Grand Corps Malade, enfin seul !

Après le succès de « Mesdames », son album de duos, le chanteur présente « Reflets », premier opus de sa carrière sans aucun invité.
Le chanteur, mercredi, à Paris.
Le chanteur, mercredi, à Paris. (Crédits : Ambroise Tézenas)

Le rendez-vous n'a pas été fixé dans un bar branché de la capitale ou dans un studio d'enregistrement, mais dans les bureaux d'une société de production cinéma (Mandarin). C'est là que le très prolifique Grand Corps Malade finalise le montage de son troisième film, Monsieur Aznavour, un biopic consacré au grand Charles dont la sortie en salles est prévue en octobre 2024. Mais pour l'heure, son actualité est musicale avec son huitième album solo.

LA TRIBUNE DIMANCHE- Reflets est votre premier disque sans aucun invité. Un choix délibéré ?

GRAND CORPS MALADE- Cela s'est fait naturellement. Mesdames était un album de duos. Ensuite, il y a eu notre parenthèse enchantée avec Gaël Faye et Ben Mazué pour le mini-album Éphémère. Quand tu es en duo ou en trio, forcément tu cherches un compromis, même si je n'aime pas ce mot... Disons qu'il faut trouver une entente, un thème commun, une alchimie. J'adore l'exercice, mais après ces aventures collectives je voulais revenir à du solo pur et dur. Les douze chansons du disque ont été écrites et enregistrées assez vite, entre janvier et mai derniers. J'ai ensuite enchaîné avec Monsieur Aznavour, mais j'ai peaufiné le mixage pendant le tournage. Je terminais le vendredi et je passais mon weekend en studio. Les gens me prenaient pour « un fou » mais j'ai adoré ces petites récréations musicales, parce que réaliser un film, c'est génial mais c'est long, une autre échelle du temps. C'est là que je vois que la musique est vraiment dans mon ADN.

Reflets se termine d'ailleurs avec une chanson drôle et profonde sur votre relation parfois conflictuelle avec la musique...

Avec Paroles et musique, je voulais raconter une petite rivalité amicale. Je viens du slam, un art a cappella par excellence fondé sur l'interaction avec le public. Pourtant, dès mes débuts, l'envie de slamer sur des notes s'est imposée comme une évidence, même si l'exercice relève de la petite trahison pour les puristes. À l'époque, j'écrivais sans arrêt des « textes Kleenex » que je slamais dans les bars. J'adorais cette forme d'urgence, mais je voulais laisser une trace. J'avais donc décidé d'enregistrer mes titres préférés avec des musiciens, parce qu'un album de slam a cappella est un non-sens, c'est chiant, tout simplement. La musique met en valeur les paroles, souligne les émotions, elle est essentielle, mais attention, elle ne doit pas prendre le pas sur les paroles. C'est le propos de cette chanson où je m'amuse à jouer un parolier un peu autoritaire qui rappelle à la musique que c'est lui le patron...

Derrière cette rivalité amicale, il n'y aurait pas la frustration de ne pas être musicien ?

Non, je me concentre sur l'écriture, même si, je l'avoue, j'aurais aimé jouer d'un instrument. Prendre sa guitare et chanter, c'est quand même classe. J'ai fait un peu de piano gamin, je connais le solfège, mes compétences musicales s'arrêtent là.

"Mon inspiration vient des chanteurs à textes : Renaud, Brassens, Brel... et du rap français"

Grand Corps Malade

Vous avez dévoilé vendredi la chanson Autoreflet. Un manifeste intime et politique qui dégage une telle urgence qu'on l'imagine écrit d'un trait. C'était le cas ?

Eh bien pas du tout. C'est la chanson qui m'a donné le plus de fil à retordre. Quand je démarre un texte, je travaille dessus pendant deux ou trois jours et c'est plié. Là, j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois. J'avais plein d'idées et de punchlines, mais c'était un puzzle de mots et d'idées sans structure. J'ai mis du temps, mais j'en suis assez fier.

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Dans cette chanson, vous écrivez : « Je peux vivre sans ma banlieue, mais pas sans mes banlieusards »...

C'est vrai. J'habite depuis dix ans à Paris et ça me va très bien. Mais tous mes proches sont issus des quartiers populaires. Mon producteur Jean-Rachid vient du Val-Fourré, idem pour Milan Kallouche, qui s'occupe de mon label. Mehdi Idir, avec qui j'écris et réalise mes films, vient de Saint-Denis. J'ai besoin de cette énergie dans laquelle j'ai grandi : l'art de la vanne, cette ambiance de rigolade et de chambrette permanente. On partage également une même éthique, notamment l'indépendance artistique. Avec mon label, Anouche Productions, on gère tout sauf la distribution, assurée par Sony. Pour le reste, on sait faire : le marketing, l'affichage dans le métro, la stratégie de communication, le tournage de clips... Ce choix, on l'a fait en 2018 et on ne le regrette pas.

Comment avez-vous vécu la crise des banlieues de l'été dernier, consécutive à la mort de Nahel ?

Avec un mélange d'incompréhension et d'effarement. Il ne faut pas s'étonner si les quartiers s'embrasent après une telle dinguerie, celle d'un jeune de 17 ans tué à bout portant pour un refus d'obtempérer. Mais brûler une école ou une bibliothèque, je ne pourrai jamais comprendre. Cela revient à brûler l'avenir des petits frères dans les quartiers. Je ne vais pas me lancer dans une énième sociologie de l'histoire des banlieues, mais la colère existe, elle s'accumule d'année en année tellement ces territoires se sentent, à juste titre, abandonnés. Ma femme travaille à Gennevilliers, où 200 gamins n'ont toujours pas de professeur depuis la rentrée de septembre. Dans l'école de mon fils, à Paris, un prof malade, même pour trois jours, il est remplacé. Un exemple parmi d'autres de cette inégalité de fait.

Vous vous définissez comme « un peu poète ». Quels sont vos modèles d'écriture ?

Lors de mes premières interviews, on me demandait souvent : « Vous avez dû lire beaucoup de poésie classique. Quels sont vos auteurs préférés ? » J'étais bien embêté, car, à part Rimbaud et Prévert étudiés à l'école, je n'avais aucun grand nom à citer. Mon inspiration vient des chanteurs à textes qui pour moi sont de vrais poètes : Renaud, Brassens, Brel, Barbara, un peu Ferrat et beaucoup de rap français.

Vous terminez le montage du biopic Monsieur Aznavour. Comment est né ce projet ?

On en avait parlé de son vivant avec Jean-Rachid, mon producteur, qui est également son beau-fils. Aznavour avait aimé mon premier film, Patients, et nous avait donné son accord, mais il est mort brutalement au moment où le tournage devait commencer.

Tout a été dit et écrit sur Charles Aznavour. De quelle manière traitez-vous l'histoire d'un tel monstre sacré ?

On raconte tout : la misère de l'enfance, la guerre, les parents engagés dans la Résistance au sein du réseau Manouchian, les années de bohème... Une large partie du film sera consacrée à cette période, avant le succès, quand il était le sous-fifre de Piaf. Il était son porte-valise, son chauffeur, même si elle lui avait mis le pied à l'étrier. Elle avait même exigé de lui qu'il se fasse refaire le nez et payé l'opération. On évoque la bascule du succès, la décennie magique des années 1960, quand il a écrit tous ses classiques et se faisait étriller par la critique qui l'appelait « Charles Aznovoice » [« Charles n'a aucune voix »].

Le choix de Tahar Rahim pour incarner le chanteur s'est imposé comme une évidence ?

On le connaissait, on lui a proposé, il nous a dit : « Vous êtes fous. » Trois jours plus tard, il revenait pour nous dire OK. Je me demande encore comment on aurait fait ce film sans lui. Il s'est complètement oublié, il a bossé des mois pour apprendre le chant, le piano, il s'est transformé physiquement. Il est allé au-delà de ce que l'on pouvait espérer. ■

Reflets

GRAND CORPS MALADE

« J'ai quelques cheveux couleurs cendre, mais l'inspi incandescente », clame Grand Corps Malade sur Autoreflet, chanson coup de poing de cet album riche dans ses couleurs musicales, ses humeurs et ses thèmes. À 46 ans, le slameur-chanteur se montre toujours aussi inspiré pour se raconter, ausculter ses contemporains et son époque. Armé de sa plume affûtée et de son phrasé pénétrant de baryton, il revient sur son parcours (J'ai vu de la lumière), la paternité heureuse (le touchant Retiens les rêves), l'amour salvateur (Je serai là) ou fané (Rue La Fayette). Les musiques oscillent habilement entre électro pointue, ballades piano-voix serties de cordes, reggae solaire ou funk latino. Ses mots visent juste quand il aborde le thème de la crise climatique au fil d'un échange épistolaire dystopique avec son petit-fils. E.M.

Reflets (Anouche Productions/Sony). Sortie le 20 octobre.

PODCAST Olivia Ruiz est l'invitée de Sophie Iborra dans Les Héritières

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