
« On n'a pas de sous pour faire de la politique ! » Sa bien-aimée grand-mère l'avait pourtant mise en garde. Elle est décédée en 2002 juste avant que sa petite-fille prenne sa carte au Parti socialiste et qu'elle gravisse ensuite les échelons de la politique. C'est bien l'une des rares fois où Carole Delga a désobéi à « mémé Fernande ». Cette figure féminine compte plus que tout dans la vie de la présidente socialiste de la région Occitanie. C'est elle qui l'a élevée dans leur village de Martres-Tolosane (Haute-Garonne) et l'a poussée à travailler à l'école. Car Carole Delga, 51 ans, revendique ses origines modestes - « ce n'était pas la misère », nuance-t-elle. Cette femme pétillante et élégante n'est jamais aussi à l'aise au milieu de caissières et de postiers avec qui elle aime discuter et prendre le pouls du pays. L'ancienne ministre de François Hollande n'est pas du genre à négliger les ouvriers quand bon nombre de socialistes ont trop longtemps privilégié les électeurs bobos des centres urbains. Cette socialiste pure souche et non-énarque, tendance nature et tradition (elle soutient la corrida et mange de la côte de bœuf) n'oublie pas d'où elle vient.
En 2021, elle surprend tout le monde en devenant la présidente de région la mieux élue de France. Le tout à la tête d'une liste de gauche dont elle a exclu les Insoumis et les représentants d'Europe-Ecologie/Les Verts. L'exploit électoral est inattendu et la fait changer de catégorie. Jusque-là plutôt discrète, Carole Delga prend de la confiance et ne compte pas s'arrêter là. Car la quinquagénaire a de l'énergie et de l'ambition à revendre. Elle veut faire entendre sa petite musique et son accent chantant du Comminges sur la scène nationale. Après la nouvelle Bérézina à la présidentielle avec le crash d'Anne Hidalgo, la Toulousaine sait qu'elle a une carte à jouer.
Pure produit de la méritocratie républicaine, cette fille unique a grandi entre sa grand-mère et sa mère. Après des études universitaires, elle fait ses armes dans l'administration des collectivités locales. D'abord à Limoges auprès du député-maire PS Alain Rodet et ensuite aux côtés de Dominique Manent qui dirigeait des syndicats intercommunaux dans le Comminges, région au sud de Toulouse. La politique devient vite une évidence pour cette femme chaleureuse qui va se faufiler dans la hiérarchie socialiste. Son élection en 2008 à Martres-Tolosane (2.300 habitants) marque son entrée en politique. La suite va aller très vite : vice-présidente de la région en 2010, députée en 2012, secrétaire d'Etat chargée du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Economie sociale et solidaire en 2014. Éphémère ministre, elle n'a pas laissé grande trace à part la mention « Fait maison », l'indication géographique et le label « artisan-fromager », « artisan-charcutier »... De la politique concrète comme elle aime le revendiquer.
Les préfets de Macron « tombent » sous le charme
Avec son tempérament de fonceuse, elle balaie tout sur son passage. En juin 2015, elle prévient François Hollande qu'elle va quitter le gouvernement pour briguer la région. Entre-temps, elle a battu en primaire Jean Glavany, cacique mitterrandien envoyé à la retraite. A Bercy, la secrétaire d'Etat cohabite avec...Emmanuel Macron. Entre eux, ça ne colle pas. Elle n'adhère pas au mantra « et de gauche, et de droite » du futur président de la République. Carole Delga est une socialiste intransigeante, pas adepte des coups par derrière. Elle ne craint pas le conflit. Olivier Faure, actuel premier secrétaire et signataire de l'alliance avec les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, en sait quelque chose. Ces deux-là ne s'adressent plus la parole. Avec Nicolas Mayer-Rossignol et Michaël Delafosse, Carole Delga incarne l'opposition interne et ne pardonne pas au patron du PS d'avoir vendu le parti à la rose à Jean-Luc Mélenchon.
A Toulouse, elle préside le conseil régional avec autorité. Nommés avec des consignes de fermeté vis-à-vis d'elle, les préfets « tombent » les uns après les autres sous son charme, raconte un observateur local. « Je me faisais engueuler à Paris parce que j'étais trop gentil avec Carole Delga », aurait même confié un ancien préfet. Les hauts-fonctionnaires d'Emmanuel Macron ne sont pas les seuls à tomber en empathie. Il faut entendre ses collègues présidents de régions de droite parler de « Carole ». De Renaud Muselier à Hervé Morin en passant par Laurent Wauquiez, tous ne tarissent pas d'éloges sur la socialiste venue du Comminges. Sûre de son pouvoir de séduction, cette célibataire (elle ne se livre pas sur le plan privé) avance sans peur et sans reproche. A l'Elysée, on a fait une croix depuis longtemps sur le cas Delga. L'intéressée banalise et juge sa relation avec le chef de l'Etat « courtoise et républicaine ».
« Carole ne se rend pas compte que la marche est haute »
Femme très organisée, elle ne s'interdit rien pour l'avenir qu'elle veut rendre, selon sa formule, « désirable ». Au point, dit-on, de faire travailler plusieurs équipes en même temps, l'une sur les municipales à Toulouse (en 2026) et une autre sur la présidentielle. « Elle n'a peur de rien et se laisse toutes les voies ouvertes pour décider le moment venu », estime un de ses proches. Sans se soucier de ses limites souvent avancées par les caciques du PS. « Carole ne se rend pas compte que la marche de la présidentielle est haute », grince l'un de ses anciens collègues au gouvernement et potentiel présidentiable. Séductrice, elle peut aussi être tueuse. Ses adversaires locaux en savent quelque chose. Le prometteur député LR Aurélien Pradié s'est fait étriller aux régionales : 18% des voix contre 57% pour Carole Delga après des régionales sanglantes. Car en campagne, la socialiste se mue en véritable Calamity Jane du Comminges à la conquête de l'ouest, fusil à la main. Comme l'intrépide femme cow boy, chère à Maurice Gosciny qui l'a popularisée, n'est pas du genre à reculer devant l'adversité. Et avec elle, ça défouraille. Attaquée frontalement par Jean-Luc Mélenchon qui lui reproche des « préjugés » racistes après une phrase bancale, Carole Delga lui répond illico (lire notre interview). La preuve que la patronne de l'Occitanie commence aussi à compter dans le paysage morcelé de la gauche.
Dotée d'une grande endurance, cette adepte de la course à pied - elle a bouclé le semi-marathon de Paris au printemps - ne manque ni de souffle, ni de culot. D'ici à 2027, elle va continuer à labourer en voiture son immense région avec ses 13 départements et ses 6 millions d'habitants. Fidèle à ses habitudes, elle rentrera chaque soir dormir chez elle à Martres-Tolosane. Jeune, elle rêvait de gravir le Kilimandjaro. A 51 ans, la native de Toulouse vise ni plus ni moins l'Elysée. Pour l'instant, tout ça paraît bien inaccessible. Sa notoriété dans les sondages est très faible. Elle totalise un petit 20% de bonnes opinions dans la dernière mesure de l'IFOP. « Si elle veut peser, Carole Delga ne pourra se contenter de son seul atout régional, estime Frédéric Dabi, directeur général de l'IFOP. Elle doit trouver des leviers de visibilité et des moments politiques qui lui permettent de s'affirmer comme une figure de gauche alternative à Jean-Luc Mélenchon. »