Allemagne : Le vote turc en question après l'appel d'Erdogan

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(Crédits : Axel Schmidt)

par Thomas Escritt

BERLIN (Reuters) - La grand-mère de Nihan Sen est arrivée en Allemagne dans les années 60, mais elle ne parle toujours pas la langue. Pourtant, avec 783.000 abonnés à sa chaîne Youtube, sa petite-fille, elle, est une véritable star pour les jeunes Allemands, mais elle n'a pas coupé les ponts.

"J'aime bien regarder la télévision turque de temps en temps", dit-elle. La jeune youtubeuse est loin d'être un cas à part. Les chaînes de télévision turques ont 84% de part d'audience chez les trois millions de personnes d'origine turque qui vivent en Allemagne et 40% d'entre elles ne regardent pas du tout les chaînes allemandes, selon l'institut Data 4U.

Les grands partis politiques, pour lesquels chaque voix va compter lors des législatives du 24 septembre et dans les négociations qui suivront, craignent que cette audience quasi-captive ne soit plus sensible au discours d'Ankara qu'au leur. Or, le président turc Recep Tayyip Erdogan a invité les Turcs d'Allemagne à ne pas voter pour eux.

Cem Özdemir, coprésident du parti Les Verts et lui-même d'origine turque, réclame la mise sur pied d'une chaîne turcophone en Allemagne pour toucher cet électorat. "Depuis des années, nous oublions d'aider les gens originaires de Turquie à trouver une nouvelle patrie politique et nous en payons aujourd'hui les conséquences", disait-il en mars au Rheinische Post.

D'ordinaire, les électeurs d'origine turque votent majoritairement à gauche, pour le Parti social-démocrate (SPD) ou les Verts, deux formations plus attachées à la défense des droits des immigrés.

Erdogan a appelé cette fois à les sanctionner au même titre que l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel en les qualifiant d'"ennemis de la Turquie", ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour les deux formations. Même un léger recul risque de limiter leur marge de manoeuvre dans l'optique d'une nouvelle cohabitation avec la droite.

ABSTENTION OU ENCOURAGEMENT À VOTER ?

Les représentants des grands partis allemands ont fermement condamné les vastes purges auxquelles Erdogan a procédé dans la fonction publique, l'armée ou les médias après le coup d'Etat manqué du 15 juillet 2016.

"La majorité (de personnes d'origine turque) n'a qu'une source d'information parce qu'elle ne regarde que la télévision turque", explique Joachim Schulte, directeur de Data 4U. Selon lui, l'appel du président Erdogan pourrait coûter 300.000 voix aux grands partis, soit le quart des électeurs d'origine turque. Faute de véritable alternative, la plupart vont sans doute s'abstenir, poursuit-il.

Les conditions d'obtention de la nationalité allemande ont été modifiées en 2000, ce qui a fait doubler l'électorat d'origine turque au cours de la dernière décennie. Les sondages montrent par ailleurs qu'Erdogan est très populaire auprès des expatriés. Et le président turc a bien l'intention d'utiliser ce levier pour régler ses comptes avec Berlin.

L'Alliance des démocrates allemands, formée par des membres de la communauté turque, a décidé de s'appuyer sur sa popularité. Sur ses affiches, on peut voir un portrait du président turc et les slogans : "Amis de la Turquie. Soyez à leurs côtés !".

"Notre affiche est une citation d'Erdogan : il critiquait les politiciens allemands et disait qu'on doit voter pour les partis qui sont nos amis", explique Ertan Toker, porte-parole du mouvement. "Les autres partis allemands sont tous négatifs à propos d'Erdogan. Ce n'est pas notre cas. Nous avons considéré (son appel) comme un encouragement à voter", ajoute-t-il.

Le parti est crédité de moins de 1% des intentions de vote au niveau national et ses candidats ne se présentent qu'en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le grand land de l'Ouest où vit plus d'un cinquième de la population allemande.

(Jean-Philippe Lefief pour le service français)