"La fiscalité constitue une part croissante du coût global de l'immobilier"

Entretien avec Pascal Martinet, fiscaliste, directeur des audits fiscaux d'Alma Consulting Group
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Comment a évolué le cadre fiscal de l?immobilier ces derniers mois??
La loi de finances rectificative 2010 a fortement durci la fiscalité sur les bureaux franciliens ? et plus généralement sur l?ensemble des immeubles commerciaux (bureaux, commerces, entrepôts?) par la hausse des tarifs, l?élargissement de l?assiette et la modification des zonages d?imposition de la taxe sur les bureaux (TB) et de la redevance pour création de bureaux (RCB), générant des surcroîts de taxation de 40 à 400?%, destinés à financer le Grand Paris et l?aménagement de son réseau de transport. Ces augmentations se sont également accompagnées de la création d?une taxe spéciale d?équipement.
Ces hausses de tarifs très significatives renchérissent le coût d?implantation en Île-de-France et peuvent créer une relative concurrence entre les limites du périmètre francilien et les régions limitrophes (Oise, Eure?).

Sans compter les augmentations dues à la taxe foncière?
En effet. Après l?instauration de la CET (contribution économique territoriale en remplacement de la taxe professionnelle depuis 2010), dont la principale composante assise sur la valeur ajoutée des entreprises est soumise à un taux d?imposition national, la taxe foncière (TF) est devenue la première ressource fiscale locale sur laquelle les collectivités territoriales disposent d?un pouvoir de taux. Or, si les taux d?imposition ont individuellement peu augmenté en cette période préélectorale, il convient néanmoins de nuancer ce propos. En effet, le cumul des taux d?imposition figurant sur les avis de taxe foncière des immeubles « commerciaux » ? à savoir les taux de taxe foncière et de taxe d?enlèvement des ordures ménagères (Teom) ? connaît une augmentation moyenne de 4?%, non négligeable sur cette année.
La Teom continue ainsi sa progression régulière, avec un taux moyen national de 9?%, qui, ajouté au taux de taxe foncière moyen de 34?%, produit un taux global moyen d?imposition de 43?%. Or, pour les 45 premières villes de France ? dont les besoins de financement et les coûts de traitement des déchets sont plus élevés que la moyenne ?, il atteint pour la première fois la barre des 50?% de taux cumulés.

Cela signifie-t-il que les entreprises doivent s?attendre à un surcroît d?imposition??
Effectivement. Avec la crise, les directions immobilières ont engagé des plans d?optimisation des coûts immobiliers, dont le levier le plus rapidement actionnable est le loyer, à travers sa renégociation en échange d?un engagement de durée d?occupation ou, a contrario, par un transfert d?implantation, souvent couplé avec un regroupement d?activités dans des locaux plus fonctionnels, à l?espace de travail optimisé et répondant à des normes environnementales plus en accord avec les objectifs d?économies d?énergie visés par l?application de la loi Grenelle 2 au parc tertiaire. Ces mouvements de Paris vers la périphérie ont été confortés par une augmentation de 5 points des taux d?imposition de taxe foncière sur Paris sur la période 2009-2010, générant une hausse substantielle de 40?% du coût de taxe foncière dans la capitale sur ces deux dernières années.
Cependant, ces transferts d?implantation risquent d?être eux-mêmes rattrapés par des surcroîts d?imposition tout aussi importants et qui apparaîtront plus significatifs au regard de loyers plus faibles que dans les grands pôles tertiaires que constituent Paris et La Défense, où les loyers sont plus élevés. Le poids de la charge fiscale peut ainsi doubler, passant en moyenne de 20 à 40?% du montant des loyers, comme le démontrent les quelques exemples ci-dessous, qui agrègent l?ensemble des taxes sur le foncier.

D?autres réformes sont sources potentielles d?alourdissement de la charge fiscale?
La loi de finances rectificative 2010 a également décidé d?autres réformes extrêmement importantes, dont la mise en ?uvre sur la période 2011-2016 devrait bouleverser le paysage fiscal immobilier : la révision des valeurs locatives cadastrales en matière d?impôts locaux d?une part, et la réforme de la fiscalité de l?urbanisme, d?autre part.
À propos de la révision des valeurs cadastrales, datant à ce jour de 1970 et décidée dans un premier temps à l?égard des 3,3 millions de locaux professionnels, deux décrets viennent enfin de paraître.
Un premier décret du 10 octobre 2011 fixe les 10 sous-groupes et 39 catégories de locaux professionnels, en vue de l?évaluation de leur valeur locative. Cette liste s?inspire quasiment à l?identique de celle qui avait été établie pour la précédente tentative de révision de 1990. La sortie tardive de ce décret, qui aurait dû intervenir en mars dernier, témoigne du retard pris dans le processus de révision.
Un deuxième décret du 17 octobre 2011 fixe les coefficients de pondération applicables à la superficie des locaux professionnels.
Rappelons que seront appliqués à ces catégories des tarifs par mètre carré tenant compte des loyers observés annuellement sur le marché locatif. Sur ce point, Bercy devait transmettre avant le 30 septembre au Parlement un rapport s?appuyant sur l?expérimentation intervenue dans cinq départements tests, afin d?en tirer des enseignements propres à ajuster les modalités de la réforme et notamment les modalités de lissage des évolutions à prévoir. Ce rapport sera certainement transmis avec retard courant décembre. Néanmoins, à ce jour, la réforme est toujours programmée pour rentrer en application à compter des impositions de taxe foncière de 2014 et des impositions de CFE de 2016.
Les propriétaires de locaux professionnels seront d?abord mis formellement à contribution par la souscription d?une déclaration pour chaque local, entre mi-février et mi-avril 2012 (période rallongée pour les télédéclarants), afin que puissent être fixés des secteurs et tarifs au cours de l?année 2013, pour une intégration des valeurs locatives révisées dans les taxations TF 2014 et avant une mise à jour permanente (auprès des propriétaires et des occupants) à compter de 2015.
L?Administration précise qu?il ne devrait pas y avoir d?effet redistributif de la révision entre les locaux professionnels et les locaux d?habitation. À cet effet, un coefficient correctif sera appliqué à chaque impôt (TF, CFE?) et à chaque niveau de collectivité territoriale, pour maintenir la participation fiscale globale de ces deux groupes de locaux avant et après révision.
Cependant, des transferts individuels seront engendrés entre catégories de locaux et l?opportunité d?un lissage des évolutions de cotisation devrait être étudiée en fonction des résultats de l?expérimentation présentés dans le rapport au Parlement.

Les charges fiscales liées au foncier constituent, selon les lieux d?implantation, de 10 à 20?% des coûts d?occupation ou de 20 à 40?% du montant des loyers. Elles ont connu une très forte accélération depuis le début 2011, qui devrait s?amplifier encore au cours des prochaines années, surtout en Île-de-France. C?est une réalité que les entreprises doivent prendre en compte.

Quelles seront les conséquences de la mise en place de la nouvelle taxe d?aménagement??
Cette même loi de finances rectificative? 2010 a conduit à la création d?un chapitre « fiscalité de l?aménagement » dans le code de l?urbanisme. À compter du 1er mars 2012, pour les autorisations de construction ou d?aménagement, sera substituée à la taxe locale d?équipement (TLE) et à ses taxes annexes une taxe d?aménagement (TA), acquittée par le bénéficiaire de l?autorisation et qui constituera un élément du prix de revient de l?ensemble immobilier. La taxe d?aménagement est constituée d?une part communale ? instituée de plein droit dans les communes dotées d?un PLU1 ou d?un PDS2, ou par délibération, dans les autres communes ? ainsi que, sur délibération, d?une part départementale et d?une part régionale sur l?Île-de-France.
L?assiette de la taxe ne sera plus la Shon (surface hors ?uvre nette) mais coexisteront deux surfaces de construction : l?une fiscale (pour le calcul des taxes), l?autre d?urbanisme (pour l?obtention du permis de construire). La dernière sera plus faible en raison de l?application de déductions, d?exonérations qui ne seront pas possibles sur la première. Cette distinction se justifie par la lutte contre la fraude liée aux aménagements intérieurs (transformation de sous-sols ou greniers en pièce de vie notamment) et également par la volonté de ne pas pénaliser la densification, par ailleurs recherchée par le législateur. En outre, les taux d?imposition communaux pourront être majorés et varier par secteur de territoire
La mise en place de la réforme doit s?étaler du 1er janvier 2011 jusqu?en 2015 (fin des mesures transitoires concernant les participations d?urbanisme). À compter du 1er janvier 2015 devraient être abrogées de nombreuses participations. Toutefois, cette disparition progressive et notamment celle de la participation pour raccordement à l?égout est actuellement un sujet d?inquiétude pour les élus locaux qui militent pour une possibilité de financement « externe » des réseaux. Il est d?ores et déjà envisagé de maintenir un financement par les constructeurs ou propriétaires de terrains à raccorder aux réseaux d?assainissement? mais sans le rattacher au permis de construire?! Ou comment simplifier la fiscalité de l?urbanisme en complexifiant la fiscalité en général?

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