Le choix de Sophie Marceau

« La Note » d’Audrey Schebat, qu’elle joue avec François Berléand aux Bouffes Parisiens, est le plus grand succès public de la saison. Le théâtre et la comédienne, c’est une longue histoire.
(Crédits : BERNARD RICHEBE)

Elle ouvre la porte, au fond à droite du plateau, et apparaît sur le seuil. L'appartement est plongé dans la pénombre. La salle des Bouffes Parisiens, 840 places et pas un strapontin de libre de l'orchestre au dernier balcon, explose en applaudissements vifs. Salut d'amour et d'admiration pour cette comédienne qui est depuis ses tout débuts à 13 ans, en 1980 dans La Boum, la préférée des Français.

François Berléand lui aussi a été ainsi salué. Il est en scène depuis quelques minutes. Une corde est déjà en place, accrochée au plafond et retenue par le grand piano noir. Il est fébrile. Assis devant un petit bureau, il a tenté d'écrire un mot, mais il ne trouve pas de juste formule. Alors il jette en vrac, dans la poubelle, les feuilles froissées en boule. Il grimpe sur le tabouret sans laisser la moindre lettre... et la porte s'ouvre.

La « note » du titre, ce sont les quelques lignes qui manquent. Un adieu expliqué, une demande de pardon. La Note, évidemment, joue sur la musique. La femme a lâché ses valises en découvrant cette scène tragique. Elle est en smoking. Concertiste virtuose, elle rentre plus tôt que prévu de Berlin, où elle a reçu un grand prix. « Je ne savais pas que tu allais te suicider cette nuit, et pourtant je savais qu'il fallait rentrer, dira Maud un peu plus tard, au cours d'une conversation à cœur ouvert avec Julien, psychanalyste réputé, assiégé par l'une de ses patientes. J'étais au milieu de tous ces gens que je ne connaissais pas et qui se réjouissaient pour moi. Ça n'avait pas de sens... » Audrey Schebat n'a pas écrit un drame, mais bien une comédie et elle a l'art de faire rire. Alors qu'elle est encore dans l'entrée, que dit Maud ? « Oh là, là, je suis morte, moi... Complètement morte ! »

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Précision du jeu

Inutile d'en dévoiler plus. La Note, une heure trente qui file très vite, émeut et arrache sourires et rires aux spectateurs qui connaissent l'argument de départ, très médiatisé (et c'est pourquoi nous pouvons en parler), mais savent qu'ils vont prendre plaisir à ce grand face-à-face entre François Berléand et Sophie Marceau. Le premier a suivi les cours d'art dramatique de Tania Balachova et débuté dès 1973 avec le metteur en scène Daniel Benoin. Depuis, il ne s'est jamais éloigné de la scène, tout en devenant très populaire grâce au cinéma. Sophie Marceau, elle, n'a jamais suivi de cours mais a toujours été remarquable au théâtre. En quatre spectacles seulement, d'Eurydice de Jean Anouilh en 1991 à La Note en passant par Pygmalion de George Bernard Shaw en 1993 et Une histoire d'âme d'Ingmar Bergman en 2011.

Ses premiers pas se sont esquissés dans la lumière aimante de Georges Wilson et de son fils Lambert Wilson, qui admire beaucoup la comédienne. Eurydice est une reprise, par Jean Anouilh, du mythe d'Orphée.

L'Eurydice de 1991 est créée en février au Théâtre de l'Œuvre. En dix années, l'adolescente de La Boum et de La Boum 2 est devenue une jeune artiste remarquable qui a tourné Fort Saganne d'Alain Corneau avec Gérard Depardieu, qu'elle a retrouvé dans Police de Maurice Pialat. Elle a rencontré Andrzej Zulawski pour L'Amour braque, et pour une partie de sa vie. Et si elle a un peu abordé le théâtre, c'est par le truchement de la désopilante comédie de Jean Poiret Joyeuses Pâques, dont elle tourne une adaptation sous la direction de Georges Lautner avec Jean-Paul Belmondo. Elle a grandi, elle a mûri auprès de partenaires d'exception.

La précision de son jeu, dans une pièce qui oscille entre absolu de l'amour et réalité vulgaire, sa voix si belle et bien posée, sa gravité et sa vitalité émeuvent. Elle est très bien dirigée par Georges Wilson, qui signe également la jolie scénographie, et les critiques sont éblouis. Dans L'Express, Philippe Tesson écrit : « Il faut parler de Sophie Marceau et de Lambert Wilson. La première est une révélation. Elle est belle, tendre, discrète, juste. Le second est une confirmation. Il est habité par la passion. Leur couple est merveilleux, aveugle à la terre, poétique, aérien. »

De bien beaux débuts couronnés par le molière de la révélation théâtrale. Deux ans plus tard à peine, elle retrouve son séduisant partenaire dans Pygmalion de George Bernard Shaw, pièce dont tout le monde connaît les adaptations en comédie musicale et au cinéma, My Fair Lady. Casquette de cockney sur la tête et accent qui va avec, Eliza vend ses bouquets de violettes. Elle est craquante et le sévère professeur de phonétique Higgins, qui la prend en main à la suite d'un pari, va peu à peu se laisser envahir. Lambert Wilson et Sophie Marceau forment un duo délicieux. Des années auparavant, en 1955, dans la même traduction de Claude-André Puget, c'est la jeune Jeanne Moreau qui avait composé une Eliza épatante.

Dans les pas de grandes figures

Le théâtre, c'est cela : on met parfois ses pas dans ceux de grandes figures. Et on les dirige. Il ne faut pas oublier Sophie Marceau réalisatrice qui, dans tous les longs-métrages qu'elle a tournés, s'appuie sur des distributions magistrales en grande partie puisées sur les plateaux de théâtre, des institutions subventionnées comme des scènes privées. Elle a du goût et elle sait que le théâtre s'apprend aussi en allant applaudir les autres. Elle est spectatrice et, de Chaillot à la cour d'honneur du palais des Papes d'Avignon, on l'a souvent croisée... Fidèle des spectacles de Joël Pommerat, guidée par son fils, Vincent, qui a étudié le théâtre, toujours friand de défis.

Dix-huit années vont passer, entre Pygmalion et Une histoire d'âme, en 2011. Elle est exigeante, elle travaille tout le temps, entre réalisation et jeu. Elle n'oublie pas de vivre. Une histoire d'âme est un projet qui rompt avec ses engouements de troupe. Cette fois, elle est seule et incarne une femme imaginée par Ingmar Bergman. Sophie Marceau a mis la barre très haut et s'est confiée à une metteuse en scène inconnue ou presque, Bénédicte Acolas. On connaît ce très beau texte traduit du suédois par l'universitaire Vincent Fournier, familier du style et de la pensée de Bergman, publié avec deux autres scénarios par les Cahiers du cinéma dans leur collection « Littéraire ». Il s'agit d'un monologue composé sur son île de Farö en 1972.

Pour le spectacle, créé aux Célestins de Lyon et repris au Rond-Point à Paris, la metteuse en scène signe sa propre adaptation et prête à Viktoria des gestes quotidiens, comme préparer une pâte à crêpes ou un gâteau, qui ne sont pas essentiels. Cette femme en perdition est lucide : « La difficulté est bien sûr que je vis dans un vide que je remplis de mes rêves et de mes fantasmes. » Elle aurait voulu devenir comédienne, mais impossible. Son mariage a été un échec. Elle écrit des poèmes que personne ne lit. Un naufrage complet qui l'a conduite dans un asile... Dans ce registre de désespoir, tendu, tenu, Sophie Marceau, présence forte, est magnifique. Elle a ce don de laisser sourdre la vérité profonde du personnage. C'est ce que l'on retrouve aujourd'hui avec Maud : une science des secrets, une évidence de présence et d'intelligence, la beauté radieuse d'une artiste disciplinée et d'une femme libre.

Bouffes Parisiens, du mardi au samedi à 20 heures, matinées le samedi à 16 h 30, le dimanche à 15 heures. Jusqu'en janvier. Tél. : 01 86 47 72 43. Une tournée est prévue en 2025. Le texte de la pièce est publié par L'Avant-Scène, accompagné de « notes » manuscrites des protagonistes et d'un entretien avec Audrey Schebat, recueilli par Jessica Nelson.

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