"Beaucoup de chefs d'entreprise manquent de connaissances sur la loi Pacte", Gilles de Margerie

ENTRETIEN. Seuils d'entreprise, sociétés à mission, fonds pour l'innovation, protection des intérêts stratégiques, ICO... la loi Pacte de 2019 promettait notamment un tournant vers la simplification pour les entreprises. A l'occasion de la publication du deuxième rapport du comité de suivi et de la loi Pacte, le commissaire général de France Stratégie Gilles de Margerie tire un bilan contrasté de cette loi de 221 articles chamboulée par la pandémie.
Grégoire Normand
Gilles de Margerie est commissaire général de France Stratégie.
Gilles de Margerie est commissaire général de France Stratégie. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quels sont les principaux enseignements de ce second rapport sur la loi Pacte ?

GILLES de MARGERIE- La loi Pacte comporte énormément de dispositions différentes. Les enseignements sont très variés. Il est encore tôt pour tirer un bilan définitif de la loi Pacte. Le premier enseignement est que la loi Pacte prévoyait beaucoup de textes complémentaires. Les ordonnances et les décrets ont été publiés dans le respect des délais, hormis quelques retards. La mise en œuvre du travail législatif et réglementaire des 221 articles s'est achevée le 15 septembre dernier, plus de deux ans après l'adoption de la loi. Ce qui correspondait dans l'ensemble au délai prévu.

Le second enseignement est que sa mise en œuvre s'est faite dans un contexte complètement inattendu avec la crise sanitaire, et la plus grande crise économique  depuis la Seconde guerre mondiale. Ces circonstances n'ont pas eu d'impact direct majeur sur la mise en œuvre de la loi, mais elles ont eu un impact sur les capacités à interpréter les choses que l'on observe, comme l'épargne par exemple. Dans le contexte du surcroît d'épargne constaté depuis mars 2020, il est délicat d'interpréter ce qui se passe sur les différents supports d'épargne. Il faudra plus de recul pour bien évaluer les effets de la mise en œuvre des différents textes.

En matière de financement de l'économie et d'épargne, la loi Pacte a-t-elle réussi à remplir ces objectifs ?

En matière d'épargne retraite, la cible quantitative est atteinte en nombre de détenteurs. On peut penser que l'objectif d'encours sera également atteint. Les investisseurs et les particuliers ont bien compris que les taux étaient bas et que cela allait durer. L'allocation des actifs vers les actions et les unités de compte malgré la volatilité du marché actions, est restée élevée. L'objectif d'augmenter la part des unités de compte et le financement en fonds propres des entreprises est en passe d'être atteint. Nous restons cependant prudents dans l'interprétation des résultats. L'assurance-vie n'a pas bénéficié globalement de cette situation. Beaucoup d'argent reste sur des supports de liquidité ou de trésorerie. On ne sait pas encore si cet argent va aller vers la consommation ou sur des supports d'épargne. Si une partie importante va vers la consommation, cela soutiendra fortement la croissance.

Les dispositifs pour faciliter les levées de fonds en jetons (ICO) ont-ils tenu leur promesse en matière de financement des entreprises ?

Les émissions de fonds en jetons n'ont pas rencontré vraiment de succès, ni en France, ni dans le monde. Il y a eu un effet de mode il y a quelques années. Beaucoup de difficultés sont liées à la sécurité dans les opérations. Plusieurs textes récents ont visé à renforcer la sécurité autour des ICO et des prestataires. Ces textes n'ont pas rassuré les établissements bancaires. La réglementation est venue pour garantir la sécurité d'un marché mais cela n'a pas suffi.

Au sujet de l'environnement juridique et administratif des entreprises, les objectifs de simplification ont-ils été atteints ?

Les objectifs inscrits dans la loi ont été atteints, mais il est encore tôt pour en évaluer les effets. Le guichet unique a pris quelques mois de retard mais devrait bientôt être mis en place. Il doit être opérationnel à partir du premier janvier prochain. La simplification des seuils et l'assouplissement de leur régime sont mis en œuvre. La loi Pacte a mis en place trois seuils de 11,50 et 250 salariés. On manque encore de recul mais il semble que la suppression du seuil de 20 salariés ait eu déjà un effet significatif. Il apparaît que la suppression a permis de lisser le nombre d'entreprises en dessous et au-dessus du seuil. Il faudra attendre encore quelques années pour voir si la propension des entreprises à les dépasser s'affirme ou non.

Concernant la gouvernance des entreprises et le partage de la valeur, les créations de sociétés à mission ont été plus faibles qu'anticipé. Pourquoi sont-elles encore si peu nombreuses ?

Il y a environ 300 sociétés à mission en France lorsque l'on s'appuie sur les données du conseil national des greffiers de tribunaux de commerce et celles de la communauté des entreprises à mission. Cela reste un nombre très faible. A partir de plusieurs enquêtes, il apparaît que la principale difficulté pour les chefs d'entreprise est le faible niveau de connaissance des dispositifs existantsmais aussi, pour certains, l'hésitation devant les contraintes que l'adoption de cette qualité pourrait leur imposer.

Le rendement pour le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) qui devait être doté de 10 milliards d'euros initialement semble moins important que prévu. Comment l'expliquez-vous ?

L'objectif de ce fonds était de pérenniser des ressources pour des innovations de rupture avec une approche très décentralisée. L'inclusion dans ce fonds du plan batterie n'était pas prévue. Le maintien de taux d'intérêt très bas et la politique restrictive de dividende adoptée pendant la crise ont conduit à une situation où les 10 milliards d'euros de la dotation initiale ne pouvaient pas rapporter les 250 millions d'euros attendus de rendement annuel. La solution adoptée est de faire supporter le manque de recettes par le Plan d'investissement d'avenir 4.

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La loi Pacte s'intéresse notamment à la protection des intérêts stratégiques de la France avec une modernisation du cadre juridique de la protection. Quel bilan tirez-vous de cette thématique ?

Beaucoup de pays ont une réglementation qui évolue. La France a élargi le champ de protection à la fois en termes de secteurs et de tailles d'opération. En 2020, la baisse des investissements directs étrangers s'est établie à -17% en France contre -33% au niveau mondial. En revanche, le nombre de contrôles a été plus important. Sur les 1.215 investissements directs étrangers recensés en France en 2020, 23% ont été contrôlés contre 15% en 2019. Dans cette crise, nous avons évité le spectre de 1929 du protectionnisme généralisé. C'est une grande victoire. Mais beaucoup d'Etats membres de l'Union européenne ou de l'OCDE ont considéré que la question de l'acquisition d'entreprises du pays par des investisseurs étrangers était encore plus sensible que d'habitude.

L'une des critiques régulièrement exprimée à l'égard de cette loi est qu'elle comporte un très grand nombre d'articles. Elle est parfois qualifiée de "loi fourre-tout". Cette profusion d'articles n'est-elle pas un frein à son appropriation par les entreprises ?

La loi prévoit son évaluation et demande que celle-ci traite de 23 thématiques, ce qui est inhabituel. Dans chacune des thématiques, les textes ont été appliqués. Beaucoup de chefs d'entreprise manquent de connaissances sur certains aspects de la loi, comme le sujet des entreprises à mission par exemple. Ce qu'il faut souligner est que certains articles s'adressent à un champ d'entreprises spécifique comme la procédure d'opposition aux brevets. Ce dispositif est connu des spécialistes en propriété intellectuelle ou des grands groupes. Il n'y a pas eu de problèmes de mise en œuvre mais certains sujets demeurent extrêmement pointus.

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Grégoire Normand
Commentaire 1
à écrit le 04/10/2021 à 11:21
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La question serait plutôt autour de : du fait qu'il n'y a plus d'innovation tech qui ne termine entre les mains de pays investisseurs par culture, la question est de savoir en quoi les impôts, options fiscales et autres peuvent avoir du sens ! Dans l...

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