
Son bureau de secrétaire général de la CFDT est déjà vide. Ses dossiers et carnets de notes ont été transférés aux archives de l'organisation syndicale fondée il y a soixante ans. Son sixième « patron », Laurent Berger, quittera le 21 juin son bureau du boulevard de la Villette, siège du syndicat qu'il a installé, sous son magistère, à la place de numéro un, détrônant la CGT. Seules traces du passage de Laurent Berger, l'enfant de Guérande (où il est né il y a 54 ans), deux photos de pêcheries au bord de l'estuaire de la Loire à Saint-Nazaire et une maquette d'un A380, cet avion dont une partie était construite dans cette ville ouvrière où son père travaillait comme ouvrier aux chantiers navals.
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Juste avant le « pot de départ » de sa jeune directrice de cabinet, « Laurent » comme l'appelle les permanents du siège de la CFDT reçoit « La Tribune » dans ce bureau qui a vu défiler tous les secrétaires généraux depuis l'emblématique Edmond Maire. Fidèle à son image d'homme posé et à son tempérament de ligérien adepte de la nuance, il prend son temps, évite les formules à l'emporte-pièces et gomme les jugements excessifs. Pas question de laisser percer la moindre aigreur, de lâcher une formule excessive contre Emmanuel Macron. Bref, Laurent Berger n'est pas homme à se lâcher. Il aime même entretenir un halo de mystère autour de son avenir, de ses relations avec les politiques et des intellectuels du pays qu'il sollicite beaucoup.
Plus populaire qu'Edouard Philippe
Au terme d'un semestre de bataille acharnée contre la réforme des retraites voulue par le gouvernement d'Emmanuel Macron, Laurent Berger s'apprête donc à quitter la scène syndicale. Sous d'inédits vivats pour un responsable syndical. Un récent sondage Elabe/BFMTV lui accordait 58% d'opinions favorables. Autant sinon plus qu'Edouard Philippe, le champion toutes catégories des politiques. Une inattendue « Bergermania » s'est même emparée du pays au point que certains le verraient bien reprendre le flambeau d'un centre gauche en panne de candidats crédibles... Mais Laurent Berger ne cédera pas aux sirènes de ses amis et faux-amis qui aimeraient le voir se lancer dans l'arène présidentielle. Lui se voit en 2027 faire... du kayak le long des côtes bretonnes ou dans une ONG écolo (lire l'entretien). Même s'il promet de continuer « d'ouvrir » sa « gueule » notamment contre le Rassemblement national de Marine Le Pen.
Une « bouffe » avec Philippe Martinez
A 54 ans, l'intéressé va donc se retirer. D'abord en prenant de longues vacances. Il a prévu, confie-t-il, d'aller faire une randonnée en solitaire sur un GR breton pour se reconnecter avec lui-même. Ensuite, il ira avec sa famille en Toscane.
L'occasion de réfléchir à son avenir. « J'ai encore dix ans à bosser. J'ai des propositions dans le privé, dans des ONG voire des collectivités », nous dit-il mystérieux. Avant cette mise en retrait, il a programmé une « bouffe » avec Philippe Martinez, son « camarade de lutte » durant cette campagne contre la réforme Macron. Leur rapprochement a scellé la réussite de l'intersyndicale et provoqué la stupeur dans le camp macroniste, incapable de briser cette unité syndicale retrouvée. « A la CGT, on n'aime pas le secrétaire général de la CFDT mais je m'entends bien avec Philippe Martinez », s'amuse-t-il.
L'ex-leader de la CGT, qui a repris le chemin des bureaux d'études de son employeur Renault, n'a pas eu le droit à la même sortie que Laurent Berger. La CGT ne lui a même pas organisé un pot de départ. Une sortie par la petite porte qui ne risque pas d'arriver au leader de la CFDT. Le passage de témoin avec Marylise Léon est réglé comme du papier à musique. Une habitude dans cette maison où le compromis et la nuance valent table de la loi.
Le précieux conseil de François Chérèque
Profondément marqué par la personnalité de son prédécesseur François Chérèque (décédé en 2017), son successeur n'a jamais oublié le conseil de son aîné : « Pour être bien dans ce poste-là, il faut bien représenter la sociologie de l'organisation. »
Pendant cette décennie passée à la tête de la CFDT, Laurent Berger a donc cherché à éliminer la critique d'un syndicat devenu « trop intello » qui se serait éloigné des travailleurs et travailleuses. Son secrétaire général n'a donc jamais cessé de labourer le terrain pour mieux épouser les contours d'une base militante en évolution. La méthode a payé. La CFDT s'est ré-enracinée dans le pays et surtout dans le secteur privé quand la concurrence s'est recroquevillée sur ses bastions des transports publics et de l'énergie (la CGT) ou sur la fonction publique (FO).
Laurent Berger a, lui, poursuivi un travail de fond. « Je n'ai jamais cessé le travail intellectuel. Je lis au minimum un livre par semaine », souligne Laurent Berger. Un peu fatigué par un interminable marathon médiatique - 80 interviews tout compris en 5 mois - le natif de Guérande va raccrocher la chasuble orange avec un peu de mélancolie de son propre aveu. Et en donnant un ultime coup de griffe contre Emmanuel Macron qu'il étrille dans dernier livre « Du mépris à la colère » (Editions Seuil). Un titre qui recoupe peu ou prou le bilan que tire l'auteur des six années d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Six ans de confrontation entre deux hommes qui ne se seront jamais compris, ni trouvés. Un improbable rendez-vous manqué.