Les classes moyennes sont devenues une obsession dans la classe politique française. Arrivé à Matignon mardi dernier, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a déjà mentionné à plusieurs reprises cette catégorie lors de son discours de passation en présence d'Elisabeth Borne, rue de Varenne.
« Trop de Français doutent de notre pays, doutent d'eux-mêmes, doutent de notre avenir. Je pense en particulier aux classes moyennes, cœur battant de notre pays, artisans de la grandeur et de la force de notre nation française », a-t-il déclaré.
Lors de son premier déplacement dans les Hauts-de-France avec le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin ou lors d'un entretien accordé au JT de TF1 jeudi soir après l'annonce de la composition du nouveau gouvernement, Gabriel Attal a notamment promis de tenir l'engagement d'Emmanuel Macron de baisser les impôts pour les classes moyennes. «Le président s'est engagé (à baisser les impôts de deux milliards d'euros, ndlr) et évidemment, on sera au rendez-vous de son engagement » car « les Français attendent qu'on agisse pour eux », a affirmé le chef du gouvernement.
Une catégorie fourre-tout
Dans ses différentes interventions, le chef du gouvernement n'a pas forcément défini de ménages précis. Il faut dire que beaucoup de Français se revendiquent de cette catégorie. «Cette attention tient au fait qu'une très large partie des Français pensent appartenir aux classes moyennes. Même les gens aisés disent appartenir à la classe moyenne. C'est une manière de viser assez large », explique à La Tribune le sociologue, Olivier Galland, et directeur de recherche émérite au CNRS.
Dans une vaste enquête menée par la fondation Jean Jaurès fin 2023, «l'autopositionnement subjectif au sein de la vaste classe moyenne centrale continue de prédominer très largement puisqu'il continue de concerner près des deux tiers des Français », souligne également le sondeur d'Ipsos Jérôme Fourquet.
Une classe moyenne qui se sent, qui plus est, abandonnée :
« Certains discours affirment que les personnes ayant des revenus médians bénéficient peu d'aides sociales alors que les pauvres en bénéficient. Il y a le sentiment que les classes moyennes se sentent délaissées. Il peut y avoir une forme de jalousie sociale », poursuit Olivier Galland.
Européennes : les classes moyennes au centre de la bataille entre le gouvernement et le RN
À quelques mois de la bataille des élections européennes, les classes moyennes vont alors aiguiser l'appétit des forces politiques. « L'enjeu est évidemment électoraliste, dans la perspective des élections européennes », rappelle à La Tribune, Adelaïde Zulfikarpasic, directrice générale de l'institut de sondages BVA. « Il s'agit de reconquérir des Français qui pèsent lourd dans l'électorat et qui sont aujourd'hui très sensibles aux thématiques du RN », poursuit la spécialiste de l'opinion publique. « C'est sur cette catégorie dont les contours sont flous et larges que vont se jouer les scrutins à venir ».
Dans la majorité, les conseillers d'Emmanuel Macron et de Gabriel Attal ont bien conscience que le Rassemblement national (RN) vise à draguer ces électeurs déçus du macronisme. Au printemps 2023, Marine Le Pen dénonçait déjà « l'appauvrissement des classes moyennes » dans ses discours lors des déplacements sur le terrain ou lors d'entretiens dans des médias. Et la tête de liste RN aux Européennes Jordan Bardella ne devrait pas hésiter à exploiter ce filon durant sa campagne.
Des classes moyennes sous pression exposées à des privations
Sur le plan économique, l'inflation a mis les classes moyennes sous pression. L'indice des prix a certes ralenti sur l'ensemble de l'année 2023 pour s'établir à 4,9% contre 5,2% en 2022 après 1,6% en 2021 et 0,5% en 2020. Mais il demeure bien supérieur à son niveau d'avant crise. Face à cette envolée des prix, les catégories intermédiaires et les familles sont en première ligne. « La période est à la désinflation mais les prix continuent d'accélérer », a rappelé Hélène Périvier, économiste à l'OFCE lors d'un point presse ce jeudi 11 janvier consacré au dernier rapport alarmant du Haut conseil des familles. « Les privations ont augmenté pour les familles dans cette période d'inflation », a alerté la spécialiste n'hésitant pas à parler « d'extrêmes vulnérabilités des familles monoparentales. Les privations touchent avant tout l'alimentation, avec une dégradation qualitative et quantitative », poursuit l'économiste.
Au ministère des Finances, cela fait plusieurs mois que le gouvernement planche sur la question brûlante des pertes de pouvoir d'achat. « Il faut une attention particulière aux classes moyennes », avait expliqué le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave à La Tribune à la fin du mois d'octobre. « Certaines catégories qui travaillent ont le sentiment de ne pas s'en sortir. Le président Emmanuel Macron nous a demandé de travailler sur des mesures ciblées pour les classes moyennes qui travaillent. On planche dessus pour le budget 2025. Le groupe Horizons a fait des propositions sur ce sujet qui doivent alimenter notre réflexion pour 2025 ». Au même moment, le gouvernement avait organisé une grande conférence sociale sur les bas salaires au CESE. À l'époque, l'ex-Première ministre Elisabeth Borne avait mis la pression aux branches qui pratiquaient des salaires en deçà du SMIC.
Un plan Marshall au printemps qui fait Pshitt
Avant d'arriver à Matignon et de devenir ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal alors ministre des Comptes publics avait défendu un plan Marshall pour les classes moyennes. Pour mettre en oeuvre la promesse présidentielle, « plusieurs leviers sont possibles: l'impôt sur le revenu, les cotisations salariales, c'est-à-dire la différence entre le brut et le net pour le salarié », avait énuméré le ministre.
Mais ces options sont rapidement tombées dans l'oubli. En effet, l'Etat doit faire face à une explosion de la dette depuis la pandémie. Pressé par les agences de notation, l'exécutif dit vouloir donner des gages de rigueur budgétaire depuis 2022. Mais de nouvelles baisses d'impôt, même pour les classes moyennes seraient très difficiles à financer par la dette dans un contexte de taux élevés. Derrière le récit du gouvernement, les difficultés budgétaires risquent de compliquer la tâche du Premier ministre à peine arrivé et déjà sous pression.