À l'approche du premier tour du scrutin présidentiel, le gouvernement est toujours sous pression. Alors que le parquet national financier (PNF) vient d'annoncer l'ouverture d'une enquête sur le cabinet McKinsey pour blanchiment aggravé de fraude fiscale, le Sénat a dévoilé récemment un document particulièrement critique sur le projet de décret d'avance destiné à financer le plan de résilience présenté par le Premier ministre Jean Castex à la mi-mars.
Pour rappel, ce projet de décret d'avance vise à ouvrir et à annuler des crédits pour un montant de 5,9 milliards d'euros. Cette enveloppe doit permettre notamment de financer la ristourne sur le carburant de 15 centimes d'euros, la prise en charge partielle des factures de gaz et d'électricité pour les entreprises les plus consommatrices d'énergie, les aides sectorielles (agriculture, pêche, travaux public) et aussi l'accueil des réfugiés ukrainiens.
Confronté à une accélération galopante des prix de l'énergie, l'exécutif a décidé de passer à la vitesse supérieure par la voie du décret d'avance, une procédure plus rapide qui évite de reconvoquer l'ensemble du Parlement. Il faut dire que la guerre en Ukraine a considérablement rebattu les cartes de la fin de la course à la présidentielle. Après une première partie de campagne jugée atone par de nombreux observateurs, l'éclatement de ce conflit aux portes de l'Union européenne a jeté une ombre sur la bataille pour l'Elysée.
Le Sénat dénonce des coups de rabot dans la Recherche, la Défense ou l'Écologie
Après avoir auditionné les ministres de Bercy Bruno Le Maire et Olivier Dussopt ces deux dernières semaines, la Commission des finances présidée par le sénateur Jean-François Husson (Les Républicains) dénonce "des coups de rabot" pour financer ce plan de résilience. Le financement des nouvelles mesures est gagé sur l'annulation de crédits de mesures d'urgence non consommées (3,5 milliards d'euros) et de 2 milliards d'euros sur le budget général de l'Etat.
Parmi les missions mises à contribution figurent la Recherche et l'enseignement supérieur (235 millions d'euros), le Travail et l'emploi (172 millions d'euros), les régimes sociaux de retraite (145 millions d'euros), la justice (119) ou encore l'Écologie (108 millions d'euros). Le ministère des Armées va devoir se serrer la ceinture avec 300 millions de crédits annulés. Ce qui n'a pas manqué de faire réagir les membres de la Commission au moment où le chef de l'Etat Emmanuel Macron a annoncé une hausse nécessaire des investissements dans la Défense.
Cette annulation peut "étonner alors même que le décret d'avance est motivé à titre principal par les conséquences d'une guerre qui affecte un pays européen et qui a mis en évidence la nécessité pour la France et ses voisins de mieux assurer leur défense".
Face aux critiques, le ministre du Budget Olivier Dussopt a tenu à préciser que les crédits pourront être rouverts par une loi de finances rectificative. Sur ce point, la commission des finances a exprimé de sérieuses réserves.
"Il est paradoxal d'annoncer ainsi, de manière officielle, que les crédits annulés par un décret d'avance seront en fait rétablis dès que possible [...] Ce procédé est d'autant plus contestable que, sauf présentation rapide d'un collectif budgétaire avant les élections législatives, le gouvernement qui proposera les réouvertures de crédit ne sera pas le gouvernement actuel. Il est inédit qu'un décret d'avance, acte de nature réglementaire, « préempte » de manière aussi caractérisée le résultat des élections présidentielle et législatives", résument les rapporteurs.
Des "artifices budgétaires"
Les membres de la commission dénoncent également les ficelles budgétaires de l'exécutif dans le projet de décret présenté par Jean Castex accompagné de Bruno Le Maire (Economie), Julien de Normandie (Agriculture) et Barbara Pompili il y a trois semaines. "Les annulations de crédits ne correspondent pas à des économies, mais à des artifices budgétaires qui n'empêcheront pas les ouvertures de crédit de peser sur le déficit", soulignent les élus.
Le rapport explique que le décret d'avance va dégrader le solde public de 2,4 milliards d'euros, soit 0,7% du produit intérieur brut (PIB). Alors que le ministre de l'Economie Bruno Le Maire n'a cessé de répéter que "le quoi qu'il en coûte" devait prendre fin depuis septembre dernier, les conséquences de la guerre en Ukraine pourraient bien repousser cette échéance.
Des mesures non chiffrées et floues engagent déjà le prochain gouvernement
L'exécutif a annoncé de nombreuses mesures "non chiffrées" dépassant le cadre de ce décret d'avance. Ces annonces exerceront "une pression financière" sur le prochain exécutif. Parmi les mesures citées dans le rapport, figurent notamment la prolongation des recours de l'activité partielle de longue durée (APLD) jusqu'au 31 décembre prochain contre le 30 juin précédemment, le relèvement des montants de prêts garantis par l'Etat (35% du chiffre d'affaires contre 25% auparavant) ou encore le chèque Relance export.
Les sénateurs évoquent également le flou de certains dispositifs dont les modalités restent à préciser. Une nouvelle facilité de liquidité garantie par l'Etat doit être mise en œuvre à partir du second semestre 2022. "Les modalités de cette mesure dépendent toutefois de discussions avec la Commission européenne", souligne le document.
Enfin, les parlementaires évoquent certaines contradictions, notamment sur l'aide aux entreprises très consommatrices d'énergie. L'exécutif a ainsi annoncé un financement de cette mesure jusqu'à la fin du mois de juillet alors qu'elle doit être appliquée jusqu'à la fin de l'année.
Une absence totale de ciblage
Sans surprise, les parlementaires ont pointé le manque de ciblage de certaines mesures comme la ristourne de 15 centimes d'euros sur le litre de carburant. "Nécessaire en raison des effets de la hausse brutale et inédite des prix des carburants sur les professionnels et les particuliers, cette mesure souffre d'une absence totale de ciblage", écrivent-ils.
Ces critiques rejoignent ainsi celles d'économistes qui ont déjà largement documenté les effets disparates de la hausse des prix de l'énergie en fonction des catégories de ménages et des zones géographiques. Si la plupart des économistes s'accordent à dire que ces mesures sont nécessaires pour amortir le choc dans l'immédiat, elles sont loin d'être suffisantes pour réduire la dépendance des Français et des entreprises aux énergies fossiles.