« La transe prépare à l’écriture » (Yoann Barbereau)

Yoann Barbereau, l’auteur du best-seller « Dans les geôles de Sibérie » revient avec un portrait de femme magnétique.
(Crédits : latribune.fr)

Il avait fait une entrée remarquée en littérature avec son roman autobiographique sur le destin d'un jeune Français pris dans les filets du système poutinien - qui fut porté à l'écran l'année dernière dans le film Kompromat. C'est donc un peu fébrile que Yoann Barbereau présente son deuxième livre, Portraits de Yana. Une Russe aux mille vies - enfant battue, prostituée, archéologue, chamane -
et autant d'envoûtements.

LA TRIBUNE- Le premier roman s'imposait, tant votre odyssée était folle. Comment se remet-on à écrire ?

YOANN BARBEREAU- Dans la douleur et la difficulté, même si j'ai connu plus douloureux dans la vie que l'écriture... Yana était déjà présente dans mon premier ouvrage. J'avais une trentaine de pages sur elle, que j'ai dû couper pour l'équilibre du texte. Il ne restait plus que quelques mots sur une femme qui m'aidait à m'enfuir : elle s'appelle Xenia, elle conduit, je ne la connais pas. Je conservais ce regret de ne pas en avoir dit assez. En fait, il fallait taire le sujet, pour laisser la place à un autre livre.

Quand vous la rencontrez, elle vit quasiment dans la rue. Elle connaîtra la prostitution, l'internement, la prison, deviendra historienne de l'art, ethnologue, chamane. Avez-vous romancé ? Est-elle bien réelle ?

Oui, et c'est une amie très chère.

Un personnage intensément libre et charnel, aussi...

Il n'y a aucune ambiguïté dans notre relation. C'est un hommage. Je ne veux cependant pas tomber dans la naïveté du naturalisme. Je me définis plus comme un réaliste : j'ai sacrifié des détails et fait des montages pour essayer de donner la vérité du portrait.

Complice de votre évasion, la véritable Yana ne risque-t-elle pas d'être inquiétée ?

Aujourd'hui, elle ne court aucun risque et elle n'est plus sur le territoire russe.

Pourquoi ce pluriel dans le titre Portraits de Yana ?

Je voulais éviter l'artifice du destin tout tracé, de la narration reconstruite a posteriori.

Chaque chapitre est donc un portrait, à un moment, de Yana. Je ne pense pas qu'on puisse raconter la vie de quelqu'un ; on peut en revanche additionner des instantanés. À l'instar de la peinture, une personne est constituée de couches, de glacis.

Est-ce pour cela que vous avez choisi une toile glaçante du peintre russe Ilya Répine, Ivan le Terrible tue son fils, comme guide de votre récit ?

Un jour où j'étais avec Yana devant ce tableau, elle m'a dit : « Tiens, c'est mon portrait. » Cela ressemblait à une de ses habituelles provocations, mais c'était profond et ça ramenait aux violences qu'elle avait subies enfant. Ce tableau agit très puissamment sur certaines personnes. D'ailleurs, par deux fois dans l'Histoire, quelqu'un l'a vandalisé.

Vous racontez d'autres légendes autour de Répine : plusieurs de ses modèles ont perdu la vie après avoir posé pour lui...

Je ne suis pas mystique, mais je pense que l'on peut déchaîner les puissances par la parole, les mots, l'art. Si je brosse le portrait de Poutine à la fin du livre, c'est pour débarrasser le monde du personnage. Pas physiquement, évidemment. Mais il faut affirmer qu'il y a des noms à effacer. L'abolitio nominis chez les Romains, c'est-à-dire la condamnation post mortem à l'oubli, est, pour moi, un geste littéraire fort.

Vous réussissez à faire entendre du russe en français, et pas n'importe quel russe : le mat, l'argot des prisons. Était-ce un défi d'écriture ?

Je voulais que le lecteur entende ce parler qui déborde tant de vulgarité qu'il en devient drôle. Par ses études, Yana s'est formée à la langue universitaire, qu'elle manie parfaitement ; mais comme elle vient un peu de la rue, elle connaît très bien l'argot. Par provocation, elle passe d'un registre à l'autre. Si le lecteur entend ça, il la voit.

Le chamanisme est très présent dans ce texte. Vous y êtes-vous initié ?

La région du lac Baïkal, où j'ai vécu, est un des centres du chamanisme sibérien. Je me suis mis à pratiquer. Lorsque vous entrez en transe, vous êtes dans un état de conscience modifiée, comme l'ont révélé des études scientifiques, et non dans une forme de théâtralité, comme le pensaient les anthropologues il y a encore trente ans. Le cerveau fonctionne différemment, le corps nous parle, des connexions se font, des verrous sautent. On n'écrit certes pas en transe, car on perd toute faculté langagière, mais la transe prépare à l'écriture. Je prends très au sérieux les phrases chamanes.

Avez-vous l'ambition d'en écrire ?

J'aimerais avoir ce type d'impact sur mon lecteur. Un peu comme lorsque Rimbaud écrit à Paul Demeny : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

Dans ce roman, vous jouez beaucoup de l'hybridation entre l'homme et l'animal : l'enfant est axolotl, la mère est salamandre, la femme est renard... Est-ce un livre chamaniste ?

Je l'ai fait sans m'en rendre compte. J'ai sans doute été nourri par mes dernières lectures, et notamment les ouvrages des penseurs du vivant et anthropologues que sont Donna Haraway, Charlotte Cosson, Philippe Descola, Vinciane Despret, Nastassja Martin... La création aujourd'hui se situe dans ce domaine. J'aspire à être littérairement à leur hauteur. ■

Portraits de Yana, Yoann Barbereau, éditions Stock, 180 pages, 20,50 euros.

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