Strasbourg au chevet de ses étudiants précaires

Une chaîne de solidarité s'est mise en place pour aider les étudiants strasbourgeois affectés par les retombées économiques de la crise sanitaire du Covid.
Distribution de produits alimentaires par l'Afges, Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg, le 10 février 2021
Distribution de produits alimentaires par l'Afges, Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg, le 10 février 2021 (Crédits : Olivier Mirguet)

La file d'attente, impressionnante, s'étire autour de la Gallia, l'imposant immeuble néo-renaissance qui abrite le Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), son restaurant et une association d'étudiants, l'Afges. D'ordinaire, cette association fait entendre des revendications au sein des instances dirigeantes de l'Université. Elle anime une scène culturelle et propose des hébergements provisoires pour les étudiants sans logement à la rentrée. Mais avec la crise du Covid, les priorités ont changé.

Chaque mercredi matin, des centaines d'étudiants se massent autour de la Gallia pour bénéficier de son aide alimentaire. "Nous organisons cette distribution depuis bientôt un an. Les étudiants sont accueillis sans conditions. Et ils sont de plus en plus nombreux parce qu'ils n'ont plus les moyens de subsister", rapporte Léa Santerre, présidente de l'Association Fédérative Générale des Étudiants de Strasbourg (Afges).

Comment Strasbourg, ville aux 60.000 étudiants, n'a-t-elle pas vu arriver une telle vague de précarité ? "Ce phénomène de pauvreté était déjà une réalité avant la crise du Covid. Mais c'était une pauvreté cachée, masquée par une grande pudeur. Elle s'est révélée de manière forte durant le premier confinement", répond Michel Deneken, président de l'Université de Strasbourg.

1.300 étudiants chaque semaine

En ce début d'année, les distributions du mercredi attirent 1.300 étudiants. Un rituel s'est installé : chacun sélectionne les denrées qu'il souhaite emporter, épicerie, produits d'hygiène ou produits frais. "C'est moins déshumanisant qu'un colis conditionné d'avance et on réduit le gaspillage alimentaire", justifie Léa Santerre. Les produits proviennent de la banque alimentaire, de partenariats avec des enseignes de distribution et de dons. L'Université de Strasbourg a alloué à l'Afges 25.000 euros de crédits, en complément d'une convention pluri-annuelle qui engageait déjà l'association sur divers objectifs sociaux. L'Afges a reçu 50.000 euros de dons de particuliers ou d'entreprises. Des industriels et des commerçants ont offert des marchandises. Bernard Kuentz, directeur de la Maison de l'Alsace à Paris, a mobilisé la filière agro-alimentaire et aidé des fournisseurs à organiser des tournées, récupérer des légumes et des fruits dans les fermes aux environs. Le torréfacteur strasbourgeois Reck a offert 10.000 doses de café. "Pas des doses périmées !" prévient Thomas Riegert, dirigeant des Cafés Reck. "Et comme nous ne produisons pas de café lyophilisé, on a acheté des filtres et je les ai offerts aussi". Le fromager Cyrille Lorho, un meilleur ouvrier de France établi dans l'une des rues les plus huppées de Strasbourg, a rempli une pièce réfrigérée mise à disposition par le Crous. L'Afges a commencé à distribuer des fromages AOP. Chaque mercredi correspond à des distributions pour une valeur marchande de 8.500 euros. Le barreau de Strasbourg a envoyé des costumes, en précisant que "cela pourrait servir à des étudiants qui devront partir en stage". Les Galeries Lafayette ont offert des vêtements chauds que l'Afges revend dans son épicerie solidaire : 3 euros pour une veste d'hiver, 50 centimes pour un pantalon.

Le restau U à un euro, "c'est trop tard"

"J'ai une lecture politique de cette situation. J'hésite entre blasée, énervée, désespérée", résume Léa Santerre. Le 23 janvier, la jeune femme a rencontré Jean Castex, venu à Strasbourg pour assurer le service après-vente de l'annonce effectuée deux jours plus tôt par Emmanuel Macron, à propos du repas étudiant à un euro. "C'est une bonne idée, mais elle arrive beaucoup trop tard", estime cette étudiante en licence de biologie, qui consacre une année de césure à son mandat d'élue associative. "Le Premier ministre m'a demandé si notre association avait l'intention de communiquer sur son dispositif. Je lui ai répondu que nous le faisions déjà", se souvient-elle.

"La spécificité de Strasbourg, c'est d'accueillir 20 % d'étudiants étrangers. Nous constatons que le système de bourses qui leur est dédié, Campus France, ne fonctionne pas et beaucoup sont sans revenus. L'alimentation sera toujours le premier poste de dépenses rogné quand un étudiant rencontrera des difficultés financières. La plupart des étudiants travaillaient dans l'hôtellerie ou la restauration pour financer leurs études. Ces emplois ont disparu", constate Léa Santerre. "Un étudiant ne devrait pas avoir à travailler pour subvenir à ses besoins. Nous demandons la linéarisation des bourses au fil des années d'études et leur revalorisation générale. L'idéal serait un revenu universel pour les étudiants. J'aimerais qu'il soit testé à Strasbourg, avec la nouvelle municipalité écologiste", propose-t-elle.

Cette revendication rejoint le projet de l'aide universelle défendue par l'Unef, syndicat étudiant dont l'Afges a été le représentant à Strasbourg. La collectivité locale co-finance déjà certaines actions de l'association.

La nostalgie des chahuts dans les amphis

"La nouveauté, c'est l'apparition d'un mal-être psychique", observe Michel Deneken. "La relation à l'autre, qui se construit entre 18 ans et 25 ans, ne peut pas s'effectuer par le biais d'un écran. La déprime atteint aussi des enseignants. L'un deux m'a confié qu'il préférerait subir un énorme chahut dans un amphi, plutôt que d'enseigner à distance face à un écran noir". L'Université a prêté des ordinateurs, mis en place un réseau de 300 tuteurs qui accompagnent les étudiants et les empêchent de décrocher. "Nous menons une réflexion avec le Medef local pour qu'il incite ses adhérents à accueillir davantage de stagiaires, quitte à les recruter en surnombre, et d'étaler les stages dans le temps", annonce Michel Deneken. "Il faut absolument que les étudiants aient le sentiment que leur diplôme, cette année, n'aura pas été obtenu au rabais. Je milite pour accueillir un maximum d'étudiants dans nos amphis et nos salles de cours. La contamination ne s'effectue pas sur le campus, où tous les lieux de convivialité sont fermés et où le confinement s'impose à 18 heures. Essayons d'avancer progressivement pour aboutir à des jauges de demi-salles. On continue de serrer les dents", assure-t-il. A l'Afges, les distributions alimentaires continuent et les bénévoles ne savent pas quand elles pourront s'arrêter.

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