Augmenter les salaires pour lutter contre l’inflation : le risque que le remède aggrave la maladie

À mesure que les prix grimpent, la pression monte sur les entreprises pour qu'elles augmentent les salaires. Pour renforcer le pouvoir d'achat des ménages, le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a appelé les employeurs à augmenter les rémunérations, quand c'est possible. Mais une telle hausse conduirait les entreprises à augmenter leurs prix pour ne pas réduire leurs marges, faisant craindre une spirale inflationniste comme celle vécue dans les années 1970. Explications.
Coline Vazquez
L'inflation pourrait entraîner un surcoût moyen de 90 euros par mois pour les ménages
L'inflation pourrait entraîner un surcoût moyen de 90 euros par mois pour les ménages (Crédits : Ints Kalnins)

Difficile de trouver un secteur qui ne connaît pas de difficultés à recruter. Le constat dressé par Geoffroy Roux de Bezieux mercredi 1er juin sur Franceinfo est sans appel. Le patron du Medef l'admet : « Je pense que les salaires vont être revus parce qu'on n'arrive pas à embaucher. La loi de l'offre et de la demande a basculé dans beaucoup de branches en faveur des salariés ».

Un phénomène peu commun et qui s'explique en partie par l'inflation depuis plusieurs mois. Selon une première estimation de l'Insee mardi, la hausse des prix a une nouvelle fois connu une accélération au mois de mai : +5,2% sur un an (contre +4,8% en avril), un record depuis 1985. A la pompe, dans les magasins et sur les factures de chauffage... la hausse des prix est générale et grève le pouvoir d'achat des ménages qui a chuté de 1,9% au premier trimestre et devrait continuer de décroître. Conséquence directe de cette dégringolade, la consommation, moteur traditionnel de la croissance française, accuse un recul encore plus marqué que ce qu'avait précédemment prévu l'Insee. Elle a chuté de 1,5%, contre une baisse de 1,3% estimée auparavant. Concrètement, l'inflation pourrait entraîner un surcoût moyen de 90 euros par mois pour les ménages, selon une étude de l'Observatoire de l'inflation du magazine 60 millions de consommateurs et de l'institut NielsenIQ. Autant d'argent que les Français ne dépenseront pas, au grand dam des entreprises qui, malgré des carnets de commande encore au beau fixe, voient leurs ventes diminuer. « Cette poussée inflationniste tétanise un peu tout le monde et le commerce en est impacté », constate Eric Chevée, vice-président de la Confédération des Petites et Moyennes entreprises (CPME), chargé des affaires sociales.

Conscient des conséquences d'un pouvoir d'achat au plus bas, le nouveau gouvernement en a fait sa priorité. Il a ainsi promis, dès les élections législatives passées, une vaste loi comprenant, entre autres, le prolongement du "bouclier tarifaire » jusqu'à la fin de l'année (contre juin comme cela avait été décidé précédemment), une ristourne sur le prix du carburant, ou encore un chèque alimentaire et la réindexation des retraites dès le mois de juillet. Mais « tout ne peut pas reposer sur les épaules de l'Etat », a nuancé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, lundi. « Le combat contre l'inflation doit être mené par tous. Les entreprises - et certaines le font déjà - peuvent aussi participer, en mobilisant des outils de partage de la valeur comme la prime Macron, la participation ou l'intéressement ». La semaine précédente, il avait également exhorté les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires de leurs employés. C'est d'ailleurs ce qui est pratiqué avec le SMIC. Le salaire minimum est en effet indexé sur l'inflation selon un dispositif de revalorisation automatique inscrit dans la loi et a, de fait, été relevé de 2,65% le 1er mai dernier compte tenu de l'inflation.

« Boucle prix-salaire »

Relever les salaires des travailleurs leur permettrait ainsi de consommer plus auprès des entreprises renforçant leur santé financière. Le pari semble gagné d'avance. Et pourtant... À ce cercle vertueux correspond un autre système qui pourrait bien augmenter l'inflation à défaut de réduire ses effets. C'est ce que l'on appelle « la boucle prix-salaire » ou « courbe de Phillips ». Lorsqu'une entreprise augmente les salaires de ses employés, elle augmente de facto ses coûts de production qu'elle doit ensuite répercuter sur ses prix de vente pour ne pas réduire ses marges.

« Face à des prix en hausse, les salariés demandent à nouveau des augmentations de salaire et le schéma se répète », explique Sylvain Bersinger, économiste au sein du cabinet Asters, qui ajoute : « Ce n'est pas tant la hausse des salaires qui pose problème que la mise en place de ce mécanisme.»

En France ce phénomène a été observé dans les années 1970. Les deux chocs pétroliers en 1973 et 1979 avaient fait grimper les prix de l'énergie conduisant à une inflation jusqu'à 10%. Face à la flambée des prix, le Smic, indexé sur l'inflation, avait été revalorisé plusieurs fois par an. En plus, l'ensemble des salaires avaient été rehaussé significativement dès le début de cette crise.

C'est cette spirale inflationniste que redoutent également les Etats-Unis où les entreprises qui peinent à recruter sont forcées de monter leurs salaires, faisant grimper le taux horaire à 5,5% sur un an. D'autant que si l'inflation pénalise les ménages, elle plombe également les comptes des entreprises qui ont, pour certaines, déjà réduit leurs marges. « Elles sont, elles aussi, impactées très fortement par la hausse des prix de l'énergie, mais aussi par ceux de l'ensemble des matières premières, voire même par le coût des services qui commencent également à augmenter », rappelle Eric Chevée.

Un risque à plus long terme

Le vice-président de la CPME admet néanmoins que les entreprises sont contraintes de pousser les salaires vers le haut.

« Il y a, à la fois, une revalorisation sur les postes ouverts et une autre en interne pour ne pas perdre des compétences ». Mais il alerte sur les conséquences d'« une réponse systématique à la hausse des prix par une hausse des salaires généralisée ». Il faut « trouver une solution qui réponde à la question du pouvoir d'achat sous une forme davantage ponctuelle que pérenne pour ne pas augmenter l'inflation » et tomber dans la « boucle prix-salaire » signale-t-il.

Pour autant, le risque immédiat d'une telle situation semble pouvoir être écarté, selon Sylvain Bersinger qui précise que « ce n'est pas tant une hausse des salaires ponctuelle qui poserait problème que sa répétition ». Selon lui, si « le risque est réel », ce n'est pas le cas pour l'instant. Il faudrait d'ailleurs plusieurs mois, voire une année pour constater un tel phénomène et en voir les effets. L'économiste souligne également que les récents chiffres de l'Insee, attestant d'une contraction du PIB de 0,2% au premier trimestre, montrent que « l'économie française commence sérieusement à caler ». « Si nous tombons en récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), cela va dégrader le marché de l'emploi et nous risquons de voir le chômage à nouveau augmenter », alerte-t-il.

Et de conclure : « Nous sommes dans une situation où il n'y a pas de solution miracle ». Une chose est sûre, « il faut bien supporter le coût de cette inflation qui ne cesse de grimper. Soit ce sont les ménages avec une baisse de pouvoir d'achat, soit ce sont les entreprises qui augmentent les salaires mais voient leurs marges baisser, soit c'est l'Etat qui finance des mesures par son budget ». Probablement les trois à la fois.

Coline Vazquez
Commentaires 28
à écrit le 10/06/2022 à 10:56
Signaler
Quand l'inflation est à 8 % (sans les aides de l'état) et que votre salaire n'augmente pas d'un seul euro sur l'année, et bien vous etes plus pauvre de 8 % à la fin de l'année. Idem pour vos économies rémunérées à moins de 1 %...Un seul gagnant : l'é...

à écrit le 04/06/2022 à 9:35
Signaler
un jour il faut bien payer la planche a billet et les taux zero

à écrit le 03/06/2022 à 21:43
Signaler
Augmenter les salaires n'est pas significatif, dans une entreprise avec du personnel qualifié bien formé de l'outillage moderne, on peut augmenter les salaires et la productivité, gros avantage: de très bons salaires dans un bassin d'emploi fidélise ...

à écrit le 03/06/2022 à 16:55
Signaler
Bonjour, La classe laborieuses est déjà mal payer.... Ils faut le dire Beaucoup de taxe sur les salaires et des conditions de travail catastrophique ... ( Stress, et efforts inaceptable ) . Ensuite s'est elle qui travail le plus longtemps.... D'a...

à écrit le 03/06/2022 à 14:46
Signaler
Tout le monde a compris que le job non officiel des banques centrales est de maintenir en levitation le prix des actifs financiers et immobiliers au plus haut au risque de créer de l’inflation,et bien sur en la minimisant,quitte a s’arranger avec les...

à écrit le 03/06/2022 à 10:56
Signaler
Vouloir maintenir le pouvoir d'achat(ou en limiter la réduction) alors que l'inflation est en bonne partie importée et que nous sommes un pays qui ne produit plus rien est totalement illusoire. Les français auront de moins en moins la capacité d'ach...

le 03/06/2022 à 11:37
Signaler
le problème est que le disque dur des Français, formaté pendant 40 ans par les politiques clientélistes droite comme gauche" , est les" droits" d' abord ou pour soi , les devoirs-efforts en second ou pour les autres...depuis Mitterand ce pays vit à c...

à écrit le 03/06/2022 à 9:52
Signaler
Au début était là mondialisation Puis est venu l'argent pas cher, Aujourd'hui, c'est l'inflation, Demain, la stagflation? Comme toujours c'est individuellement qu'il faudra s'adapter à tous les changements. Tout espérer de l'Etat ne peut que ...

à écrit le 03/06/2022 à 9:29
Signaler
Salaires et retraites sont bloqués ou plus ou moins gelés depuis des années ils ne sont donc en rien responsables de l'inflation ! Dans certains secteurs la perte de pouvoir d'achat est telle que l'on peine à recruter ; santé, enseignement, bâtiment...

le 03/06/2022 à 11:56
Signaler
l'inflation c' est l' asymétrie entre une demande mondiale forte (hausse de la population, augmentation de la classe moyenne mondiale et pouvoir de consommation..), et des productions non adaptées en volume ( matières1 ère, cours mondiaux, désorganis...

à écrit le 03/06/2022 à 9:22
Signaler
Pour les salariés qui n'ont pas d'augmentation, il faut profiter de la pénurie de main d’œuvre dans beaucoup de secteurs. Si votre employeur vous refuse une augmentation, allez la trouver ailleurs ! Pour les retraités, en revanche il faut faire un e...

le 03/06/2022 à 11:43
Signaler
tous les secteurs ne sont pas à la même enseigne( tensions) et même niveau de salaire, les augmentations salariales sont dans des secteurs ou les salaires sont les plus bas ( hotellerie, transport, restauration, tourisme ) et aux activité inadaptés ...

à écrit le 03/06/2022 à 9:15
Signaler
Compte tenu des facteurs économiques et sociaux (population, ressources disponibles, technologie, niveau d'innovation, structures d'organisation...), les populations vont s'appauvrir et il n'y a pas grand chose à faire. Il serait plus intelligent ...

à écrit le 03/06/2022 à 9:11
Signaler
Le problème est que cela fait 10 ans que les salaires n'ont pas progressés et à chaque fois ON nous explique que ce n'est jamais le bon moment. Paradoxalement, le montant des dividendes versés n'a jamais été aussi élevé. Je ne suis pas contre le vers...

le 03/06/2022 à 9:42
Signaler
A ceci près que des dividendes "importants"(rarement plus de 3% du capital) visent souvent à compenser une perte en capital ! Ainsi le CAC 40 perd presque 10% depuis le 1er janvier 2022.

à écrit le 03/06/2022 à 8:44
Signaler
Avec un titre d'article comme celui là, on va à une révolution! Ne pas augmentez les salaires et retraites en supposant que cela gonfle l'inflation c'est explosif comme explication.

le 03/06/2022 à 9:26
Signaler
C’est surtout très théorique. Il n’y a que pour les retraites que le gvt à la main. Pour les salaires, chacun est libre de changer de société et de bien négocier son nouveau salaire.

à écrit le 03/06/2022 à 8:22
Signaler
Ce que l'on demande justement aux profiteurs de crise, c'est de réduire leur marge! C'est ce qui crée l'inflation! L'argent doit circuler et non stagner!

le 03/06/2022 à 14:24
Signaler
Vous allez demander aux productuers de petroles e reuidre leur marge ? pas de bol, il ne vivent pas en france et peuvent vendre sans probleme a d autres Idem pour les fabriquants de puces asiatiques. En ce qui concerne les actions, elles sont deja...

le 04/06/2022 à 10:14
Signaler
Avez vous entendue parler du blocage des prix qui permet la réduction des marges? Seriez vous favorable a recevoir une pension retraite forfaitaire afin de ne pas vivre mieux que les actifs? Le "social ruineux" comme vous dites, ne vous évite t'il pa...

à écrit le 03/06/2022 à 8:16
Signaler
Il n'y aura pas assez materiaux et la chaine électrique sera perturbée avec le passage vers des argents virtuels de plus il n'y aura pas assez materiaux pour imprimer d'argent standarts.Le futur serion tres mauvais.

à écrit le 03/06/2022 à 8:15
Signaler
En moyenne, depuis le début de l'année l'inflation est de 1% par mois. Si 'on considère qu'un ménage dépense bien plus mensuellement que 1000€ (d'autant que cela ne tient pas compte des charges payées par un éventuel employeur), le chiffre de 90€ est...

le 03/06/2022 à 8:41
Signaler
c est une moyenne..tous les ménages ne consomment ni la même chose ni de la même façon : couches populaires plus de " produits bruts", couches aisées plus de service

à écrit le 03/06/2022 à 8:08
Signaler
Une spirale inflationniste est ce que la France désire et réclame depuis plus de 20 ans. Cet article vient démontrer son utilité. Le pays a voté dernièrement. Les retraités ont souhaité le statut quo, les salariés ont voté le changement. Il est impo...

le 03/06/2022 à 8:24
Signaler
Tres theorique votre commentaire. On annonce que les retraites vont etre augmenté de 4 %. combien de salaries font avoir 4 % ou plus ? aucun ! On risque d avoir comme d habitude une politique pro boomer car c est l electorat le plus important pour l...

à écrit le 03/06/2022 à 7:42
Signaler
Il faut pour lutter contre cette inflation une fois de plus augmenter la quantité de travail par français qui n’est pas au bon niveau, et oui il faut travailler plus

à écrit le 03/06/2022 à 7:12
Signaler
J'ai lu un article dans un journal influent qui disait que les banques centrales américaines et européennes, FED et BCE, ont subi des pressions politiques de la part du gouvernement américain pour ne pas remonter leurs taux d'intérêt à temps, raison ...

le 03/06/2022 à 8:42
Signaler
citez vos sources si vous vous voulez être crédible...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.