Difficile de trouver un secteur qui ne connaît pas de difficultés à recruter. Le constat dressé par Geoffroy Roux de Bezieux mercredi 1er juin sur Franceinfo est sans appel. Le patron du Medef l'admet : « Je pense que les salaires vont être revus parce qu'on n'arrive pas à embaucher. La loi de l'offre et de la demande a basculé dans beaucoup de branches en faveur des salariés ».
Un phénomène peu commun et qui s'explique en partie par l'inflation depuis plusieurs mois. Selon une première estimation de l'Insee mardi, la hausse des prix a une nouvelle fois connu une accélération au mois de mai : +5,2% sur un an (contre +4,8% en avril), un record depuis 1985. A la pompe, dans les magasins et sur les factures de chauffage... la hausse des prix est générale et grève le pouvoir d'achat des ménages qui a chuté de 1,9% au premier trimestre et devrait continuer de décroître. Conséquence directe de cette dégringolade, la consommation, moteur traditionnel de la croissance française, accuse un recul encore plus marqué que ce qu'avait précédemment prévu l'Insee. Elle a chuté de 1,5%, contre une baisse de 1,3% estimée auparavant. Concrètement, l'inflation pourrait entraîner un surcoût moyen de 90 euros par mois pour les ménages, selon une étude de l'Observatoire de l'inflation du magazine 60 millions de consommateurs et de l'institut NielsenIQ. Autant d'argent que les Français ne dépenseront pas, au grand dam des entreprises qui, malgré des carnets de commande encore au beau fixe, voient leurs ventes diminuer. « Cette poussée inflationniste tétanise un peu tout le monde et le commerce en est impacté », constate Eric Chevée, vice-président de la Confédération des Petites et Moyennes entreprises (CPME), chargé des affaires sociales.
Conscient des conséquences d'un pouvoir d'achat au plus bas, le nouveau gouvernement en a fait sa priorité. Il a ainsi promis, dès les élections législatives passées, une vaste loi comprenant, entre autres, le prolongement du "bouclier tarifaire » jusqu'à la fin de l'année (contre juin comme cela avait été décidé précédemment), une ristourne sur le prix du carburant, ou encore un chèque alimentaire et la réindexation des retraites dès le mois de juillet. Mais « tout ne peut pas reposer sur les épaules de l'Etat », a nuancé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, lundi. « Le combat contre l'inflation doit être mené par tous. Les entreprises - et certaines le font déjà - peuvent aussi participer, en mobilisant des outils de partage de la valeur comme la prime Macron, la participation ou l'intéressement ». La semaine précédente, il avait également exhorté les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires de leurs employés. C'est d'ailleurs ce qui est pratiqué avec le SMIC. Le salaire minimum est en effet indexé sur l'inflation selon un dispositif de revalorisation automatique inscrit dans la loi et a, de fait, été relevé de 2,65% le 1er mai dernier compte tenu de l'inflation.
« Boucle prix-salaire »
Relever les salaires des travailleurs leur permettrait ainsi de consommer plus auprès des entreprises renforçant leur santé financière. Le pari semble gagné d'avance. Et pourtant... À ce cercle vertueux correspond un autre système qui pourrait bien augmenter l'inflation à défaut de réduire ses effets. C'est ce que l'on appelle « la boucle prix-salaire » ou « courbe de Phillips ». Lorsqu'une entreprise augmente les salaires de ses employés, elle augmente de facto ses coûts de production qu'elle doit ensuite répercuter sur ses prix de vente pour ne pas réduire ses marges.
« Face à des prix en hausse, les salariés demandent à nouveau des augmentations de salaire et le schéma se répète », explique Sylvain Bersinger, économiste au sein du cabinet Asters, qui ajoute : « Ce n'est pas tant la hausse des salaires qui pose problème que la mise en place de ce mécanisme.»
En France ce phénomène a été observé dans les années 1970. Les deux chocs pétroliers en 1973 et 1979 avaient fait grimper les prix de l'énergie conduisant à une inflation jusqu'à 10%. Face à la flambée des prix, le Smic, indexé sur l'inflation, avait été revalorisé plusieurs fois par an. En plus, l'ensemble des salaires avaient été rehaussé significativement dès le début de cette crise.
C'est cette spirale inflationniste que redoutent également les Etats-Unis où les entreprises qui peinent à recruter sont forcées de monter leurs salaires, faisant grimper le taux horaire à 5,5% sur un an. D'autant que si l'inflation pénalise les ménages, elle plombe également les comptes des entreprises qui ont, pour certaines, déjà réduit leurs marges. « Elles sont, elles aussi, impactées très fortement par la hausse des prix de l'énergie, mais aussi par ceux de l'ensemble des matières premières, voire même par le coût des services qui commencent également à augmenter », rappelle Eric Chevée.
Un risque à plus long terme
Le vice-président de la CPME admet néanmoins que les entreprises sont contraintes de pousser les salaires vers le haut.
« Il y a, à la fois, une revalorisation sur les postes ouverts et une autre en interne pour ne pas perdre des compétences ». Mais il alerte sur les conséquences d'« une réponse systématique à la hausse des prix par une hausse des salaires généralisée ». Il faut « trouver une solution qui réponde à la question du pouvoir d'achat sous une forme davantage ponctuelle que pérenne pour ne pas augmenter l'inflation » et tomber dans la « boucle prix-salaire » signale-t-il.
Pour autant, le risque immédiat d'une telle situation semble pouvoir être écarté, selon Sylvain Bersinger qui précise que « ce n'est pas tant une hausse des salaires ponctuelle qui poserait problème que sa répétition ». Selon lui, si « le risque est réel », ce n'est pas le cas pour l'instant. Il faudrait d'ailleurs plusieurs mois, voire une année pour constater un tel phénomène et en voir les effets. L'économiste souligne également que les récents chiffres de l'Insee, attestant d'une contraction du PIB de 0,2% au premier trimestre, montrent que « l'économie française commence sérieusement à caler ». « Si nous tombons en récession (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), cela va dégrader le marché de l'emploi et nous risquons de voir le chômage à nouveau augmenter », alerte-t-il.
Et de conclure : « Nous sommes dans une situation où il n'y a pas de solution miracle ». Une chose est sûre, « il faut bien supporter le coût de cette inflation qui ne cesse de grimper. Soit ce sont les ménages avec une baisse de pouvoir d'achat, soit ce sont les entreprises qui augmentent les salaires mais voient leurs marges baisser, soit c'est l'Etat qui finance des mesures par son budget ». Probablement les trois à la fois.