Et si l'homme était un ami pour l'homme ?

Balayant toutes les thèses qui tendent à prouver que « l'homme est un loup pour l'homme », Jacques Lecomte, auteur de "La Bonté Humaine", nous emmène dans les découvertes de la psychologie sociale, la neurobiologie, l'économie expérimentale ou l'anthropologie et dévoile les contours de la générosité. Les économistes sont priés de revoir leur copie. Nous aussi pour découvrir cette meilleure partie de nous-mêmes.
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Il n'avait aucune intention d'écrire un livre sur la bonté humaine mais plutôt sur ce qui pourrait caractériser une société plus humaniste. Mais Voilà. Jacques Lecomte, s'il enseigne la psychologie à l'Université de Nanterre et à l'Institut Catholique de Paris, est aussi écrivain-chercheur. Et en cherchant, il a trouvé une somme d'études et d'expériences tendant à prouver que la bonté était plus prégnante chez l'être humain que l'égoïsme. Ce qui devait constituer une introduction est devenu au fil de son enquête un ouvrage de 398 pages sur la bonté humaine. « Les politiques publiques sécuritaires sont construites sur une anthropologie implicite d'un être humain égoïste, violent et dangereux. Au cours de mon travail j'ai découvert un autre postulat : non pas que l'homme est fondamentalement bon mais qu'il a des potentialités à la bonté plus puissantes et plus profondes que la violence, et que ce potentiel est d'origine biologique et en particulier neurobiologique ».

Prédestinés : Non...

Féru de psychologie positive, cet universitaire est bien décidé à ne pas nous faire oublier le versant ensoleillé de la nature humaine preuve à l'appui et à couper l'herbe sous le pieds des théoriciens de l'économie qui ont réussi à nous convaincre que tout individu n'agissait que par intérêt. « En économie la plupart des théories qui ont reçu le prix Nobel d'économie n'avaient pas de prédictions empiriques vérifiées. Ce ne sont qu'une somme de spéculations théoriques. Affirmer beaucoup, vérifier peu, tel semble être le postulat fondamental de l'économie scientifique. Mancur Olson, Garrett Hardin et la plupart des économistes contemporains adoptent une conception de l'être humain appelé « Homo Oeconomicus » qui possède deux caractéristiques majeures : rationnelle et égoïste. Selon eux toutes nos actions sont dirigées par l'intérêt personnel sur la base d'un calcul coût/bénéfices. Quant à la théorie d'Adam Smith la facette « sympathie » a totalement disparu et il n'en reste plus que la facette « égoïsme ». Ainsi la théorie économique traditionnelle ignore la bonté. Tous nos comportements sont intéressés. Même faire un don anonyme à une association humanitaire consiste à s'acheter un sentiment de supériorité morale », explique Jacques Lecomte qui ne partage pas non plus la thèse du don/contre-don établie par Marcel Mauss. Pour preuve, l'esprit des réseaux d'échanges réciproques et de savoirs en plein envol : être utile aux autres tout en se faisant du bien personnellement est désormais au c?ur de nombreuses associations locales où chacun offre à un autre sa compétence et en reçoit sans transactions monétaires. C'est aussi une forme de gratitude qui préside à la communauté « wikipédia ». Et à la crèche, une des manières les plus efficaces par lesquelles le bébé établit un contact avec autrui, c'est d'offrir un objet. Enfin, la neurobiologie se passionne désormais pour l'Ocytocine, l'hormone de la tendresse qui s'élève dès lors que l'individu vit des relations personnelles agréables et joue un rôle essentiel dans la relation mère-enfant. « On pourrait conclure des multiples recherches que la conception de l'être humain selon les économistes est totalement fausse. En fait, plutôt que fausse, elle manque tout simplement de finesse », assène Jacques Lecomte.

Prédisposés : Oui..

Lui qui se définit à la lumière de ses recherches en sciences humaines comme « optiréaliste » (optimiste et réaliste à la fois) s'intéresse donc de près au mouvement de l'économie expérimentale. Ce courant de recherche en plein essor tend à démontrer que les individus fondent généralement leurs décisions sur la coopération, la confiance, le sentiment de justice et l'empathie et estime que si chaque individu agit pour son propre intérêt, sans tenir compte des autres, le résultat de l'ensemble de ces petits actes est défavorable pour tous. « Les expériences menées au cours du « jeu des biens publics » a montré que plus les membres d'une société croient en l'esprit de responsabilité et de coopération chez autrui, plus ils en bénéficient ; inversement, moins ils croient en cette aptitude, plus ils en pâtissent. Et plusieurs études ont montré que plus une personne est compétitive, plus elle a tendance à penser que les autres sont compétitifs. En revanche plus une personne est coopérative, plus elle a tendance à penser que les individus sont différents les uns des autres, allant des très coopératifs aux très compétitifs ».
Mais au fait s'interroge alors l'auteur de « La bonté humaine », pourquoi les économistes tiennent-ils tant à cette vision de l'être humain comme fondamentalement égoïste ? « Ma réponse est simple : ils projettent sur l'ensemble de l'humanité leur fonctionnement personnel. Plusieurs études ont montré de façon extrêmement claire que les étudiants en économie ont des comportements plus égoïstes ». Les écoles de commerce apprécieront. Quant au management, il devrait méditer sur des expériences datant des années 50 montrant qu'une économie fondée sur la coopération et la confiance en autrui fonctionne plus efficacement qu'une économie fondée sur la compétition et la cupidité.

Ne surtout pas remplacer un déterminisme par un autre

Mais Jacques Lecomte ne plaisante pas. L'heure est grave et particulièrement en Europe. « Soit nous nous orientons vers un repli identitaire nationaliste, soit vers plus de solidarité et de collaboration ». Et de prôner l'essence d'un nouveau paradigme dans lequel les individus seraient capables de modifier leurs croyances. Car les convictions des économistes néoclassiques nous font le tort, selon lui, de fonctionner en prophéties autoréalisatrices qui deviennent vraies par le simple fait d'être diffusées à grande échelle. Pour preuve l'expérience suivante : on explique à un groupe le principe d'un jeu. A la moitié d'entre eux l'expérimentateur leur annonce qu'ils vont participer au « jeu de Wall Street » et aux autres à celui de « la communauté ». Résultat : les sujets sont plus de deux fois plus nombreux à coopérer dans la deuxième situation. « L'explication repose probablement sur le fait que, dans le jeu de la communauté, chaque personne s'attend à ce que l'autre coopère et donc décide de coopérer elle-même. Et inversement pour le jeu de Wall Street. Le cadrage d'une situation va donc en déterminer les résultats », souligne ce psychologue.
Rien de rousseauiste dans son analyse mais un constat : les découvertes actuelles sur la bonté humaine nous font assister à une captivante confluence de traditions millénaires et de modernité scientifique. Ainsi la vision de l'être humain qui ressort clairement de ces recherches est en plein accord avec la notion africaine d' « ubuntu », que Nelson Mandela définissait comme « le sentiment profond que nous ne sommes humains qu'à travers l'humanité des autres, que s'il nous est donné d'accomplir quelque chose en ce monde, le mérite en reviendra à pars égales au travail et à l'efficacité d'autrui ». Ce qui pour Jacques Lecomte revient à définir le goût pour la violence et l'égoïsme dans notre société contemporaine par défaut, « comme une réponse à un manque existentiel, une motivation parasitée qui se manifeste lorsque des aspirations essentielles de l'être humain ne sont pas - ou ne semblent pas- suffisamment satisfaites. Et surtout lorsque les individus ne sont pas sécurisés affectivement ». Si le moment n'est donc pas encore venu de changer totalement nos lunettes, loin s'en faut, « il est fort possible, nous dit Jacques Lecomte, que la diffusion des connaissances actuelles sur la bonté humaine provoque dans un premier temps une vision confuse. Une part des découvertes datant des années 2000, cette connaissance est encore bien jeune face à des millénaires de théories sur l'homme égoïste et violent ». Mais ne lui faites pas dire ce qu'il n'a pas dit : « je ne prétends pas remplacer un déterminisme par un autre. Même la neurobiologie ne conduit pas à penser que nous sommes déterminés à faire le bien. Prédestinés : non. Mais prédisposés : oui ». Distinction subtile mais ô combien essentielle. Qui peut mener selon lui à faciliter les situations susceptibles de faire émerger le meilleur de chacun, tout en étant lucide sur le fait qu'aucune société ne peut transformer radicalement les individus.
 

« La Bonté humaine, Altruisme, Empathie, Générosité ». Jacques Lecomte. Editions Odile Jacob. 398 p. 23,90 euros.

 

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