, les entreprises réclameront une nouvelle baisse des charges pour compenser des hausses de salaires sans rapport avec les gains de productivité.

De même, le passage d'une obligation légale annuelle pour la négociation salariale à une obligation triennale va dans le bon sens.

Ces deux mesures fortes ont déjà été recalées par notre ministre de l'Économie. Sortir du flou présente des inconvénients, que les auteurs, des experts expérimentés, connaissent bien. Cela pourrait expliquer leur imprécision.

Il est d'autres recommandations pertinentes et relativement précises, sur des sujets, qui ne susciteront pas des réactions immédiates : représentation des salariés dans les PME, élargissement du champ des conventions collectives, formation professionnelle, assurance chômage.

Investissement: dépasser le plan Juncker

Partant du constat exact que les niveaux d'investissement dans la zone euro ont diminué ces dernières années, le rapport propose la création de « deux fonds pour attirer davantage d'investissements privés et faciliter un meilleur investissement public. » Ces fonds vont beaucoup plus loin que le plan Juncker : engagements financiers directs des États, prises de participation dans les entreprises, utilisation du Mécanisme européen de stabilité financière (MESF). Les propositions sont détaillées mais non chiffrées. Ont-elles une chance d'être discutées dans le contexte actuel ?

Les incitations faites aux deux gouvernements de jouer un rôle d'entraînement au sein de la zone euro et de l'Union européenne (UE) sont curieusement appelées « un Schengen économique ». L'appellation au moins fera réagir. Les trois initiatives sélectionnées sont les bonnes mais la prudence reste la règle. Dans le secteur de l'énergie, où les politiques française et allemande divergent, le progrès porterait sur une « approche commune » pour un mécanisme conjoint de gestion de capacité, des règles partagées pour la promotion et le développement des énergies renouvelables et sur l'efficience énergétique. Pour l'économie numérique, il s'agirait de « définir une stratégie numérique commune fondée sur une approche réglementaire commune » et de se coordonner pour la prochaine génération de réseaux mobiles. Qui pourrait être contre ?

Remédier au chômage des jeunes

La troisième initiative est plus concrète et cherche à remédier au problème dramatique du chômage des jeunes. Un bachelier ou un jeune demandeur d'emploi obtiendrait une « aide suffisante pour couvrir les coûts d'une formation ainsi que d'une première expérience professionnelle en Allemagne. » Cette déclaration d'intention n'est pas déclinée.
Dans le secteur de la santé ou de la biotechnologie, les règlementations pourraient être unifiées ou clarifiées.

Se concentrer sur un seul aspect

La convergence franco-allemande est le dernier thème abordé. Il est riche de propositions. Peut être que les auteurs auraient dû se concentrer sur ce seul aspect :

  • convergence salariale, norme commune de salaire minimum et d'évolution des salaires à dix ans. Les questions à analyser sont détaillées et seraient étudiées par un comité binational incluant les partenaires sociaux ;
  • convergence des politiques du marché du travail : politique des bas salaires, formation professionnelle ;
  • convergence des politiques de retraite avec un souci de simplification ;
  • éducation : une stratégie convergente sur l'entrée du numérique dans les salles de classe.

Voilà un riche programme.

Signe des temps : seule la version anglaise du rapport fait foi.

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Commentaires 7
à écrit le 08/12/2014 à 9:52
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La solution : fusionner la France et l'Allemagne. Avec des régions françaises fortes politiquement et économiquement comme les Länders allemands. Il y a plein de grands pays où on parle plusieurs langues. Et on a déjà la même monnaie. Bref : on y est...

à écrit le 04/12/2014 à 9:51
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Monsieur Cossé, une réforme fiscale à niveau constant est possible et souhaitable, en basculant la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique. Vous devriez promouvoir cette idée. Merci.

à écrit le 04/12/2014 à 9:30
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Monsieur Cossé devrait lire et s'inspirer de la note n°6 du conseil d'analyse économique du premier ministre: augmenter le prix de l'énergie pour réduire le cout du travail (en finançant les retraites).

le 05/12/2014 à 12:15
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BONNE IDEE? ??

le 07/12/2014 à 8:59
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La bascule de la retraite sur la TVA est une meilleure idée car les importations ne seraient pas frappées de cette taxe sur l'énergie alors que les exportations le seraient...

à écrit le 04/12/2014 à 8:42
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Il faut comparer les régimes fiscaux et veiller à la répartition entre entreprises et ménages et entre production et consommation (d'énergie).

à écrit le 03/12/2014 à 14:29
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Comment prendre au sérieux ces "experts" qui ne sont capables que de ressasser les banalités à la mode ?

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