A l'occasion de l'examen de la loi de programmation des finances 2023, le gouvernement s'attendait à un bras de fer difficile avec les oppositions, mais il n'avait pas imaginé que le conflit social dans les raffineries compliquerait encore la donne. Alors que la CGT appelle à la grève générale interprofessionnelle et nationale mardi prochain, espérant embarquer de nombreux secteurs dans le mouvement pour des hausses de salaires, le gouvernement peine à défendre devant les députés ses positions économiques. Ainsi, la nuit dernière, les parlementaires ont-ils adopté, contre l'exécutif, un amendement qui relève la taxation des super dividendes.
Fissures dans la majorité
Le coup n'est pas parti de la Nupes ou du RN, mais du Modem, pourtant partenaire de la majorité. L'amendement a en effet été porté par Jean-Paul Mattei, président du groupe Modem à l'Assemblée, au motif qu'il faut, dans cette période d'inflation pendant laquelle des Français ont dû mal à joindre les deux bouts, « dissuader les grandes entreprises de distribuer aux actionnaires des super dividendes ». Un positionnement qui, sans surprise, a reçu les soutiens de la Nupes, du RN, mais aussi d'élus LR.
Affront supplémentaire pour l'exécutif, l'amendement a été voté par 19 membres de la macronie, dont le suppléant... d'Elisabeth Borne à l'Assemblée.
Et ce, malgré les demandes insistantes de retrait formulées par Gabriel Attal, le ministre des comptes publics, mais aussi de Jean-René Cazeneuve, le rapporteur Renaissance. La majorité présidentielle s'est donc fracturée sur ce que d'aucuns appellent déjà « l'amendement Total ».
Relèvement de la « flat tax »
Ainsi, malgré les requêtes gouvernementales, les députés ont largement voté dans l'hémicycle (227 voix favorables, 88 contre) cette disposition qui vise à relever temporairement de 5 points, à 35 %, le prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes qui dépassent de 20% la moyenne de ceux versés au cours des cinq dernières années, entre 2017 et 2021.
« Ce vote n'aurait jamais eu lieu, si nous n'étions pas dans ce contexte de grogne sociale dans le pays, avec des mobilisations chez TotalEnergies qui a engrangé des milliards d'euros de bénéfices », assure un ministre, fou de rage. En septembre dernier, le géant pétrolier a annoncé le versement d'un dividende exceptionnel de 2,6 milliards d'euros. Et ce ministre de poursuivre : « A défaut de voter une taxe sur les super profits, les députés se sont rabattus sur celle sur les super dividendes ».
Pour l'exécutif, cette « flat tax » reste « un très mauvais signal », pour reprendre l'expression de Gabriel Attal, envoyé aux milieux d'affaires, et une fragilisation de la politique de l'offre portée par Emmanuel Macron.
Vote du rétablissement de « l'exit tax »
Mais aussi violent soit-il, ce camouflet n'est pas le seul. Loin de là. Ce jeudi matin, les députés ont par ailleurs voté un amendement qui rétablit « l'exit tax », destiné à lutter contre l'évasion fiscale des entrepreneurs. Il s'agit de rétablir une taxe sur les plus-values latentes des chefs d'entreprise qui décident de transférer leur domiciliation fiscale à l'étranger en cas de cession effective de leur patrimoine en France dans les 15 ans après leur départ.
La suppression partielle, en 2018, de cette « exit tax » était un symbole fort du premier quinquennat Macron, au nom de la politique d'attractivité de la France. Elle avait été remplacée par un dispositif plus léger de cession de patrimoine.
Porté par le député LR Fabrice Brun, l'idée de rétablir cette disposition a été approuvée à la quasi-unanimité des oppositions. Et là encore, selon un conseiller parlementaire de la majorité, nul doute que le contexte social plaide en défaveur de l'exécutif. Il s'agit, selon lui, « de détricoter toute la politique économique mise en place par le président, à un moment où les Français sont inquiets par leur pouvoir d'achat, et demandent des hausses de salaires aux entreprises. »
Une série de camouflets pour le parti présidentiel
Plus globalement, depuis le début de l'examen du budget, en première lecture, le gouvernement enchaîne une série de revers. Les oppositions ont notamment réussi à rejeter, par 192 voix contre 175, l'article liminaire du budget dans lequel était inscrit l'objectif de contenir le déficit public à 5% du PIB en 2023. Ayant du mal à garder son calme, Gabriel Attal le ministre des comptes publics a alors lancé : « Vous êtes réunis Nupes, Rassemblement national et LR pour priver la France de tout cap.»
Dans un contexte de grogne sociale, le gouvernement peine à défendre ses positions. Prendre parti pour des baisses de charge des entreprises semble difficile. Et la discussion sur la réduction progressive des impôts de production - de 4 milliards d'euros par an n'a pas encore eu lieu.
Aussi, plus que jamais, le déclenchement du 49.3 pour adopter le budget sans vote, semble inéluctable.