L'ambiance était électrique ce mardi après-midi à l'Assemblée nationale. Dans un discours fleuve de près d'une heure et demi, le Premier ministre Gabriel a tracé la feuille de route des prochains mois. Le plus jeune chef du gouvernement de la Vème République a mis l'accent sur « le travail », « les services publics », « l'autorité » et « l'environnement ».
Fragilisé par une grave crise agricole et des déceptions après une première salve de mesures, Gabriel Attal a tenté d'éteindre l'incendie. « Toutes les aides européennes » de la politique agricole commune seront versées sur les comptes bancaires des exploitants d'ici le 15 mars, a-t-il annoncé. Il a également évoqué « un fonds d'urgence avant la fin de la semaine pour soutenir nos viticulteurs, particulièrement en Occitanie », ainsi « qu'un grand plan de contrôle sur la traçabilité des produits afin de garantir une concurrence équitable ».
Sur le front social, le Premier ministre veut à tout prix éviter une « smicardisation » de la société. Dans la ligne de mire de Matignon, les branches qui ont encore des minima inférieurs au salaire minimum en France. Le chef du gouvernement a également remis l'accent sur « les classes moyennes », une cible particulièrement convoitée depuis qu'il est passé au ministère des Comptes publics.
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Déverrouiller le marché du travail
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre l'a répété plusieurs fois, une de ses priorités est le plein emploi, promis par Emmanuel Macron pour 2027. Et pour y parvenir, il veut « déverrouiller » le travail.
Soit entamer un acte II des ordonnances Macron de 2017, qui avaient réduit les instances du personnel, instauré le barème Macron, favorisé les accords d'entreprise. Dans ce même esprit, Gabriel Attal a donc promis ce mardi devant l'hémicycle une nouvelle étape du droit du travail, après l'été. Et de préciser que « celle-ci devrait permettre aux TPE et PME de négocier certaines règles entreprise par entreprise ». Exemple : d'après nos informations, dans certains cas, notamment pour les entreprises qui se créent, les accords conventionnels en matière de minima salariaux pourraient faire l'objet de dérogation et être négociés au niveau de l'entreprise.
Une nouvelle réforme de l'assurance chômage
Pour accélérer les embauches, notamment pour des emplois non pourvus, Gabriel Attal a aussi confirmé sa volonté d'aller « plus loin dans la réforme de l'assurance-chômage ». Emmanuel Macron en avait parlé lors du forum économique de Davos, il y a une quinzaine de jours. Le locataire de Matignon s'est fait un peu plus précis.
Alors que les partenaires sociaux mènent actuellement une négociation sur l'emploi des seniors et doivent rendre leur copie en mars prochain, le chef du gouvernement a ainsi indiqué qu'il n'hésiterait pas à demander aux syndicats et au patronat « de négocier de nouvelles règles si sa trajectoire financière dévie ». Une façon de mettre la pression sur les discussions en cours mais aussi de prévenir : si leurs solutions des partenaires sociaux ne sont pas à la hauteur et génèrent du déficit, il ne saurait avoir la main qui tremble pour aller plus loin. Et, il n'a pas hésité à évoquer une nouvelle lettre de cadrage pour fixer de nouvelles règles aux partenaires sociaux.
La fin de l'ASS
Autre mesure importante, toujours concernant la bataille pour le l'emploi, les chômeurs en fin de droits n'auront plus d'allocation spécifique de solidarité (ASS) et seront basculés au RSA, le revenu de solidarité active. Soit une petite révolution. Ne serait-ce que parce que l'Etat transfère donc ce droit (mais aussi le coût) aux départements mais aussi parce que depuis la réforme du RSA nouvellement adoptée cela signifie que ces chômeurs en fin de droit seront contraints de reprendre une activité ou une formation, 15 h par semaine. Fin 2019, selon la Dress, la direction de la statistique du ministère du travail, 351 000 personnes percevaient l'ASS. En contrepartie, le chef du gouvernement a promis de mettre en place « la solidarité à la source » en rendant les aides plus effectives.
Mieux valoriser le travail
Enfin, le premier ministre a insisté sur la nécessité de mieux valoriser le travail. Cela fait quelques mois déjà que le gouvernement cherche la méthode pour que le travail paie mieux. Aussi promet-il de « combattre toutes les trappes à inactivité ». Elisabeth Borne avait lancé le mouvement à l'occasion de la conférence sociale en octobre dernier et la création d'un haut conseil aux rémunérations.
L'exécutif entend passer au crible toutes les aides, - comme la prime d'activité, les APL etc - afin d'éviter les effets négatifs. Par exemple, qu'un travailleur pauvre qui gagne 100 euros de plus ne soit découragé de le faire parce que cela entraînerait pour lui, une perte conséquente de certaines aides, une entrée dans le barème de l'impôt sur le revenu etc
Vers la semaine des 4 jours
Enfin, Gabriel Attal a souligné combien le rapport au travail des Français a changé. Les envies des Français ont évolué. Il s'est dit partisan de la semaine des 4 jours, demandant ainsi à ses ministres « d'expérimenter la semaine en 4 jours, sans réduction du temps de travail dans leurs administrations centrales et déconcentrées ». Et de rappeler que « comme ministre des Comptes publics, j'avais décidé (...) d'expérimenter dans mon administration non pas la semaine de 4 jours, mais la semaine en 4 jours, sans réduction du temps de travail ».
« A certains endroits, il y a eu peu de candidats, à d'autres, ils sont nombreux à avoir choisi d'arriver plus tôt le matin et de partir plus tard le soir pour travailler un jour de moins » a-t-il observé. Selon une consultation en ligne menée à l'été 2023 par le gouvernement, près de 20% des 110.000 répondants affirmaient que l'organisation de leur temps de travail avait déjà été aménagée. Près de 73% d'entre eux se déclaraient par ailleurs « intéressés par une réorganisation de leur temps de travail ».
Et le chef de l'Etat de se dire également favorable à la création du compte épargne temps universel, pour permettre les variations de temps de travail en fonction des moments de la vie. C'est un signe envoyé à la CFDT, qui depuis longtemps demande la mise en place de ce type de dispositif.
Un projet de loi pour « déverrouiller l'économie »
Sans surprise, Gabriel Attal a aussi centré son discours sur la libéralisation de l'économie tricolore. « Il faut déverrouiller l'économie et refuser le principe de rentier », a-t-il tonné devant un hémicycle en pleine ébullition. « Un projet de loi sera examiné au printemps », a-t-il annoncé. Dans le viseur de Matignon, « les syndics dans l'immobilier ou les ventes en ligne de médicaments par les pharmacies ».
Sans trop apporter de détails, le chef du gouvernement a mis sur la table quelques pistes ressemblant aux objectifs de la première loi Macron votée en 2015, lorsque le chef de l'Etat était aux manettes de Bercy sous François Hollande. Déjà, lors de la conférence de presse du 18 janvier dernier, Emmanuel Macron avait esquissé les grandes lignes de ce texte visant à « soutenir la croissance, l'activité et les opportunités économiques ». Mais beaucoup de points restent à préciser.
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Un second projet de loi industrie verte au printemps
Toujours sur le front économique, le chef du gouvernement a annoncé un second projet de loi industrie verte au printemps. Lors de son allocution, Gabriel Attal a dessiné l'objectif principal de ce texte : réduire encore les délais d'implantation des usines en France. Pour ce faire, « la CNDP (Commission nationale du débat public) devra uniquement se consacrer au projet d'envergure nationale », a proposé le locataire de Matignon. « On devrait gagner six mois sur les autres projets », a-t-il poursuivi. Actuellement, la Commission est obligatoirement consultée sur des projets définis par le Code de l'environnement et répondant à des critères relativement précis.
A ce stade, le Premier ministre n'a pas vraiment apporté de précision. Mais ce projet de loi industrie verte vise à déréglementer les textes protecteurs de l'environnement. Sur ce sujet sensible, le gouvernement est sur une ligne de crête. Entre la nécessité de réindustrialiser et celle de faire baisser les émissions de CO2, l'exécutif cherche un cap particulièrement étroit. La colère des agriculteurs a d'ailleurs pointé du doigt les politiques agricoles jugées « incohérentes » par beaucoup.
Le renoncement à la fin de la détaxe sur le gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs a mis en relief toutes les difficultés pour l'exécutif à réduire la dépendance d'un secteur économique aux énergies fossiles. En outre, Emmanuel Macron espère redonner du souffle à la réindustrialisation en France avec ce second projet de loi. Mais la baisse des carnets de commande en 2023 a mis un coup d'arrêt aux investissements dans les projets industriels.
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Budget : Attal garde le cap des 3% d'ici à 2027
Sur le front budgétaire, le Premier ministre a répété l'objectif de tenir le cap des 3% du quinquennat. « Nous tiendrons le même cap : repasser sous les 3% de déficit public d'ici 2027, grâce à plus de croissance, plus d'activité et à la maîtrise de nos dépenses; pas grâce à trop d'impôts », a affirmé le trentenaire. Confronté à une dette vertigineuse, le gouvernement compte sur la croissance et l'emploi pour tenir ses promesses.
Mais les derniers indicateurs ne laissent pas présager de rebond spectaculaire de l'activité. La récente estimation de l'Insee montre que les moteurs de la croissance sont en panne. Le PIB a certes augmenté de 0,9% sur l'année 2023, soit un niveau proche de l'objectif du gouvernement (1%). Mais l'Hexagone a enregistré trois trimestres de croissance quasi nulle sur quatre en 2023.
La demande, sous l'effet de la politique monétaire restrictive et de l'inflation, est déprimée dans l'Hexagone. Et les effets de la hausse des taux sur l'économie risquent encore de se propager pendant encore de longs mois avant que la Banque centrale européenne (BCE) annonce une inflexion. Une perspective guère réjouissante pour le gouvernement au pied du mur pour financer la montagne d'investissements destinés à la transition écologique.
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