Après le confinement, la crise : les petits entrepreneurs retiennent leur souffle

Depuis le déconfinement, les dirigeants d'entreprise oscillent entre confiance dans l'avenir et survie. Dans certains secteurs, comme l'hôtellerie, c'est la roulette russe, particulièrement en France, première destination touristique mondiale victime de la baisse de fréquentation. Au niveau mondial, le FMI anticipe quant à lui une récession de 4,9% cette année.
Photo d'illustration. Depuis les premières mesures pour endiguer l'épidémie qui ont paralysé l'activité mondiale, les gouvernements ont débloqué des milliards de dollars pour aider les entreprises à tenir.
Photo d'illustration. Depuis les premières mesures pour endiguer l'épidémie qui ont paralysé l'activité mondiale, les gouvernements ont débloqué des milliards de dollars pour aider les entreprises à tenir. (Crédits : Reuters)

Au point mort ou ralenties, grevées et endettées, les petites et moyennes entreprises, parmi les plus touchées par la crise du coronavirus, se battent pour leur survie et retiennent leur souffle depuis le déconfinement entre risque de faillite et espoir de reprise.

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Depuis les premières mesures pour endiguer l'épidémie qui ont paralysé l'activité mondiale, les gouvernements ont débloqué des milliards de dollars pour les aider à tenir. Colonnes vertébrales des économies, elles sont essentielles à la relance.

Mais alors que le FMI prévoit une reprise plus lente qu'espéré et une récession mondiale de 4,9% cette année, dans les hôtels, les commerces, les usines, c'est la roulette russe.

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À Paris, Dacca, New York, Wiesbaden, les journalistes de l'AFP sont retournés voir des dirigeants d'entreprise rencontrés au pic de la crise en mars ou en avril. Ils parlaient alors de "super catastrophe économique". Aujourd'hui, certains sont sur le fil du rasoir, d'autres reprennent confiance.

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Voici leurs témoignages.

  • À Paris, hôtel au point mort

Le téléphone sonne encore dans le hall mais l'hôtel est désert. Fermé début mars, le Céleste, à deux pas de Montmartre, ne peut toujours pas rouvrir deux mois après le déconfinement en France, faute de réservations.

"Lorsqu'il y en a, elles sont pour la majorité annulées à la dernière minute, la veille pour le lendemain, le jour même parfois", explique Khadija Radja, directrice générale de cet établissement indépendant de 30 chambres au style art-déco.

Depuis début juin, les restrictions de déplacement au-delà de 100 km ont été levées, le Château de Versailles, la Tour Eiffel ont rouvert. L'hôtel a baissé ses prix mais ça n'a pas repris. "Les gens hésitent encore beaucoup à venir à Paris", constate Mme Radja, 49 ans.

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Entre les annulations et les reports, peu de perspectives avant la rentrée: en juillet, l'hôtel ne rouvrira que s'il est rempli à 50%, en août il sera fermé.

L'impact est considérable: l'hôtel a perdu 70% de son chiffre d'affaires annuel, les six salariés sont au chômage partiel, les frais fixes courent et il y a un gros emprunt à rembourser suite à une rénovation d'un coût de 2,5 millions d'euros avant l'ouverture en 2018.

En mars, elle s'attendait à "une situation de trésorerie intenable". À ce stade, pas de licenciement comme craint alors. Le pire a été évité grâce à l'aide du gouvernement, dit Mme Radja.

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Comme toutes les entreprises françaises, l'hôtel Céleste a bénéficié de mesures d'aide exceptionnelles: report des charges fiscales et sociales, chômage partiel prolongé, prêt garanti par l'État.

"Ce prêt nous a fait du bien : nous avons emprunté une certaine somme d'argent, importante, on n'a pas à la rembourser tout de suite, pas avant 2021 et c'est sur quatre ans."

Pour septembre, elle espère le retour des touristes européens. "On essaie de tenir le coup", dit-elle mais "la crise qu'on vient de vivre n'est pas terminée."

La France est la première destination touristique mondiale. Le secteur, qui génère 7% du PIB, craint une vague de faillites à la rentrée.

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  • À Dacca, le textile lié à la crise en Europe

"Je prie Allah pour qu'il garde mes clients en Espagne et au Portugal en bonne santé [financière]. S'ils vont bien, on ira bien aussi."

Pour Rubel Ahmed, propriétaire de l'usine textile Dibbo Fashion, sur le centre industriel d'Aschulia en périphérie de la capitale bangladaise, tout se joue à des milliers de kilomètres. Chaque année, il exporte pour 5 millions de dollars de pull-overs essentiellement en Espagne.

Quand les deux pays d'Europe du Sud se sont confinés, les détaillants ont reporté des commandes de plusieurs centaines de milliers de dollars, ses exportations ont cessé, l'usine a fermé.

Depuis début mai, les magasins de vêtements ont rouvert en Europe, les exportations sont à nouveau autorisées au Bangladesh.

Alors que dans ce pays "des centaines d'usines ont fait faillite ou renvoyé leurs employés", à Dibbo Fashion, le bruit des machines retentit comme avant: l'usine a repris son activité, aucun des quelque 300 ouvriers n'a été licencié.

Mais à quel prix. Outre un manque à gagner de 100.000 dollars, Rubel Ahmed, 40 ans, doit rembourser un crédit à taux réduit facilité par le gouvernement pour payer ses employés et surtout un prêt à ses proches.

"J'ai dû emprunter à ma femme pour ne pas mettre la clé sous la porte. Elle était furieuse, je lui ai dit que je rembourserai une fois la reprise des exportations. Mais elle préférait que je ferme l'usine plutôt que de nous infliger une telle épreuve."

Et quelle angoisse aujourd'hui pour son usine, sa femme, ses deux enfants, ses employés qui sans cesse lui demandent "si ça va aller mieux" sans qu'il puisse répondre.

Cette semaine, une cargaison doit partir vers l'Europe, la première depuis janvier.

"Si je peux exporter les commandes déjà passées, je peux m'en sortir", pense-t-il, mais "si mes clients les refusent, c'est la faillite". "Je ne pourrai pas résister face aux pertes et aux dettes."

L'industrie du textile représente 84% des exportations au Bangladesh. Les grandes marques de prêt-à-porter occidentales ont annulé pour des milliards de dollars de commandes.

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  • À New York, un spa pour chiens mise sur ses habitués

Avant le confinement, la chaîne new-yorkaise de soins pour chiens Biscuits & Bath avait 13 boutiques, employait près de 220 personnes, engrangeait 1 à 2 millions de dollars par mois.

Aujourd'hui, seules trois boutiques ont rouvert, 40 employés ont repris le travail sur la quasi totalité licenciés en mars et le revenu pour juin devait atteindre un maximum de 300.000 dollars.

La reprise est progressive, explique David Maher, responsable des ventes et du marketing, et le travail ralenti par les protocoles imposés pour éviter toute contamination.

Mais l'entreprise, vieille de 20 ans, pense s'en sortir grâce aux habitués qui ont maintenu un contact pendant le confinement, explique M. Maher. À la réouverture des services de toilettage, mi-avril, la demande était "débordante".

Et depuis, la chaîne a gagné des clients en faisant des promotions, y compris de nouveaux propriétaires de chiens adoptés pendant le strict confinement. Quant à la concurrence, avec la crise, M. Maher s'attend à en avoir moins qu'avant.

La demande "s'accroît de jour en jour", affirme-t-il, "l'état d'esprit est très optimiste." Le plan, c'est de rouvrir deux autres boutiques en juillet. Pour la suite, tout dépendra de la demande sur le long terme, dit-il.

Aux États-Unis, les entreprises continuent de licencier malgré la reprise de l'activité et selon le FMI, le PIB va plonger de 8%.

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  • À Wiesbaden, retour à la normale pour le plexiglas gagnant de la crise

On les voit désormais partout dans les commerces, pharmacies ou administrations, les parois transparentes de plexiglas, remparts efficaces contre la propagation de l'épidémie.

Claus Mueller, 63 ans, patron de l'usine familiale Plexiglas Riesner à Wiesbaden, à l'ouest de Francfort, en a fabriqué et vendu à tour de bras au début du printemps.

"Ça s'est calmé maintenant. Les parois de protection étaient nécessaires pour permettre aux commerces de rouvrir et la plupart en sont désormais dotés donc la situation s'est normalisée", dit-il. On va "sans doute retrouver le niveau de ventes qui prévalait avant la crise."

La demande a été tellement forte qu'en mars, quand l'AFP l'a rencontré, M. Mueller s'inquiétait de ne pouvoir assurer la "capacité de production", la chaîne d'approvisionnement étant alors sur le point de s'arrêter.

L'article a généré un élan de solidarités. "Des gens nous ont appelés et offert leur matériel", raconte-t-il. Les commandes d'Europe ont afflué mais "il y en a eu tellement que nous n'avons pas pu y répondre."

M. Mueller n'a pas voulu bénéficier du plan de sauvetage du gouvernement allemand pour les entreprises impactées par le confinement. "Cela aurait été injuste. Si vous êtes l'un des gagnants d'une crise vous ne pouvez pas demander à l'État de vous aider". Rien qu'en mars son chiffre d'affaires a doublé par rapport à la normale.

Des dizaines de milliers d'entreprises, souvent familiales et très spécialisées, constituent l'une des forces économiques en Allemagne.

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Par Par Rebecca Frasquet à Paris, Shafiqul Alam à Dacca, John Biers à New York, Michele Fitzpatrick à Berlin

Commentaires 2
à écrit le 02/07/2020 à 17:22
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"les petits entrepreneurs retiennent leur souffle" Pas de trop quand même.

à écrit le 02/07/2020 à 11:22
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"Mais elle préférait que je ferme l'usine plutôt que de nous infliger une telle épreuve" Et elle avait raison, un prêt ne remplacera jamais une perte sèche.

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