
Cette semaine, l'interview « choc » d'Édouard Philippe dans l'Express aura au moins réussi à créer le buzz. Les positions de l'ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron sur l'immigration et sa dénonciation de l'accord de 1968 qui définit les conditions d'accueil et de séjour des Algériens en France ont ainsi suscité un tombereau de réactions. Tournant droitier pour les uns, triangulation hasardeuse pour les autres, effet de com' également...
Une chose est sûre : ces déclarations tombent au plus mal pour l'Élysée alors qu'il était prévu que le président algérien Abdelmadjid Tebboune se rende en France pour une visite d'État dans la deuxième quinzaine de juin, après plusieurs mois de brouille diplomatique entre les deux pays. Par différents canaux, Alger a d'ailleurs fait comprendre sa mauvaise humeur vis-à-vis de l'interview d'Édouard Philippe, d'autant plus que cette critique de l'accord de 1968 intervient plusieurs mois après la publication du livre de l'ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, dans lequel était déjà proposé de revenir sur ces dispositions historiques entre les deux pays.
Édouard Philippe se prépare au duel
Cette posture droitière d'Édouard Philippe est également une manière pour lui de retrouver un peu d'air en vue de 2027, notamment face à ses concurrents de la droite issue de la macronie, et en particulier Bruno Le Maire. Certes, par cette interview, Édouard Philippe prend totalement le contre-pied d'un Alain Juppé qui avait utilisé en 2017 « l'identité heureuse » comme slogan de campagne pour les primaires de la droite. « Édouard n'est pas Juppé qui ne serait jamais allé sur cette ligne droitière », souligne un bon connaisseur de la droite.
Mais ce déplacement tactique est d'abord pour Édouard Philippe une façon de contrer ses adversaires au sein de la macronie, tant au Château qu'au sein même du parti Horizons partagé entre « Juppéo-edouardistes » et soutiens historiques de Bruno Le Maire venus de la « France audacieuse », le mouvement fondé à l'origine par Christian Estrosi. Effectivement, chez Horizons, les transfuges de la France audacieuse que sont Luc Bouard, maire de la Roche-sur-Yon, Marie-Agnès Poussier-Winsback, maire de Fécamp, ou Joseph Segura, maire de Saint-Laurent-du-Var, et par ailleurs très proche de Christian Estrosi, sont tous de fervents supporters à l'origine de Bruno Le Maire. « Dans le cas d'un éventuel duel, on peut imaginer quelle serait la position de la plupart des élus de la France audacieuse vis-à-vis de Bruno Le Maire, estime Jean-Bernard Gaillot-Renucci, cofondateur en 2016 de « la droite avec Macron ». À tel point que 2027 de ce côté de l'arc politique peut se jouer avec les clés de 2017 ».
Certes, il y a quelques contre-exemples, comme Delphine Bürkli, maire du 9e, venue elle aussi à l'origine de la « France audacieuse » une fidèle parmi les fidèles d'Édouard Philippe. Mais globalement, chez Horizons, Édouard Philippe se retrouve en fait quasiment en situation de copropriétaire devant composer avec les anciens de la France audacieuse. Or, les élus issus du mouvement lancé dès 2017 par Christian Estrosi sont bien plus droitiers que l'Édouard Philippe de 2017 ou celui qui avait connu Alexis Kohler à travers les courants rocardiens. Faire une sortie sur l'immigration est donc une manière pour Philippe de contenir la tentation Le Maire dans ses propres troupes. D'autant qu'avant 2027, les élections municipales de 2026 vont également tendre la situation, notamment en PACA, d'où sont originaires de nombreux élus venus de la France audacieuse emmenés par Estrosi.
Cette tension interne à Horizons explique aussi pourquoi Bruno Le Maire est si précieux pour Emmanuel Macron à l'Élysée qui souhaite mettre un maximum de bâtons dans les roues à Édouard Philippe pour les prochaines années. C'est la raison principale pour laquelle Bruno Le Maire est resté aussi longtemps à la tête de Bercy. Dès juillet 2017 d'ailleurs, le ministre des Finances s'était d'ailleurs fait vertement remettre à sa place par Édouard Philippe après avoir annoncé sans en référer à Matignon la cession de 10 milliards d'euros d'actifs de l'État dans les entreprises publiques : « Le Maire a toujours un côté perso. Dans ses interviews, il dit toujours "je", alors que je dis toujours "nous". Maintenant, le recadrage est fait. Il s'est pris un revers et c'est terminé ».
Face à Édouard Philippe, Bruno Le Maire peut compter sur la mésentente présidentielle à l'encontre de son ancien Premier ministre, sur le soutien de Brigitte Macron, de Franck Riester qui avait pris le contrôle d'AGIR avant de l'apporter à Renaissance, mais aussi sur Thierry Solère, le conseiller de l'ombre, qui a toujours été plus proche de lui que du maire du Havre. Bref, Édouard Philippe est plus que jamais au milieu des crabes de la droite qu'on trouvait déjà en 2017.